Depuis le coup d’Etat au Niger, comment la Russie a repris en main les activités du groupe Wagner en Afrique
« Nous sommes ici pour développer la coopération militaire entre la Russie et le Niger. » Le 11 avril, neuf mois après le coup d’Etat ayant renversé le président Mohamed Bazoum, la télévision publique nigérienne filme l’atterrissage d’un avion russe à l’aéroport de Niamey. A son bord : du matériel militaire de dernière génération et des instructeurs venus « former l’armée du Niger », annonce l’un d’eux, visage masqué. Ces hommes appartiennent tous à l’Africa Corps (AC), un nouveau dispositif russe déployé après la mort du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine, dans le crash de son avion en août 2023.
Comme Wagner, l’Africa Corps vise à renforcer l’influence de la Russie en Afrique. A ce jour, ses hommes sont essentiellement présents dans les pays du Sahel ayant connu de récents coups d’Etat : le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Leur objectif officiel est d’aider les régimes putschistes à se maintenir au pouvoir. Mais loin de l’autonomie affichée par Wagner, l’Africa Corps est directement contrôlé par le Kremlin.
La restructuration de Wagner a en réalité débuté au lendemain de la mutinerie avortée d’Evguéni Prigojine, en juin 2023. Lors du sommet Russie-Afrique organisé à Saint-Pétersbourg un mois plus tard, le patron de Wagner, artisan de l’influence russe sur le continent, fait figure de grand absent. En revanche, le général Andreï Averianov est présent. Il est pourtant le chef adjoint des opérations clandestines du GU (ex-GRU), le renseignement militaire russe, et son périmètre d’action est réservé jusque-là à l’Europe, rappelle Le Monde. « C’est lui qui est tenu responsable de l’empoisonnement de l’espion russe Sergueï Skripal au Royaume-Uni », explique à franceinfo Lou Osborn, enquêtrice auprès du collectif d’investigation en sources ouvertes All Eyes on Wagner (AEOW).
Durant l’été, le Andreï Averianov part en tournée en Afrique avec le général Iounous-bek Evkourov, vice-ministre de la Défense russe, étaye un rapport de l’Institut polonais des affaires internationales (Pism), sur la stratégie de l’Africa Corps. Les deux hommes se rendent au Mali, au Burkina Faso, en Centrafrique, en Libye… Ils rencontrent des dirigeants africains et des cadres de Wagner afin de les assurer de leur soutien. « La mutinerie de Prigojine a fait peur au pouvoir russe, qui a réalisé que Wagner avait acquis trop d’autonomie », analyse pour franceinfo Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
« A l’époque de Prigojine, Moscou avait juste un droit de regard sur les activités de Wagner. Désormais, le Kremlin veut contrôler ses activités. »
Djenabou Cisse, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégiqueà franceinfo
Pour reprendre en main ses activités, le Kremlin lance un nouveau label : l’Africa Corps. A l’instar de Wagner, dont le nom aurait été choisi en hommage au compositeur préféré d’Adolf Hitler, l’Africa Corps ne peux qu’évoquer l’Afrika Korps, le commandement des bataillons allemands ayant combattu en Afrique durant la Seconde Guerre mondiale. Sur X, la marque assure toutefois qu’il s’agit d’une coïncidence.
La première occurrence d’Africa Corps apparaît à l’automne 2023 « sur des blogs militaires russes proches du Kremlin », reprend Lou Osborn. Selon Le Monde, le label est cité le 20 novembre dans un message Telegram du blogueur militaire Deux Majors, déclarant qu’Africa Corps était « en cours de formation ». Par la suite, une chaîne Telegram officielle est créée, affichant clairement ses liens avec le gouvernement russe. En décembre, une première campagne de recrutement y est lancée. L’AC promet « une rémunération élevée », des « commandants compétents » ainsi qu’« une couverture médicale et tous les avantages sociaux ».
