Il n’y a hélas pas que la guerre en Ukraine et à Gaza qui créent des spirales de violence sans fin sur la planète, mais près de 70 autres conflits oubliés par les médias mondiaux. Parmi ceux-là, le Soudan qui est à nouveau en guerre depuis bientôt deux ans. Un conflit qui oppose le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », des Forces de soutien rapide (FSR) aux Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah al-Burhan.
Un pays en particulier est accusé par le pouvoir en place d’attiser la haine et de soutenir les milices opposantes : les Émirats arabes unis, dont on oublie souvent le rôle pernicieux de leader de l’axe des sécessionnistes [1] en Afrique et au Moyen-Orient. De la Libye au Yémen, en passant par la Somalie et donc le Soudan, ils cherchent ainsi à renverser des régimes qui ne leur conviennent pas.
L’aide militaire et stratégique des Émirats arabes unis
Depuis le début du conflit armé entre l’armée soudanaise et les FSR en avril 2023, les Émirats arabes unis sont au centre de nombreuses controverses concernant leur rôle dans cette guerre dévastatrice. Officiellement neutres, ils sont pourtant accusés par plusieurs rapports internationaux [2] d’apporter un soutien actif aux FSR. Acteur relativement discret depuis de nombreux mois sur la scène géopolitique du Moyen-Orient, Abu Dhabi cultive savamment son image, se présentant comme un pays de loisirs et de vacances abordables pour les Occidentaux – et pouponnant, dans le même temps, son alliance « du siècle » avec Israël depuis 2020, sans beaucoup protester sur ce qui se passe à Gaza, et terrant surtout son rôle obscur sur certaines zones de conflit sans fin.
Des documents des Nations unies, des témoignages de terrain et des enquêtes journalistiques [3] soutiennent que les Émirats ont fourni armes, munitions et appui logistique aux FSR, souvent via des routes détournées passant par la Libye, le Tchad ou la Centrafrique. Ce soutien militaire indirect s’inscrit dans une stratégie plus large : renforcer l’influence des Émirats en Afrique de l’Est et au Sahel, des régions qu’ils considèrent comme cruciales pour leur sécurité, leurs ambitions économiques et leur lutte contre les mouvements islamistes.
Hemedti, chef des FSR, est perçu comme un acteur plus flexible, moins lié à l’islam politique que son rival Burhan, que Mohamed Ben Zayed a aussi soutenu un temps au moment des Printemps arabes. Le profil de Hemedti en fait un allié de circonstance pour Abou Dhabi, qui cherche à promouvoir des partenaires régionaux pragmatiques et à marginaliser les courants islamistes proches des Frères musulmans, qu’ils considèrent comme une menace existentielle.
Une influence dans tout le Moyen-Orient
Les Émirats ont déjà eu recours à des stratégies similaires dans d’autres conflits, notamment en Libye et au Yémen, en soutenant des milices locales pour défendre leurs intérêts sans s’impliquer directement sur le terrain. On a même retrouvé des jeunes Soudanais envoyés en Libye ou au Yémen et dont les parents n’ont plus jamais entendu parler. L’or extrait au Soudan abonde désormais à Dubaï, et semble être un moyen de continuer à financer la guerre des Émirats sur place.
Nul besoin de préciser que la population soudanaise, qui subit déjà la violence et la famine, ne voit jamais la couleur des revenus du précieux métal. Ce système institutionnalisé de contrebande de l’or entre Karthoum et Abu Dhabi fait malheureusement durer un peu plus encore le conflit, alors qu’avant, c’était Wagner qui puisait dans les ressources du pays sans complexe.
Les soupçons de « complicité de génocide » se portent évidemment sur les Émirats arabes unis
En parallèle, les Émirats continuent d’afficher une posture diplomatique officielle en faveur de la paix, participant aux négociations internationales pour un cessez-le-feu. Cette double posture soulève des critiques de plus en plus vives, notamment de la part des États-Unis, de l’ONU et d’ONG humanitaires, qui dénoncent une contradiction flagrante entre le discours pacificateur d’Abu Dhabi et ses actions sur le terrain.
D’autant que, récemment, saisie par le pouvoir en place au Soudan, la Cour pénale internationale (CPI) enquête désormais sur des crimes commis contre la minorité Masalit : génocide, meurtre, vol de biens, viol, déplacement forcé, violation de propriété, vandalisme de biens publics et violation des droits de l’homme… Et les soupçons de « complicité de génocide » se portent évidemment sur les Émirats arabes unis, loin du monde de paillettes, de strass et d’influenceurs qui se bronzent au soleil de Dubaï.
[1] Expression empruntée au professeur Andreas Krieg, du King’s College (London) dans son nouvel ouvrage
[2] https://emiratesleaks.com/eu-calls-for-action-on-uaes-sudan-genocide-support/?lang=en
[3] https://www.middleeastmonitor.com/20250304-the-uae-should-stop-its-violations-of-the-un-arms-embargo-in-darfur/
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique et spécialiste du monde arabe, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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