Dans “L’Amante anglaise” de Marguerite Duras, Dominique Reymond incarne une meurtrière sereine

Émilie Charriot adapte avec subtilité “L’Amante anglaise” de Marguerite Duras, roman inspiré d’un sombre fait divers de la fin des années 1940.

Lors d’une enquête, on cherche à réunir des faits, des indices, des preuves à même de tracer le crime. Dans L’Amante anglaise, Marguerite Duras cherche à frôler d’aussi près que possible l’inexplicable, à saisir ce qui échappe à la raison : le bond ultime du passage à l’acte. 

Dans la réalité, il s’agit d’un fait divers. En 1949, à Savigny-sur-Orge, Amélie Rabilloud assassine son mari et le coupe en morceaux qu’elle disperse, ici et là, notamment dans des trains de marchandise. Lors de son procès, elle sera incapable d’expliquer son geste. Le reconnaître, oui, lui donner une raison, non. 

Un mystère insondable

L’attraction de Marguerite Duras pour les faits divers découle de ce désir impérieux d’approcher l’insondable. De vouloir le cerner pour essayer de le comprendre. De dépiauter une vie pour en saisir le mécanisme. Pour ce crime-là, Duras s’y prend à plusieurs reprises : sous la forme de deux pièces de théâtre successives (Les Viaducs de la Seine-et-Oise, 1960 et Le Théâtre de L’Amante anglaise, 1991), entrecoupées d’un roman (L’Amante anglaise, 1967). Un passage à la fiction assumé qui modifie le meurtre initial et ses protagonistes. La femme se nomme Claire Lannes et tue sa cousine, sourde et muette. Répondant aux questions de l’interrogateur (Nicolas Bouchaud), le mari (Laurent Poitrenaux) puis l’épouse (Dominique Reymond) cherchent, au-delà des faits, à percer le mystère des affects au moyen de la pensée. Entreprise sisyphéenne.

La parfaite symétrie de l’écriture qui superpose deux récits, celui du mari puis de sa femme, ne parvient qu’à obscurcir définitivement le mobile du meurtre. Ni juge, ni policier, l’interrogateur parle en notre nom : il s’intéresse aux ressorts d’une vie conjugale encalminée.

Un trio d’acteur·ices marquant

À ce jeu-là, où seule la distribution de la parole donne du jeu à l’absence d’action, la mise en scène d’Émilie Charriot ajoute la vivacité des corps, reflets vibrants des émotions qui sourdent sous la peau des mots. Le détachement et la curiosité de Nicolas Bouchaud dans le rôle de l’interrogateur et la faconde, l’emportement et la sincérité de Laurent Poitrenaux en mari inconsistant, mais lucide face à la tranquille folie de son épouse – “Je crois qu’elle allait vers le crime. Peu importe qui était au bout.” – resteront pour longtemps en mémoire. Tout comme l’imperturbable sérénité de la femme à qui Dominique Reymond prête son sourire lumineux devant l’énormité de la tâche qu’elle accomplit depuis si longtemps : faire taire le grouillement des idées, effacer les traces, disparaître à soi-même comme aux autres. Y renoncer, tuer et, enfin, reconnaître : “Je suis sur le bord d’être heureuse.” Une belle chute.

L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, mise en scène Émilie Charriot, avec Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond. Aux Ateliers Berthier, Odéon théâtre de l’Europe, Paris, jusqu’au 13 avril.

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