Depuis, le traçage des activités et des membres de l’AC demeure opaque. « Il n’y a pas d’unité qui porte ce nom. Il s’agit plutôt d’une marque-parapluie sous laquelle des hommes venant de différentes unités sont recrutés », explique Filip Bryjka, analyste au Pism. Certains sont passés par le front ukrainien, d’autres sont des officiers du renseignement militaire ou des membres de sociétés militaires semi-privées russes comme Redut et Convoy. En décembre 2023, le compte Telegram de l’AC affirme que la moitié de ses recrues sont d’anciens membres de Wagner.
« Le ministère russe de la Défense essaie progressivement de supprimer l’héritage de Wagner. Il sait que le groupe est toujours bien perçu en Afrique et que ses anciens leaders continuent d’être célébrés. »
Filip Bryjka, analyste à l’Institut polonais des affaires internationalesà franceinfo
En mars 2024, un premier campement russe de l’AC est repéré au Burkina Faso. Des images satellites compilées par Le Monde montrent une base à Loumbila, à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou. Quelques mois plus tôt, un accord de coopération avait été scellé entre le vice-ministre de la Défense russe et le capitaine burkinabé Ibrahim Traoré, souligne le compte Facebook de la présidence burkinabé. Le pays sahélien semble avoir été choisi comme pièce maîtresse du nouveau dispositif russe en raison de sa forte instabilité – menace terroriste et crise humanitaire – et de la rhétorique anti-occidentale de ses dirigeants, pointe un rapport de la FRS.
Our boys arrived in #BurkinaFaso 🇧🇫 today, ready to kill and destroy!
With the #AfricanCorps on its side, #Africa has a great future ahead 😉
War is our profession! #Russia pic.twitter.com/iZSLsuzpMz— The African Corps (@KorpusAfrica) January 24, 2024
Un mois plus tard, c’est au tour du Niger d’accueillir en grande pompe ses instructeurs. A ce jour, ces hommes ont aussi été aperçus au Mali, en Libye et en Centrafrique. « Il existe peu d’informations sur ce qu’ils font exactement, s’ils participent ou non à des combats », explique Filip Bryjka, mais dans une large mesure « ils se reposent sur les ressources, les infrastructures et le personnel existant du groupe Wagner. » Le canal historique de l’organisation n’a d’ailleurs pas disparu. Il reste présent, mais plus discret, dans les pays où il était solidement implanté, en Centrafrique, en Libye, et au Soudan.
A ce jour, les effectifs de l’AC restent modestes. Ses hommes « seraient aujourd’hui autour de 150 et 300 au Niger, entre 100 et 200 au Burkina Faso, entre 1 000 et 1 500 au Mali », même si ces derniers seraient en partie des hommes de Wagner, observe Djenabou Cisse. Des ordres de grandeur corroborés par l’analyste Filip Bryjka, qui rappelle qu’il s’agit de chiffres bien éloignés de l’ambition de départ de Moscou de recruter au moins « 20 000 hommes ». La Russie ayant déjà des difficultés à renouveler ses troupes en Ukraine, « elle aura du mal à maintenir un flux constant d’hommes en Afrique », suppose-t-il.
Pour renforcer ses équipes, Moscou délègue. Au printemps 2024, une nouvelle brigade russe, la Brigade Bear, est déployée au Burkina Faso, relève Le Monde. Bien qu’elle démente tout lien avec le Kremlin, elle est liée à la société militaire semi-privée Redut, elle-même contrôlée par le ministère de la Défense russe, selon les spécialistes interrogés par franceinfo et le média Center of journalistic investigations.
« Le pouvoir russe emploie des proxies qui ont une existence réelle mais qui ont signé un contrat avec les services de sécurité russes et sont sous leur commandement effectif. »
All Eyes on Wagnersur leur site
Selon le Center of Journalistic Investigations, des hommes de 22 à 50 ans ont signé des contrats avec cette brigade contre des salaires débutant à 220 000 roubles par mois (environ 2 300 euros). Une somme conséquente au vu du salaire mensuel moyen russe, qui oscillait autour de 700 euros en 2023, cite Reuters.
