Sur les pentes sud de l’île de Hvar et de la péninsule de Peljesac, des vignerons continuent de cultiver le plavac mali, leur prestigieux cépage rouge, bravant le changement climatique et l’engouement pour les vins blancs.
L
es pentes exposées plein sud plongent dans la mer Adriatique. Entre les veines de roches karstiques, la terre est couverte de minuscules parcelles de vignes délimitées par des murs de pierre. Des gobelets travaillés à la main. Nous sommes à Hvar, la quatrième île en superficie de Croatie. Un peu plus au sud, la péninsule de Pelje?ac offre le même paysage.
Tous ces coteaux sont le royaume du cépage plavac mali, appelé couramment « plavac », et que l’on peut traduire par « petit bleu ». C’est là qu’il s’épanouit le mieux aux yeux des Croates car il jouit du soleil, de la réverbération des cailloux blancs qui parsèment le sol et de la mer. Le bura, vent toujours présent, participe aussi à ces conditions idéales. La terre étant pauvre, ce cépage autochtone donne des rendements minuscules sur ces maigres coteaux, un demi-kilo par pied, quand il porte jusqu’à 1,5 kg dans des terroirs plus fertiles.
Le plavac mali est le troisième cépage le plus planté de Croatie (8 %) derrière le grasevina et la malvazija istriana, tous deux blancs. C’est ici, sur les côtes sud de Hvar et de Peljesac, qu’il a gagné sa réputation. Ana Mucalo, chercheuse à l’université de Zagreb l’a étudié. Elle explique qu’il est bourré de qualités : une peau épaisse et beaucoup d’anthocyanes. « Il résiste bien à la sécheresse. Il a toujours été cultivé car il ne déçoit jamais », ajoute-t-elle. Ces raisins noirs, très concentrés, donnent des vins aux forts tannins et à l’extrait sec élevé qui exigent des années d’élevage pour s’assouplir.
Mais avec le réchauffement climatique, les degrés explosent au point d’atteindre 16 %, voire 17 % vol. d’alcool, et les vendanges se font maintenant début septembre au lieu de début octobre. Pour autant, hors de question de l’abandonner. Vinifié seul, il fait partie des vins les plus chers de Croatie. Les Croates en boivent volontiers avec les plats traditionnels comme le « pasticada », de la viande marinée toute la nuit, ou du thon. Pour eux, il fait partie d’un art de vivre ancré dans leur histoire.
Andro Tomic est l’un des pionniers de la renaissance de la viticulture croate dans les années 1990. Sa cave est située au cœur du village de Jelsa, sur l’île de Hvar. Son fils Sebastijan, 46 ans, explique que le plavac occupe toujours une place prépondérante dans leur gamme. La cuvée Plavac Tomic est leur produit phare. Les raisins proviennent des pentes sud dédiées depuis toujours au cépage fétiche et d’une zone plus fraîche, au nord de l’île, où les Tomic ont établi un vignoble bio d’un seul tenant de 10 ha, dont 6 ha de plavac mali et le reste en cabernet-sauvignon.
« Ce vignoble nous donne des vins plus légers, moins structurés que ceux des pentes plein sud, avec des rendements plus élevés, ce qui nous permet de vendre la cuvée Plavac Tomic à un prix abordable », indique Andro Tomic. Les raisins de plavac subissent une extraction douce, et les vins sont ensuite élevés en foudre, afin d’assouplir ses tannins un peu trop agressifs.
Miljenko Grgic, dit Mike Grgich, est le créateur en 1977 de Grgich Hills dans la Napa Valley, en Californie. Quand il est revenu au pays en 1996, il s’est installé dans la péninsule de Peljesac pour se consacrer lui aussi au plavac. Il a transformé une ancienne base militaire en cave et fondé Grgic Vina. « Il voulait aider ses compatriotes en leur achetant leur raisin et ainsi maintenir la tradition », explique Ivan Vuckovic, jeune vinificateur dont le père gère Grgic Vina depuis sa création.
Toujours à Peljesac, Frano Milos et ses fils consacrent leur vie au plavac. Frano en a planté à Ponikve, un village et une nouvelle appellation dans une zone plus fraîche que les coteaux plein sud, où le cépage donne des vins moins corsés. Les Milos cultivent 15 hectares en tout, dont 13,5 de plavac qu’ils déclinent en trois étiquettes. Un rosé à 14 €, un rouge à 13 € et Stagnum, une cuvée élevée mise en vente après dix ans de vieillissement sous bois et en bouteille, vendue 70 €.
Pourtant, comme partout ailleurs, le consommateur veut du blanc, surtout en été où il fait de plus en plus chaud. « Notre île compte 335 ha de vignes en tout, à 70 % plantées de cépages noirs. Mais plus le temps passe, plus les touristes et les restaurants veulent du blanc », raconte Sebastijan Tomi qui plante des blancs dès que c’est possible. Du bogdanusa ou du posip, la star du moment en Dalmatie. Il aimerait en planter plus mais il n’est pas simple de trouver des terres, le foncier étant divisé en une multitude de petites parcelles appartenant à différents viticulteurs.
Grgic Vina augmente aussi sa production de posip. Pour cela, Ivan Vuckovic se procure des raisins à Korcula, l’île d’où ce cépage est originaire, et le ramène par bateau dans sa cave de Trstenik.
À Opuzen, sur le continent, juste en face de la péninsule de Peljesac, la famille Provic soulève un autre problème. « Les jeunes ne souhaitent pas travailler les parcelles pentues historiquement consacrées au plavac », regrette Vjetka Provic qui élabore les vins. Entre le réchauffement, la vogue pour les blancs et la difficulté à trouver de la main-d’œuvre, le sort du plavac ne tient plus qu’à ses ardents soutiens.
Le plavac mali du cru Dingac est vendu jusqu’à 70 € la bouteille. C’est le vin le plus cher de Croatie à l’aéroport de Split. Dingac est avec Postup, l’un des deux crus situés sur le flanc sud de la péninsule de Peljesac. Ce sont également les deux premières appellations d’origine de Croatie, reconnues respectivement en 1961 et 1967. L’hectare de cru Dinga peut atteindre les 200 000 euros. Mais il n’y a pas vraiment de marché : « Personne ne souhaite se séparer de ses terres familiales », livrent les vignerons locaux qui vendent leur raisin jusqu’à 3 € le kilo. Des vignes ancrées dans le patrimoine.
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