Remarquées avec le remix de “Kalanakh”, Defa et Mamy Victory, nouvelles voix de la pop au Sénégal, mêlent rap en wolof, ampiano, afrobeats… avec une énergie explosive. À découvrir au festival Banlieues bleues à Aubervilliers, ce 11 avril.
Le duo sénégalais Def Mama Def : « Le feeling est passé immédiatement, c’était notre karma. » Photo Mao Sidibé
Par Anne Berthod
Publié le 11 avril 2025 à 14h30
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Elles ont débarqué de Dakar la rouge pour atterrir au pied des blanches pistes de La Clusaz, station de ski devenue la vitrine printanière très perchée des bonnes vibrations musicales du monde. Autant dire que Defa et Mamy Victory, les chanteuses pétulantes du groupe Def Mama Def, n’étaient pas là pour faire du chasse-neige. Le week-end dernier, nous sommes allées découvrir en live ce nouveau phénomène de la pop sénégalaise, histoire de vérifier, sous le chapiteau du Radio Meuh Circus Festival, si le remix ravageur du titre Kalanakh qui nous avait fait danser tout l’hiver n’était pas qu’un joli coup de platine orchestré par le label Blanc Manioc.
Il a suffi de les voir débouler sur scène, avec leurs cheveux roses et bleus, leurs ongles fluos et leur énergie bondissante, pour comprendre que l’âme du morceau n’était pas dans les brumes de synthèse ajoutées par le DJ congolais P2N, mais bien dans l’ADN percussif de ses autrices. Difficile d’imaginer, ce soir-là, que le duo végétait quelques heures plus tôt sous la couette, terrassé par la crève. « Passer sans transition de Dakar, où il fait 30 degrés, à la montagne nous a fait un coup de chaud-froid ! » nous diront-elles plus tard entre deux quintes de toux.
Shootées aux médicaments, les deux rappeuses sénégalaises ont fait remonter la température à leur manière : à coups de frappes démentes et de refrains accrocheurs, injectés de trap, d’amapiano et d’afrobeats, mais aussi de sons plus rétro. « On a grandi avec Thione Seck, l’Orchestra Baobab, Amadou et Mariam, Cheikh Lô, Salif Keita et toute la musique des années 60 à 90 qu’écoutaient nos parents », rappelle Mamy Victory, l’aînée de leur duo de trentenaires.
Le tube Kalanakh, par exemple, est un hommage en fusion amapiano à leur compatriote Doudou N’diaye Rose, grand maître du tambour sabar et inspiration majeure de leur pop crépitante. Sur un autre morceau, Jigeen (« femme » en wolof), c’est Youssou N’Dour que l’on entend, aussi bien dans la mélodie, inspirée par sa chanson pour enfants Sama Dom, que dans la voix de Defa, assez mimétique. « Defa est la chanteuse, tandis que je suis la rappeuse, mais il nous arrive aussi d’inverser les rôles. En réalité, nous sommes très complémentaires. »
Entre Defa, la go de Saint-Louis, qui préférait créer des chorégraphies à l’école plutôt que faire ses devoirs, ancienne choriste du groupe Daara J, et l’exubérante Mamy Victory, qui s’est fait un nom sur la scène hip-hop de Dakar, la rencontre en 2017 était même écrite : « La première fois que j’ai entendu parler de Def, c’est par une chanson d’amour que m’a envoyée mon mari, à l’époque où il me faisait la cour. Je l’ai reconnue dans une rue de la médina quelques années plus tard, en rendant visite à un ami qui la connaissait. Le feeling est passé immédiatement, c’était notre karma. »
Bientôt inséparables, les deux amies en osmose ont écumé les scènes live de Dakar, rencontré du monde, se sont aussi coachées l’une l’autre, dans l’esprit de partage et de sororité véhiculé par « Def Mama Def » : un jeu de mots et de prénoms wolof, qui signifie, en substance, « donnant donnant ». L’idée de former un groupe est venue de leur manager, Doudou Sarr, fondateur du Dakar Music Expo. « C’est là qu’il nous a repérées, en train de chantonner ensemble autour d’une table. »
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Le projet ? Faire de ses nouvelles protégées les ambassadrices d’une musique sénégalaise qui transcende les styles et les générations, en agrégeant de façon pop des rythmes piochés aux quatre coins du pays. « Nous voulons montrer que notre patrimoine ne se réduit pas au mbalax, qu’il inclut aussi la musique de la danse assiko, celle de la région du Fouta-Toro, celle de l’ethnie Lébou… » détaille Mamy Victory, véritable « encyclopédie musicale », à en croire sa partenaire. Sur scène, les rythmes se croisent et s’additionnent, corsés par un batteur affublé d’une cagoule pailletée et, aux claviers et programmations, Baay Sooley, directeur artistique du groupe et mari de Mamy Victory.
Forcément, le répertoire est éclectique et part un peu dans tous les sens, mais les productions sont addictives et l’alternance de salves rappées et de chants plus mélodieux fonctionne à plein. Leur gouailleuse énergie, leurs pas de danse montés sur ressort restent néanmoins leur atout le plus prometteur. « Dans nos textes, dans notre manière d’être, nous cherchons à galvaniser les femmes, à les inviter à prendre confiance, s’assumer, sans se juger, quitte à prendre la posture de la bad girl. Moi-même, je ne veux plus être considérée comme une fille qui fait du rap, je suis une rappeuse, point ! » Entre rap et pop, Def Mama Def ouvre aujourd’hui sur le champ de bataille des musiques urbaines africaines un nouveau front sénégalais, féminin, piquant, militant.
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