En parallèle, la Russie a lancé en septembre 2023 la plateforme African Initiative, pour poursuivre les opérations de déstabilisation et de propagande portées par Wagner via « le projet Lakhta ». L’African Initiative se présente comme une agence de presse dont le but est « la construction d’un monde multipolaire juste, sans néocolonialisme », « un monde où les pays d’Afrique peuvent être véritablement indépendants de la France », développe son rédacteur en chef, Artyom S.Kureev, auprès de franceinfo. Selon le média d’investigation russe The Insider, ce dernier est membre du FSB, le service des renseignements intérieurs russes.
« Certaines sources occidentales disent que je suis un haut fonctionnaire du FSB, d’autres que je suis un officier du renseignement militaire. Je suis moi-même vraiment confus ! »
Artyom S.Kureev, rédacteur en chef d’African Initiativeà franceinfo
Artyom S.Kureev nie tout lien avec Evguéni Prigojine. « Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais je connais beaucoup de super personnes de son équipe ! » précise-t-il, admettant avoir embauché l’ancienne attachée presse de l’organisation. En revanche, le directeur d’African Initiative, Viktor Lukovenko, est un proche de Wagner, développe Jeune Afrique. Né en 1985, Viktor Lukovenko a milité au sein de l’extrême droite russe et a passé cinq ans en prison pour un meurtre raciste. A sa libération, il a été recruté par les réseaux d’Evguéni Prigojine. A son sujet, Artyom S.Kureev insiste : « Il n’a jamais été mon patron, c’est un très bon expert de l’Afrique ! »
L’African Initiative soutient des médias locaux, organise des événements culturels et diffuse des messages sur les chaînes Telegram Afrikanistika, ou encore Smile and Wave. Selon une note du département d’Etat américain publiée en février, elle recrute aussi « dans la population africaine, des journalistes, des blogueurs et des membres du public chargés (…) de renforcer l’image de la Russie et de dénigrer celle d’autres pays. » Une affirmation démentie par Artyom S.Kureev. « Le recrutement des journalistes est absolument le même en France et en Russie. Nous recherchons des journalistes talentueux, des étudiants de dernière année à l’université », assure-t-il.
Cette nouvelle stratégie dans les pas de Wagner peut-elle réussir ? « Pour Moscou ce n’est pas risqué, car il n’y a pas vraiment de nouvelles ressources politiques ou économiques investies », analyse pour franceinfo l’historien britannique Mark Galeotti. L’Africa Corps, comme l’African Initiative, s’appuie sur des structures déjà en place. En revanche, « quoi que l’on pense d’Evguéni Prigojine, c’était un très bon négociateur qui avait réussi à monter tout un empire » capable d’étendre l’influence de la Russie. Cette puissance passait par l’exploitation des ressources naturelles des pays partenaires – or, diamants, bois – via une myriade d’entreprises contrôlées par le mercenaire. « La question est de savoir si ce business pourra continuer sans lui », reprend Mark Galeotti.
Les liens publics entre l’Africa Corps et le gouvernement russe risquent en revanche de signer la fin du « déni plausible » qui prévalait pour Wagner, reprend Filip Bryjka. « En niant tout lien avec l’organisation, le Kremlin pouvait rejeter toute responsabilité pour les exactions commises par ses membres ». Le groupe paramilitaire a notamment été accusé de violences contre les civils en Centrafrique et au Mali. « Mais je pense que la Russie continuera à brouiller les frontières pour se soustraire à ses responsabilités », déplore l’analyste. Moscou entend d’ores et déjà étendre ses partenariats. Lors de sa tournée en Afrique en juin, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est rendu en Guinée, au Congo-Brazzaville et au Tchad, dernier allié de la France au Sahel.
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