Des policiers africains pour sauver Haïti de la dictature des gangs criminels

C’est l’une des missions les plus dangereuses de l’histoire des forces de paix

Elle ne se rend pas dans un pays en guerre, pas une guerre classique en tous cas ; mais dans un territoire, Haïti, en partie aux mains de gangs criminels armés.

Un millier de policiers kényans, suivis de 2000 Béninois et de contingents plus petits d’îles des Caraïbes, ont commencé à arriver à Port-au-Prince, sous l’égide de l’ONU, pour aider la police locale dépassée. Arriver dans la capitale haïtienne n’est déjà pas facile : l’aéroport international est fermé aux vols commerciaux depuis février, les gangs empêchent l’accès au port, et les accès routiers à Port-au-Prince sont bloqués par des hommes en armes.

Néanmoins, tout semble prêt pour cette mission en préparation depuis des mois, et qui semble bien modeste par rapport à l’ampleur du désastre. Mais les États-Unis et le Canada ont décliné l’invitation à envoyer des troupes, ils se contentent de financer l’opération : 300 millions de dollars pour les seuls Américains. Le président kényan William Ruto est attendu demain à Washington, parallèlement au déploiement de ses hommes.

Des avions militaires américains ont effectué plusieurs vols fortement sécurisés ces derniers jours pour acheminer du matériel pour la future force de police internationale. Mais pas question pour les États-Unis de déployer du personnel dans l’île, contrairement à plusieurs épisodes au cours des décennies précédentes.

Les policiers africains et caribéens viennent renforcer la petite force de police haïtienne de quelques milliers de membres, qui a bien du mérite à survivre dans l’enfer des gangs, des milliers d’hommes en armes qui, en toute impunité, contrôlent environ 80 % de la ville, tuent, violent et volent. Ils continuent de recevoir des armes de Floride par contrebande, malgré un embargo de l’ONU difficile à faire respecter.

La situation en Haïti s’est brutalement dégradée avec l’assassinat, en juillet 2021, du président Jovenel Moïse. Le Premier ministre très contesté qui assurait l’interim, Ariel Henry, a démissionné le 25 avril dernier. Il a été remplacé par un Conseil de transition de neuf membres, censé organiser des élections ; mais pour ça, il faut reprendre le contrôle de la capitale et rétablir la sécurité.

Il faut rétablir aussi l’autorité d’un État que l’expert de l’ONU pour Haïti, William O’Neil, décrivait lors d’un récent passage à Paris comme « fantôme ».

Pourquoi l’Afrique ? Haïti occupe une place spéciale dans l’imaginaire africain, en tant que première république noire de l’histoire moderne, à partir de 1804. Le Bénin y ajoute une dimension particulière : il partage une culture commune avec Haïti, celle qu’ont emportée les esclaves déportés du Golfe de Guinée, sur la côte ouest de l’Afrique ; la riche culture du peuple Yoruba dont les divinités survivent des deux côtés de l’Atlantique.

Que des policiers africains partent à l’aide de leurs lointains cousins caribéens autrefois victimes de l’esclavage a de quoi frapper l’imagination. Ça n’est toutefois pas une garantie de réussite, tant le défi semble au-delà de leurs moyens. Après plusieurs interventions internationales désastreuses dans l’histoire haïtienne, celle-ci a tout de la mission impossible.

Je me trouvais ce weekend au Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, où on attendait Lyonel Trouillot, un des grands écrivains haïtiens. Il n’a pas pu sortir de Port-au-Prince. Le journal « Le Monde » l’a joint chez lui, et lui a demandé ce qu’il entend, ce qu’il voit. Sa réponse est glaçante : « le bruit des balles, des cadavres et des détritus dans la rue. Des gens devenus spécialistes de la débrouillardise, qui essayent de vivre contre le malheur ».

Il faut espérer pour les Haïtiens que les policiers africains réussiront, et qu’ils ne se trouveront pas, à leur tour, embarqués dans ce « malheur » dont parle Lyonel Trouillot.

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