des adolescents sans smartphone racontent leur mode de vie en voie de disparition

Parmi les 12-17 ans, plus de 9 sur 10 possèdent un smartphone. Comment font les rares adolescents qui n’en ont pas ? Les relations avec les amis et les parents sont-elles différentes ? Franceinfo a interrogé plusieurs d’entre eux.

« Je pense que je dois être la seule de tous les élèves de terminales ! » Dans son lycée, Pauline* fait parfois l’effet du dernier des Mohicans. A 17 ans, l’adolescente originaire du Mans n’a jamais possédé de smartphone, ni même de téléphone portable à touches. « Je n’en ai jamais ressenti le besoin, et ça ne me handicape pas du tout ! »

Le profil de Pauline n’est pas unique, mais il est en voie de disparition. Parmi les 12-17 ans, 96% possédaient un smartphone en France en 2023, une hausse de cinq points par rapport à 2020, selon le Baromètre du numérique publié par l’Arcep et le Credoc. Cette banalisation s’accompagne d’inquiétudes chez certains parents, comme chez des responsables politiques, qui pointent les effets négatifs que pourraient avoir ces appareils sur les enfants et adolescents. Pour s’en prévenir, certaines familles font donc le choix de retarder au maximum cet achat pour leur progéniture.

Mais comment faire pour vivre à ce point à contre-courant ? A quoi ressemble la vie de ces jeunes et leurs relations avec les autres ? Franceinfo a recueilli les témoignages de huit adolescents concernés, par contrainte ou par volonté, pour mieux comprendre comment cette absence affecte leur quotidien.

Les parents de Pierre* font partie des chanceux. Ce dernier n’a ni le « besoin ni l’envie » d’être équipé d’un smartphone, assure à franceinfo l’adolescent de 14 ans originaire du Gers. Comme lui, d’autres reconnaissent que l’absence de téléphone comporte des bienfaits : impossible de passer tout son temps sur son écran quand on n’en possède pas. Avoir un téléphone à disposition « pourrait m’empêcher d’avancer dans mes études », admet Karim* (14 ans, Nord), qui explique être ainsi « moins perturbé dans [s]on travail » que certains camarades. « J’ai peur que ça constitue une source de distraction qui pourrait empiéter sur des occupations plus saines », abonde Pauline.

Il faut dire qu’autour d’eux, les mauvais exemples sont nombreux. « Un professeur a fait un bilan dans la classe et certains ont dit qu’ils pouvaient passer 10 heures par jour dessus pendant les week-ends ! », s’étonne encore Abel* (12 ans, Loire-Atlantique), qui « pense et espère » qu’il n’en ferait pas autant s’il avait un smartphone. « Certains disent à leurs parents qu’ils ont besoin d’un smartphone pour les prévenir [de leurs déplacements], et quand je les vois à la sortie du collège, ils sont tous sur les réseaux sociaux ou des jeux », soupire Karim avec une pointe d’envie.

« J’ai vu des personnes qui ont eu un smartphone et qui ont vraiment changé, qui sont devenues plus renfermées sur elles-mêmes. »

Pierre, 14 ans

à franceinfo

Plus rarement, c’est l’enjeu environnemental qui vient justifier cette abstinence. « Les smartphones ne sont pas du tout écologiques », dénonce Océane* (15 ans, Ariège), qui rappelle que ces appareils « utilisent des métaux rares » dont l’extraction est très polluante. La jeune fille, dont les parents travaillent dans le domaine de la culture, l’agriculture et l’associatif, assure « approuver » leur choix de remettre le smartphone à plus tard.

Mais pour d’autres adolescents, l’absence de smartphone peut vite être vécue comme une privation – y compris pour ceux qui comprennent le choix parental. Sujets évoqués sur les réseaux sociaux, mèmes repris partout sur internet, parties de jeux en ligne…  Pour eux, toutes les références partagées par le groupe deviennent lointaines, voire inaccessibles. « C’est un peu excluant », regrette Ulysse* (15 ans, Nord), qui confie avoir « créé un compte Instagram il y a deux mois sur l’ordinateur, pour moins [s]e sentir à l’écart ». « J’ai l’impression de rater pas mal de choses, renchérit Erwan* (14 ans, Vosges). Des sujets de discussions dont mes amis parlent, des références que je n’ai pas… »

Sans moyen de contacter ses parents ou ses amis facilement, sortir et se sociabiliser en dehors des cours est aussi plus difficile. « J’avoue que quelques fois, quand je suis à l’extérieur et que j’ai besoin de contacter mes parents, c’est compliqué », concède Pauline. « Je trouve que le téléphone est important pour améliorer la vie sociale des enfants. A l’entrée du lycée, ne pas avoir de téléphone, ça va être chaud… », assure aussi Lucas* (14 ans, Hauts-de-Seine). Sans compter que certaines institutions font parfois comme si tous les enfants en étaient équipés.

