Conflit à l’est de la RDC : Pourquoi la rencontre de Tshisekedi-Kagame s’est-elle tenue à Doha, au Qatar ?
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Alors que tous les regards étaient tournés vers Luanda en Angola, autour des pourparlers directs entre la République démocratique du Congo et la délégation du M23 qui n’ont finalement pas eu lieu, c’est plutôt une rencontre surprise qui s’est tenue le même jour au Qatar contre toute attente.
Les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame se sont rencontrés dans le plus grand secret à Doha sous la médiation de l’émir Tamim ben Hamad Al-Thani.
Les deux Chefs d’État ont réaffirmé leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Ils se sont également accordés sur les modalités de l’exécution de ce qui a été convenu dans le cadre des acquis des Processus de Luanda et Nairobi, peut-on lire dans le communiqué qui a sanctionné cette rencontre.
Contactée par la BBC, la porte-parole du président congolais Tina Salama a tenu à préciser que le plus important pour la RDC est d’avoir pu obtenir un cessez-le-feu immédiat et c’est tout ce qui importe à ce stade au président Félix Tshisekedi.
Au même moment dans la soirée, le ministère des affaires étrangères angolais a publié un communiqué dans lequel il a déclaré que les négociations prévues à Luanda le mardi 18 mars derniers n’avaient finalement pas eu lieu « en raison d’événements de force majeure ».
« La délégation congolaise a été signifiée seulement aujourd’hui de l’absence de l’autre partie ce qui ne nous a pas beaucoup surpris en tout cas. À la médiation donc d’en tirer toutes les conclusions et nous attendons d’être informés de la suite du processus », telle est la réaction de la porte-parole du président congolais qui a affirmé également que la délégation congolaise avait déjà fait le déplacement pour Luanda.
Côté rwandais, la Présidence du pays a réagi à cette rencontre tripartite affirmant que « Le président Kagame s’est dit convaincu que si toutes les parties travaillaient ensemble, les choses pourraient avancer plus rapidement. Il a remercié Son Altesse le Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani pour son soutien en faveur d’un dialogue constructif et de solutions tangibles pour parvenir à une paix durable en RDC et dans la région. »

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Les implications de cette rencontre
Pour Kinshasa, cette rencontre qui a duré une quarantaine de minutes s’inscrit dans le cadre de bonnes relations de coopération et d’amitié entre le Qatar et les deux pays actuellement en crise sécuritaire. « Les modalités de l’exécution de ce qui a été convenu seront précisées dans les jours qui viennent », selon un communiqué de la présidence congolaise.
La BBC s’est entretenue avec Ithiel Batumike Mihigo, chercheur à l’institut congolais de recherche Ebuteli en république démocratique du Congo, pour lui, cette rencontre, qui intervient après le rendez-vous manqué de Luanda entre les deux dirigeants en décembre 2024, montre que la voie du dialogue entre la RDC et le RWANDA est encore possible. Son efficacité est difficile à déterminer pour l’instant car il a été sans succès l’appel au cessez-le-feu lancé par cette rencontre.
« L’implication de la rencontre du Qatar, ça remet d’abord en place des discussions qui qui existaient déjà à Luanda notamment entre le Rwanda et la RDC qui ont été presque suspendu au moment de l’échec du sommet de Luanda en décembre dernier et donc c’est ça relance un processus entre les 2 pays que les pays de la SADC et de l’EAC arrivaient jusqu’à du mal à pouvoir relancer. » a ajouté Fred Bauma, également chercheur à l’institut congolais de recherche Ebuteli en République démocratique du Congo.

