Critères d’éligibilité à la présidence de la République : La face émergée de l’iceberg | Gabonreview.com

 

En y regardant de près, certaines propositions exhalent des effluves de discrimination voire de stigmatisation. Or, le fond du débat c’est l’équilibre et la cohabitation entre l’exécutif et le judiciaire.

Si «des naturalisés gabonais» ont d’aventure pu être candidats à la présidentielle, ce n’est pas en raison de la souplesse supposée des critères. Mais du fait de la couardise de la justice et de la partialité de la Cour constitutionnelle dissoute. © GabonReview

 

Le Dialogue national inclusif (DNI) a pris fin le 30 avril dernier. Sur la vie politique et institutionnelle, comme sur l’économie ou le social, il a ouvert des pistes de réflexion. D’une manière générale, ses propositions visent à favoriser la «réappropriation du Gabon» par les nationaux. Mais, en y regardant de près, nombre d’entre elles semblent peu conformes aux engagements internationaux du pays en matière de droits et libertés. Pis, certaines exhalent des effluves de discrimination voire de stigmatisation, laissant entrevoir des débats passionnés, à mille lieues de la raison et de la froideur, pourtant nécessaires en cette période de «restauration des institutions». On pense particulièrement aux critères d’éligibilité à la présidence de la République ou d’accession à certaines fonctions, y compris dans la haute administration.

Couardise de la justice, partialité de la Cour constitutionnelle dissoute

Certes, aux termes de la Constitution en vigueur au 30 août, «tous les Gabonais des deux sexes, âgés de trente (30) ans au moins et jouissant de leurs droits civils et politiques» étaient éligibles à la fonction présidentielle. Mais, contrairement aux affirmations des contributeurs, les personnes ayant acquis la nationalité gabonaise ne pouvaient y prétendre, ce droit étant réservé à leur «descendance ayant demeuré sans discontinuité au Gabon (…), à partir de la quatrième génération». Longtemps attaqué sur son état-civil, soupçonné d’avoir acquis la nationalité gabonaise par voie d’adoption, accusé d’«inscription de faux  en écritures publiques», Ali Bongo avait-il réussi à contourner ce verrou ? On ne le saura jamais, la justice n’ayant pas eu le courage d’aller au fond de cette affaire, usant de subterfuges pour se débiner. Pis, invitée à se prononcer à son tour, la Cour constitutionnelle dissoute se déclara incompétente, rejetant tous les recours avant de valider la candidature querellée, sans se soucier des conséquences induites par une évidente litispendance.

Sur le fondement de ces faits historiquement vérifiés, on peut en convenir : si «des naturalisés gabonais» ont d’aventure pu être candidats à la présidentielle, ce n’est pas en raison de la souplesse supposée des critères. Mais du fait de la couardise de la justice et de la partialité de la Cour constitutionnelle dissoute. Pour régler un problème, il faut poser le bon diagnostic. Pour garantir le respect d’une règle, il ne suffit pas de la changer. Il faut d’abord en évaluer la pertinence. Il faut s’assurer ensuite du bon fonctionnement des organes en charge de son application. Tenaillés par le souci de faire carrière, les magistrats n’ont jamais affirmé leur indépendance face à Ali Bongo, alors président du Conseil supérieur de la magistrature. Le même constat vaut pour les membres de la Cour constitutionnelle dissoute, désireux de conserver leurs avantages et privilèges. Quant à la présidente de cette institution, ses liens familiaux sont constitutifs d’une suspicion légitime. Or, jamais, elle ne s’est récusée. Bien au contraire, la récusation ayant opportunément été interdite par le règlement de procédure.

Etablir un système de poids et contrepoids entre l’exécutif et le judiciaire

Au lieu de s’attaquer aux critères d’éligibilité, il fallait réfléchir à une réforme de la justice et de la Cour constitutionnelle. Il fallait chercher les voies et moyens de les rendre indépendants et de les affranchir de l’ombre tutélaire du président de la République voire de son influence. Abondamment évoqués, «les critères liés à la nationalité des candidats à l’élection présidentielle et de leurs conjoints» constituent la partie émergée de l’iceberg. Comment s’assurer de leur respect quand la justice est notoirement corrompue et aux ordres ? Comment en garantir l’application sans songer à l’indépendance de la juridiction constitutionnelle ? En réalité, le fond du débat c’est l’équilibre et la cohabitation des pouvoirs.  Autrement dit, il fallait songer à établir un système de poids et contrepoids entre l’exécutif et le judiciaire. Or, sur cette question, la sous-commission «Régime et institutions politiques» s’est étrangement voulue peu diserte.

Pays de grande tradition, doté d’une langue au rayonnement planétaire et d’une monnaie forte soutenue par une économie solide, le Royaume-Uni n’a pas de Constitution. Il n’a, de ce fait, jamais défini de critères pour accéder au poste de Premier ministre, équivalent de chef de l’Etat. Pourtant, tout y marche bien ou presque. Pourquoi ? Du fait de l’attachement de ses élites dirigeantes aux traditions et grands principes, notamment ceux théorisés par John Locke et Montesquieu. Au lieu de durcir les règles sans en évaluer l’impact sur la société, le Gabon doit rappeler les fondamentaux. Ainsi, pourra-t-il s’assurer du respect de la loi. Sans une justice indépendante et sans une Cour constitutionnelle libre, aucun critère ne sera jamais assez pertinent.

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