« Dans mon club de sport, tout est en ligne sur le site ou les réseaux sociaux, je ne peux accéder à rien moi-même »

« Même les profs partent parfois du principe que tout le monde à un smartphone sous la main et nous demandent de faire des recherches ou de participer à des quiz interactifs en classe », souligne Pauline.

Pour remédier à ces inconvénients, certains tentent de faire changer d’avis leurs parents. Avec plus ou moins de succès. « J’en ai souvent demandé un, mais mes parents ont toujours dit non », se désole Karim. « Si j’ai mention très bien au brevet, mes parents m’ont dit que je pourrai en avoir un », se réjouit de son côté Erwan.

Pour ne pas trop restreindre leurs ados, certaines familles leur accordent d’autres « écrans », comme un ordinateur ou une tablette, qui permettent d’accéder à certaines plateformes de messagerie ou aux jeux en ligne avec des amis. Mais sans poser de règles, les comportements qu’elles croyaient ainsi éviter peuvent revenir par la petite porte. « Je passe déjà deux ou trois heures par jour à jouer aux jeux vidéo sur mon ordinateur dans ma chambre, c’est un sujet qui revient assez souvent avec mes parents », concède Ulysse avec une pointe de regret. Pour limiter les dérives, il y a toujours la possibilité de mettre en place un contrôle parental, mais lui non plus n’est pas infaillible.

Dans d’autres familles, le smartphone n’est en réalité pas bien loin : les jeunes utilisent juste celui de leurs parents ou leurs amis. « Quand je veux parler avec mes potes, c’est par le téléphone de ma mère », décrit Lucas. « Comme mes camarades ont presque tous un téléphone, si je dois prévenir ma mère pour sortir, je demande le leur », raconte Karim.

II y a aussi l’indéboulonnable téléphone à touches ou à clapet, aux fonctionnalités limitées par défaut. « J’ai un téléphone à touches depuis la sixième, comme ça, je peux communiquer avec mes parents quand je pars de chez moi », explique Erwan. Mais lui non plus n’est pas plébiscité : « C’est vraiment pas pratique, on met super longtemps pour écrire le moindre message ! », peste le jeune homme.

« Mes parents m’ont proposé un téléphone à touches, mais ça ne m’intéresse pas. Je veux pouvoir jouer avec mes amis. »

Lucas, 14 ans

à franceinfo

Certains trouvent des parades plus originales (mais plus chères), comme Abel, dont les parents ont choisi une montre connectée Apple. « Je peux envoyer des messages à mes contacts, pas aller sur les réseaux sociaux, mais ça ne m’intéresse pas énormément. »

Il est plus facile pour les ados d’accepter ces limites quand de bonnes conditions sont réunies. Par exemple, quand l’établissement scolaire est tout près du domicile ou quand l’enfant ne demande pas à sortir régulièrement, ce qui réduit le besoin d’un téléphone pour les déplacements. Mieux vaut également que les adultes de l’entourage ne soient pas eux-mêmes toujours vissés à leur écran. « Quand mes grands-parents sont côte à côte, ils jouent au Scrabble sur leur smartphone ! », s’exclame Océane.

« Mon père passe sa vie sur son ordinateur. J’essaie de lui dire, des fois, mais bon… »

Lucas, 14 ans

à franceinfo

Autre point commun des ados interrogés par franceinfo qui tolèrent l’absence de smartphone : ils ont un emploi du temps bien rempli par de nombreux loisirs. Abel passe régulièrement ses après-midis au local pour adolescents situé à côté de son collège, fait du judo et du karaté trois soirs par semaine et lit beaucoup. Une passion partagée par Océane et Pauline, cette dernière faisant aussi de la harpe et du piano quotidiennement. Lucas fait du saxophone au conservatoire, de l’athlétisme et apprend des langues étrangères. Parfois hors de portée financière, ou indisponibles dans certains secteurs géographiques, ces activités ne sont néanmoins pas accessibles à tout le monde.

Et il ne suffit pas de charger l’emploi du temps de sa progéniture pour lui faire passer l’envie de technologie – ni de lui imposer des limites sans négociation. « Les barrières, ça m’énerve vraiment », peste Ulysse. « Mais moi aussi, je stresse de voir mes résultats baisser parce que je joue trop. J’aimerais travailler sur le fait d’y arriver par moi-même. » A chaque famille de trouver sa propre méthode.

* Tous les prénoms ont été modifiés.


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