comment l’État cherche à réguler l’essor des Églises évangéliques

« En l’espace de six mois, quatre églises ont poussé devant chez moi », témoigne Gabriel, habitant de Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). « Les chants commençaient dès 5 heures du matin. Lorsque je me suis plaint, ils m’ont harcelé et accusé de faire obstacle à la parole de Dieu. Je n’ai pas eu d’autres solutions que de déménager. » Ce type de nuisances sont devenues monnaie courante dans les grandes villes, en particulier à Kinshasa, la capitale. À tel point que le ministère de la justice a décidé de réguler l’essor exponentiel des Églises évangéliques, principalement celles dites de réveil, issues du néopentecôtisme, en réformant en profondeur le secteur des associations confessionnelles.

Résultat d’une décision administrative du ministre de la justice datant du 20 juin, une majorité de ces Églises se trouvent aujourd’hui en situation irrégulière aux yeux de la loi, provoquant du même coup l’inquiétude au sein de ces communautés.

Les Églises de réveil, nées du renouveau pentecôtiste qui s’observe en RD-Congo depuis les années 1970, prêchent la puissance de la parole de Dieu comme solution aux difficultés de la vie des fidèles (amour, santé, travail…). Un tel message bénéficie d’un écho très favorable auprès de la population congolaise dont le quotidien est dominé par la misère et un sentiment d’injustice. Selon les données de l’Église du réveil du Congo (ERC), l’une des principales structures qui fédèrent ce mouvement dans le pays, le nombre d’églises est passé de 12 500 en 2015 à plus de 42 300 en 2022, dont 15 000 rien qu’à Kinshasa.

Une structuration du mouvement pentecôtiste

Le cabinet du ministre de la justice explique que la récente réforme gouvernementale « n’a pas pour volonté de limiter la liberté de culte, mais entend assainir le secteur des Églises afin de préserver l’ordre public ». Elles avaient initialement jusqu’au 20 juillet pour obtenir leur régularisation. Les tentatives de juguler l’essor des Églises de réveil ne sont toutefois pas récentes. En 2007 déjà, une réforme visant à durcir les conditions d’attribution de la personnalité juridique à ces structures avait été proposée. Sans succès.

L’archevêque Ejiba Yamapia, représentant légal de l’ERC, se montre toutefois optimiste : « La différence avec les précédentes tentatives de régulation est que le ministre de la justice a décidé d’associer les Églises à sa démarche. » Ainsi, au cours du mois de juillet, une commission mixte, composée de représentants du ministère et de l’ERC, s’est réunie pour définir les nouveaux critères d’attribution de la personnalité juridique aux Églises qui en font la demande.

Parmi eux figurent l’obligation d’une formation théologique reconnue par l’État du représentant légal de la communauté religieuse, la mise à distance de toutes pratiques fétichistes et magiques traditionnelles, et l’établissement d’un lien administratif avec l’ERC. Un délai supplémentaire de trois mois, à compter du 20 juillet, a été accordé pour se mettre en conformité avec la loi. Autre disposition importante, ces églises ne pourront plus s’installer à moins de 500 mètres l’une de l’autre.

Des Églises attachées à leur indépendance

Alors que l’est de la RDC est marqué par le conflit avec le groupe rebelle congolais M23, soutenu par le Rwanda, le père jésuite Mpay Kemboly, professeur de religion traditionnelle africaine à l’Université catholique du Congo, explique que cette réforme s’inscrit dans une volonté de l’État congolais de contrôler l’accès à la parole publique. Les pasteurs ont selon lui un rôle à jouer auprès de la population en temps de guerre, « par la promotion d’un sentiment national, le respect des valeurs sociales et de la famille et de l’ordre public ».

Mais comment réguler, et avec quels moyens, un « mouvement religieux qui n’est pas centralisé comme le catholicisme et dont l’histoire est marquée par une forte revendication d’autonomie des clergés et de leurs églises » ?, s’interroge la sociologue Sarah Demart (1). Pour le moment, le ministère de la justice ne s’est pas exprimé sur la manière dont il compte faire respecter sa réforme.

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Un pays dominé par le christianisme

Plus de 80 % des habitants de République démocratique du Congo sont chrétiens.

Près de 40 % des Congolais sont catholiques, tandis que les protestants et les évangéliques affiliés aux Églises de réveil représentent environ 35 % de la population. Les kimbanguistes, fidèles d’une dénomination chrétienne fondée dans le pays, revendiquent 10 % des Congolais.

Il existe une minorité musulmane en RD-Congo (15 %), tandis que les religions traditionnelles ont presque disparu (1 %).

Selon différentes estimations, la RD-Congo compterait un peu plus de 100 millions d’habitants. La population congolaise devrait dépasser celle des États-Unis (330 millions) d’ici à la fin du siècle.

(1) Autrice des Territoires de la délivrance. Le réveil congolais en situation postcoloniale, Éd. Karthala, 324 p., 27 €.

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