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Et en ce qui concerne les pourparlers de Nairobi et de Luanda qui ont du mal à évoluer, Ithiel Batumike Mihigo pense que ces deux processus n’existent plus que de nom depuis que le sommet conjoint EAC-SADC a appelé à leur fusion. Le refus de l’AFC/M23 de participer aux discussions directes convoquées par Luanda le 18 mars dernier en est une preuve supplémentaire. Le chercheur congolais propose de redéfinir un autre cadre de discussion tenant compte des avancées de ces deux processus.
« C’est peut-être la poursuite de Doha, ce qui serait dommage ce que les Africains aient échoué à résoudre leurs problèmes eux-mêmes, ou l’engagement sincère des protagonistes dans l’initiative des évêques de la Cenco et des pasteurs de l’ECC, une initiative qui a le mérite d’être congolaise avec une dimension régionale et internationale », a conclu Ithiel Batumike Mihigo.
Des intérêts qataris
À ce niveau des négociations, il est difficile de dire si le Qatar a un agenda caché, sachant que l’émir qatari a des intérêts à la fois en RDC et au Rwanda. Les objectifs étaient, selon l’analyste congolais Ithiel Batumike Mihigo, de sortir de l’impasse de deux processus régionaux et d’amorcer une désescalade entre les protagonistes. Il faut attendre voir si les résultats sur terrain seront à la hauteur de cette initiative.
Le Qatar dispose des intérêts économiques dans la région. Il y a quelques années, il était dans un partenariat à travers Primera Gold autour l’or du Kivu. Un partenariat qui n’avait pas permis au Rwanda de tirer profit d’un accord passé avec la RDC au sujet de la raffinerie de l’or. Du côté rwandais, il existe un partenariat avec Rwandair désormais interdit de survoler le territoire congolais accroissant de ce fait les heures de voyages. Ce qui peut avoir un coût économique non-négligeable. Par ailleurs, le Qatar essaie de se positionner depuis un certain moment comme acteur clé dans la résolution de nombreuses crises à travers le monde.

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Pour Fred Bauma, Le Qatar investit énormément au Rwanda avec un aéroport international en construction avec des collaborations entre Rwandair et Qatar et sur d’autres domaines aussi. Et le Qatar aussi a des bonnes relations avec la RDC. Donc c’est ça c’est plutôt un acteur qui peut parler aux deux. C’est aussi un acteur international qui a aussi intervenu dans d’autres conflits, ça part aussi de la posture internationale d’un acteur qui peut contribuer à des processus de paix et ce qui est intéressant pour le Qatar.
« Je ne sais pas si on peut parler des objectifs cachés, je pense que les objectifs de cette rencontre ou des autres rencontres d’ailleurs, c’est d’arriver à la désescalade, d’arriver à processus de paix finalement qui mette fin à ces conflits, est-ce qu’on va y arriver tout de suite ? Est-ce que ça va prendre du temps ? Je pense que ça va prendre du temps, mais c’est quelque chose à suivre », a tenu à préciser Fred Bauma.
Luanda, une fausse piste ?
« Luanda n’était pas une fausse piste. Car, elle est une initiative de l’Union africaine. Il est primordial que les dirigeants cessent de proclamer un panafricanisme de façade. On ne peut pas boycotter les initiatives africaines au profit de celles internationales tout en soutenant être panafricains », selon Ithiel Batumike Mihigo
« En ce qui concerne le processus de Luanda et de Nairobi, je pense que ce qui s’est passé au Qatar ne vient pas annuler les processus régionaux menés par la Sadec et l’EAC, ça devrait normalement permettre à ce que ce processus puisse évoluer un peu mais les chances de réussite sont encore à estimer. Quand on sait qu’évidemment les sanctions qui a eu à permettre à la RDC d’avoir de nouveaux arguments pour discuter et permettre au Rwanda peut être aussi de réaliser les coûts que peuvent être cette agression mais militairement sur terrain le M23 a toujours une avance et le cessez-le-feu qui a été déclaré et quelque chose qui est sensible et on ne sait on ne peut pas dire si ça va réellement suivi d’effet. Donc c’est quelque chose qu’il faut observer » c’est ce que pense Fred Bauma.
Il s’agit de la première rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame depuis l’escalade de la violence dans l’Est de la RDC, avec la prise des villes de Goma et Bukavu par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda.
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