Des humains dépeçaient des tatous géants en Amérique du Sud il y a plus de 20 000 ans

Le débat sur le peuplement de l’Amérique du Sud remonte aux débuts de l’archéologie moderne, vers le milieu du XIXe siècle. « C’est la question à un million : à quelle époque les premiers humains venus d’Amérique du Nord se sont-ils installés dans le Sud », énonce Nicolás Rascovan, biologiste responsable de l’unité Paléogénomique microbienne à l’Institut Pasteur (Paris).

Il a collaboré avec des chercheurs argentins à l’analyse du fossile d’un ancien « tatou géant », montrant des marques d’activité anthropique à une période où l’humanité n’était pas encore censée être présente dans le sud du continent. Cette étude dirigée par l’archéologue Mariano Del Papa, de l’université nationale de La Plata (Argentine), apporte de nouvelles et précieuses informations sur l’arrivée des premières populations humaines en Amérique du Sud.

L’équipe qui a dirigé la recherche (Miguel Delgado, Mariano Del Papa, Martin de Los Reyes) avec les restes de Neosclerocalyptus au Musée de La Plata, en Argentine. Crédits : Université nationale de La Plata.

Un tatou géant des plus anciens

La recherche menée par Mariano Del Papa et ses collègues débute véritablement en 2015 avec la découverte fortuite par l’archéologue Guillermo Jofré d’un nouveau fossile de glyptodon – un « tatou géant » – sur les bords de la rivière Reconquista au nord-est de la pampa argentine, dans la banlieue de Buenos Aires. Les ossements appartiennent à un spécimen du genre Neosclerocalyptus, qui pouvait atteindre 2 mètres de long pour plus de 350 kg. Mais ce n’est pas ce qui retient l’attention du chercheur.

Celui-ci a plutôt l’œil tourné vers des marques visibles à même l’os, et qui pourraient être d’origine humaine. A partir de cet instant, une équipe interdisciplinaire composée d’archéologues, de paléontologues, de biologistes et de géologues se forme afin d’étudier cette trouvaille plus en profondeur. Une étape-clé de ce processus est l’envoi d’un échantillon à l’équipe de Nicolás Rascovan pour réaliser une datation au carbone 14 du fossile.

« Notre unité de recherche s’intéresse à l’histoire des populations humaines d’Amérique du Sud. Ce n’était donc pas la première fois que je travaillais avec Mariano », explique Nicolás Rascovan. Ce dernier fait donc les tests… et reste interloqué devant les résultats qu’il obtient. « Je trouvais un âge proche de 21 000 ans ! », se souvient le biologiste.

Or, l’arrivée la plus ancienne soupçonnée jusqu’à présent remontait au maximum à 16 000 ans en arrière. Soit un écart de près de 5000 années ! Pour écarter toute erreur, l’équipe sur le terrain en Argentine décide de dater les couches sédimentaires situées au-dessus et au-dessous de la zone correspondant aux restes de Neosclerocalyptus. Et leurs propres résultats viennent confirmer ceux de Nicolás Rascovan…

Marques linéaires d’origine humaine réalisées sur la vertèbre caudale. Crédits : Mariano Del Papa.

Des traces de découpe et non de dents

La prochaine étape pour les archéologues argentins a consisté à analyser plus précisément les marques relevées sur les ossements. De prime abord, Mariano Del Papa rejetait l’origine animale et privilégiait l’origine humaine. Mais il restait encore à le prouver ! Pour cela, son équipe a effectué des scans 3D des éléments retrouvés du squelette de glyptodon (la partie postérieure de l’animal).

32 marques ont ainsi été repérées au niveau du pelvis, de la queue et de la cuirasse. Elles semblent correspondre à des traces de découpe à l’aide d’instruments lithiques : micro-stries dues aux mouvements de la pierre sur l’os, formes en V plutôt qu’en U comme avec les dents de carnivores…

De plus, les marques se concentrent sur des zones de l’animal connues pour être riches en chair. Finalement, Mariano Del Papa n’a plus aucun doute : ce glyptodon a été dépecé par des humains il y a presque 21 000 ans de cela.

Mais comment expliquer un tel recul dans la date du peuplement originel de l’Amérique du Sud ? « De précédentes études portant sur la génétique et l’ADN ancien avaient déjà mis en évidence le fait que les populations locales partageaient un ancêtre commun, vieux de 15 à 20 000 ans », souligne Nicolás Rascovan. Pour comprendre les 21 000 ans de la nouvelle étude, le biologiste propose des pistes à explorer. « Plusieurs vagues d’immigration ont pu avoir lieu, l’une d’elles étant mieux préparée que les autres et étant parvenue à perdurer jusqu’à nos jours.

Les précédentes populations se seraient soit éteintes, soit mêlées aux nouveaux arrivants de manière trop fragmentaire pour qu’on puisse observer leur apport génétique ». Et Miguel Delgado, co-auteur de l’étude, d’ajouter : « Ces preuves, ainsi que d’autres études récentes provenant de différentes régions du continent américain, suggèrent que les humains sont entrés pendant ou avant le Dernier Maximum Glaciaire. Ce qui implique qu’ils se sont adaptés avec succès aux conditions environnementales hostiles caractéristiques de cette période ». Dans ce cas, rien n’empêche la découverte dans les années à venir de traces plus anciennes encore de présence humaine au sud du continent américain.


Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.