«Debout dans l’orage»: défier l’abandon

Dominique Demers n’a que 14 ans lorsque sa mère est emportée par un cancer. Elle perdra aussi son père de façon subite. Puis, le même sort est réservé à son ex-mari, qui décède abruptement dans un accident. Nourrie par le sentiment d’abandon, mais aussi par ce désir inassouvi de dire adieu à ses proches, l’autrice investit le deuil, l’aide médicale à mourir, l’amitié et l’art dans un roman lumineux et riche de tous les possibles.

Depuis Stoneham où, peut-on imaginer, elle dévale les pentes avec la même énergie que ses personnages vibrants et audacieux, Dominique Demers fait une petite pause des pistes et confie au Devoir ce besoin d’écrire bien égoïste qui lui permet, dit-elle, de vivre plus d’une vie. Avec Debout dans l’orage, roman aussi élaboré que sensible tout juste paru chez Québec Amérique, elle se donne en fait la chance, non pas de refaire le passé, mais de vivre des adieux. Dans cette traversée, elle raconte l’histoire d’une vieille dame, Jacqueline Vignal, 84 ans, atteinte d’un cancer qui a le dessein d’écrire un ouvrage sur la résilience des animaux. Mathilde Leblond, quarantenaire célibataire, arrive de façon un peu inattendue dans sa vie et deviendra à la fois proche aidante et porteuse du projet littéraire de la vieille dame. Deux solitudes, deux âmes farouches et sauvages, troublées par des blessures enfouies, s’apprivoisent ainsi.

Tout en étant consciente qu’elle ne pourrait pas rejouer le passé, Dominique Demers « avai[t] envie de vivre un accompagnement [parce que] la vie ne [lui] permettrait probablement pas de le faire avec quelqu’un de proche, en tout cas sûrement pas dans une relation de deux générations », raconte-t-elle. Il y a ainsi cette prémisse qui est à la base du roman, mais aussi une discussion que l’autrice a eue il y a plusieurs années avec un ami médecin en soins palliatifs qui lui parlait de l’importance de « bien mourir », de « réussir sa mort ». Cette philosophie qui sous-tend l’importance de bien vivre cette inévitable étape a aussi beaucoup nourri la réflexion de Debout dans l’orage.

Transformer la tragédie en triomphe

L’écriture de ce dernier roman s’est aussi faite comme un acte de résistance et de résilience, un besoin d’avancer malgré les embûches. À l’instar de son personnage Mathilde Leblond, effrayée à l’idée de poursuivre l’imposant travail de sa vieille amie, Dominique Demers ne s’est pas plongée si facilement dans Debout dans l’orage. Amorcé pendant la pandémie, ce roman a été laissé de côté parce que l’autrice ne se sentait pas capable de poursuivre la recherche. Alors, comme pour faire diversion, peut-être, elle s’est lancée dans l’écriture d’un roman policier, pour lequel elle ne se sentait toutefois ni investie ni happée.

Or, après un « week-end littéraire » avec sa petite fille, Florence, elle décide de le jeter et de s’embarquer dans l’orage, guidée par Jacqueline. « J’ai dit : “Regarde, Dominique, ça te fait peur d’écrire le roman que tu voulais écrire, alors il faut que tu l’écrives.” […] Et j’ai rarement écrit de manière aussi intense que dans la dernière année […] j’ai vécu pour ça. Et j’ai adoré faire la recherche […] J’ai creusé des curiosités, tout le monde était généreux, et il y avait Jacqueline, qui m’embarquait dans des affaires… Ça n’avait plus d’allure […] À un moment donné, je me suis dit, un peu comme Mathilde dans le roman : “Ça suffit, là. Ça ne marche pas.” Mais il y avait une voix qui me disait : “Continue et, au pis aller, tu le jetteras.” […] Et ça se construisait lentement. C’est comme si cette Jacqueline-là savait ce qu’elle voulait. Puis, je sentais qu’elle me gouvernait. Je lui en voulais des fois. Elle compliquait les choses et je me disais : “Est-ce nécessaire d’être si compliqué ?” J’ai fini par découvrir pourquoi il fallait ça. C’était une belle année. »

Cette volonté d’avancer malgré la peur, malgré les drames ou les peines, participe du positivisme, qui pulse dans les veines de Demers. « Transformer la tragédie en triomphe », phrase phare du roman, reflète ainsi la mission qui s’inscrit au cœur non seulement de ce roman, mais de l’œuvre de l’autrice. Et « choisir, créer et participer » à l’art sous toutes ses formes — ici la peinture, la littérature et la musique — contribue selon elle à embellir et à changer le cours d’une vie. « Parce qu’il y a toujours de la lumière même quand on pense qu’il n’y en a pas […] Il faut créer la beauté, il faut cultiver notre capacité d’émerveillement […] Il faut la trouver et il faut la répandre. Parce que ça fait partie de la résistance sociale actuelle nécessaire… L’art va nous permettre de résister en nous incitant à visiter des valeurs qui sont plus difficilement accessibles dans les périodes de noirceur », raconte l’autrice.

S’armer de lectures

Inquiète de la politique américaine actuelle, Dominique Demers souligne ainsi, comme un acte de résistance, l’importance de la transmission, de partager non seulement l’art, mais aussi la lecture et l’écriture, afin d’assurer une capacité de réflexion. « Je pense que c’est le plus important. Je pense qu’il faut continuer d’écrire […] Et puisqu’il existe des livres pour tout le monde, comment peut-on accepter qu’il y ait tant de non-lecteurs ou de gens qui ne se sont pas épanouis autant qu’ils pourraient l’être en lecture ? […] Ça fait 20 ans que je dis qu’on devrait faire des recherches pour voir comment les enfants, dans leur apprentissage et dans leur relation à la lecture et à l’écriture, sont influencés par les médias électroniques. Et présentement, là, comme société — adultes, adolescents et enfants —, on risque de perdre notre capacité de réfléchir. […] Si nous ne sommes pas des fervents lecteurs […] nous n’aurons pas la capacité de lire des textes importants nuancés et nous irons vite, vite, vite faire plaisir à Trump […] Il y a 20 ans, je le disais : la lecture, ça change le monde. C’est comme ça qu’on emmieute le monde, et puis c’est encore plus vrai qu’avant, encore plus urgent qu’avant », conclut-elle avec conviction.

Debout dans l’orage

Dominique Demers, Québec Amérique, Montréal, 2025, 344 pages

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