De la Côte d’Ivoire à la France, « je suis arrivé les mains presque vides »

C’est son grand frère, Hakim (1), qui l’a prévenu. « La police te cherche, tu dois partir ! » Que prendre quand vous avez dix minutes pour boucler un sac et sans doute ne jamais revenir chez vous ? Dans son placard, Omar a saisi deux tee-shirts, un pantalon de toile, son maillot de foot porte-bonheur, avec « Messi » marqué dans le dos, un chargeur de portable, des barres de céréales et une enveloppe avec un peu d’argent. Sur un côté de l’enveloppe, une liste griffonnée de numéros à appeler une fois arrivé en France.

Omar a tout fourré dans un sac à dos. Et il a quitté la Côté d’Ivoire. Sa « faute » ? Avoir fait partie des opposants au président Alassane Ouattara. Il est monté dans une voiture qui l’a conduit vers la frontière et n’est jamais revenu depuis. C’était en 2020.

Lorsque huit mois plus tard, il a été sauvé par un bateau portant secours aux migrants en mer Méditerranée, il ne lui restait, de ce bagage originel, qu’un bout d’enveloppe avec les numéros, qu’il serrait roulé dans sa main. « Pendant le trajet, on vous prend tout », se souvient-il. Son maillot Messi, il l’a échangé contre de la nourriture, au Mali. Le tee-shirt, dont il se servait aussi, noué sur la tête, pour se protéger du soleil, il se l’est fait voler en traversant le désert, au Niger.

Il a un peu honte de l’avouer mais il a failli récupérer un sweat sur un cadavre. « Mais m’attaquer à un mort, ça aurait voulu dire que j’avais perdu toute dignité, toute humanité. » Les barres de céréales, elles ont vite été mangées. Le pantalon, il a été déchiré par les hommes qui l’ont maltraité en Libye, où il pensait trouver du travail et pouvoir économiser pour passer en Europe, mais a rencontré la violence et l’exploitation.

Il a des cicatrices sur le torse et les jambes. « Des brûlures de cigarette. » La Libye, c’était « tellement dur. On nous parquait dans des maisons, on nous faisait travailler comme des esclaves. On nous frappait. Ils riaient en me fouettant au niveau des jambes. »

Tee-shirt perdu, portable volé

Et puis un jour, « alors que vous ne savez pas comment vous allez survivre dans cet enfer, on vous dit que vous allez traverser ». Mais les difficultés continuent et le peu de possessions qu’il vous reste disparaissent. Le portable : il a été pris par les passeurs au moment d’embarquer pour rejoindre l’Italie. « Il faut tout négocier. Ils veulent séparer des familles, sauf si vous payez en plus. Ils vous font monter dans des bateaux mal gonflés, sauf si vous payez. » Le sac à dos ? Où l’a-t-il laissé ? Il ne sait plus.

L’exil est « une perte, un dépouillement », commente l’ancien étudiant en mathématiques de 22 ans. « Vous quittez votre famille, votre pays, et en plus vous perdez tout ce qui vous y rattachait. » En partant de la maison, il aurait voulu prendre des photos de famille, son diplôme, mais il a tout laissé derrière lui, faute de temps. « Une fois en Europe, où vous arrivez les mains presque vides, c’est comme s’il fallait tout recommencer. »

Alors il a essayé de recommencer. Par peur de perdre l’enveloppe avec les numéros de téléphone, par crainte que l’eau dilue l’encre, il avait tout appris, par cœur, au cas où. Il peut encore en réciter certains. En posant le pied en Italie, la feuille serrée dans sa poche, il a pu appeler un oncle éloigné, en France. Des associations humanitaires lui ont donné des vêtements, des chaussures. Il a reconstitué un trousseau. En participant à des chantiers, en travaillant dans des restaurants, il a gagné un peu d’argent, qu’il envoie à sa mère. Mais Omar fait partie des désenchantés du rêve européen. Et puis être sans papiers, ça lui donne « mal au ventre », à chaque fois qu’il sort.

Depuis quelques mois, il songe à reboucler son sac, pour faire le chemin dans l’autre sens – les dangers en moins –, et retourner au pays. Néanmoins il hésite, car revenir est mal vu : « Vous êtes un raté, un maudit. » Mais là-bas il y a sa famille, ses études qu’il voudrait reprendre, la situation politique qui s’est améliorée… En attendant, il sait qu’il a de la chance d’être vivant. Peut-être que son maillot de foot Messi lui a vraiment porté bonheur, finalement.

(1) Les prénoms ont été modifiés à la demande d’Omar.

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Une hausse de 8 % du nombre de personnes déplacées de force, par rapport à 2022

À la fin de l’année 2023, 117,3 millions de personnes étaient contraintes au déplacement à travers le monde. 68,3 millions l’étaient au sein de leur propre pays.

Au 30 juin, plus de 71 000 arrivées ont été comptabilisées au sud de l’Europe via la traversée de la Méditerranée. On estime à 785 le nombre de noyés ou de disparus.

Entre 2011 (fin du régime Gbagbo) et 2022, presque 200 000 réfugiés sont revenus en Côte d’Ivoire.

Source : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

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