À la suite de l’appel lancé par le pape François dans son message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié célébré dimanche 24 septembre à une« analyse attentive de tous les aspects qui caractérisent les différentes étapes de l’expérience migratoire », La Croix Africa et La Croix International s’associent pour lancer Bakhitastories. Reprenant le nom de sainte Joséphine Bakhita, ce projet veut donner la parole aux migrants et à ceux qui les rencontrent tout au long de leur parcours.
Vous pouvez soutenir ce projet en donnant ici ou en envoyant votre témoignage à cette adresse : bakhitastories@la-croix.com
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« On n’a pas vraiment le choix. Notre pays ne nous donne pas l’opportunité de gagner notre vie et de vivre dignement. » Pour Olivier*, Ivoirien de 43 ans au chômage, père de quatre enfants, la seule issue possible à ses conditions de vie précaires est l’émigration vers l’Europe. Et s’il n’a encore jamais entrepris le parcours de migration clandestine, il est résolu à s’y lancer.
Plus jeune d’une décennie qu’Olivier, Ousmane a quant à lui déjà tenté de rejoindre cet Eldorado fantasmé, entre 2015 et 2018. Au cours d’un périple qui l’a conduit d’abord de la Côte d’Ivoire au Bénin par avion puis au Niger, en Algérie et au Maroc à pied, il a dépensé entre 1 500,000 et 2 millions de francs CFA (entre 2 800 et 3 000 €). Sans jamais arriver en Europe.
« C’est le désespoir qui m’avait poussé à quitter la Côte d’Ivoire, raconte-t-il. Je me suis dit qu’il n’y avait pas d’issue. On étudie, on cherche du boulot, on fait beaucoup d’efforts mais finalement cela ne sert à rien. » Au cours du trajet, « certaines personnes avec qui j’avais débuté sont mortes », sans pour autant faire dévier Ousmane de son but. « J’ai poursuivi car de toute façon, j’avais le choix entre la mort et la vie. »
« Les gens se battaient pour de la nourriture »
Pour les femmes, le trajet migratoire est encore plus dangereux. Il y a une dizaine d’années, Sylvie se donne pour but de rejoindre l’Italie. Pour cela, elle commence par embarquer dans un avion, direction la Tunisie. Là, elle rencontre un footballeur professionnel avec qui elle se met en couple. « Tout allait bien tant qu’il jouait avec son club, se rappelle-t-elle. Mais son contrat a pris fin et n’a pas été renouvelé. Nous avions un enfant et j’étais enceinte d’un autre. Il m’a alors poussée à reprendre la route vers l’Europe. Il m’a assuré que comme j’étais enceinte et que j’avais un enfant en bas âge, les gens auraient pitié. »
Erreur. « Ce fut le calvaire. » Le trajet entre la Tunisie et la Libye fut interminable pour la jeune femme enceinte et son enfant en bas âge. Marchant de longues heures, privés de nourritures, ils sont refourgués de passeurs en passeurs avant d’être abandonnés à eux-mêmes dans le désert libyen. Mi-2017, ils aboutissent dans un centre pour migrants. « La vie était difficile, confie en secouant la tête celle qui a désormais 41 ans. Les gens se battaient pour de la nourriture, certaines femmes en arrivaient à se prostituer pour sauver la vie de leur compagnon. » Si Sylvie est rentrée en Côte d’Ivoire, elle est marquée à jamais.
Sally, 28 ans, mère célibataire, est une des compagnes d’infortune de Sylvie. Pour elle, l’aventure a commencé par un rabattage sur les réseaux sociaux. « Une amie qui était en Tunisie m’a contactée sur Facebook pour me proposer d’aller travailler là-bas, raconte-t-elle. Elle m’a dit que c’était bien payé et a même payé mon billet d’avion. » Une générosité qui s’est révélée intéressée. « À mon arrivée en Tunisie, poursuit la jeune femme, mon amie a pris tous mes papiers et m’a mise sous contrat. Quand on est sous contrat, la personne qui a payé le billet d’avion prend tout le salaire pendant une période allant de cinq à sept mois. » Pendant de longues semaines, Sally travaille jusqu’à 19 heures par jour pour rembourser le « contrat ».
Sa dette acquittée, Sally peut reprendre son chemin vers l’Europe, via la Libye. Des passeurs lui proposent de lui faire faire le trajet, moyennant 1 200 € – toutes ses économies. Elle aussi abandonnée des passeurs, elle se retrouve sans eau ni assistance dans un campement de milliers de personnes. « Un jour, se souvient Sally, des rebelles ont attaqué notre camp. Nous avons commencé à fuir mais ils ont tiré dans le tas. Un jeune Camerounais de 18 ans est tombé, touché à la jambe. Nous n’avons rien pu faire pour l’aider. »
Racisme, viol, violence et mort
La jeune femme a quant à elle été rattrapée par les assaillants. « Ils nous ont emmenés dans des maisons abandonnées. Ils nous ont ensuite entièrement déshabillés pour nous fouiller et prendre notre argent. Comme nous n’avions plus d’argent, certains ont voulu abuser de nous. Je n’ai dû mon salut qu’au fils adolescent d’un des rebelles qui suppliait son père de ’ne pas faire ça’ ».
Adeline a quant à elle dû subir le racisme quotidien en Algérie et en Lybie, dans sa tentative de rejoindre l’Europe. « Quand je sortais dans la rue on m’injuriait, on me traitait de sale noire. Cela m’a cassée, je me suis repliée sur moi et je ne pensais plus qu’à rentrer en Côte d’Ivoire. »
Racisme, viol, violence, mort parsèment la route de ces migrants. Jules, 25 ans, ne doit la vie qu’à la trahison de ses compagnons. « Deux amis m’avaient convaincu de migrer avec eux en passant par le Niger. À notre arrivée là-bas, ils m’ont volé les 600 000 francs CFA que j’avais épargnés pour financer mon voyage. » Grâce à l’aide d’un véritable ami, il parvient à rebrousser chemin vers la Côte d’Ivoire. Quant aux voleurs, le larcin ne leur aura pas profité : « eux sont morts au cours de la traversée de la Méditerranée ».
Comme Jules, Ousmane, Sally et Sylvie sont revenus en Côte d’Ivoire. Traumatisés. « Quand je suis rentrée, j’ai passé un mois sans parler tellement le choc avait été violent », confie Sally, encore « hantée » par l’image du jeune Camerounais tombé lors de l’attaque des rebelles. C’est justement le traitement inhumain infligé aux migrants en Tunisie et en Libye – et dont les vidéos sont largement publiées sur les réseaux sociaux – qui a dissuadé Marthe, 38 ans, de se mettre en route vers l’Europe « J’avais déjà remis 150 000 francs CFA (230 € environ) à un passeur, mais les images de torture des migrants et les conseils prodigués par ma mère m’ont fait renoncer à partir. De plus, une de mes amies a beaucoup souffert au Maroc et une autre est morte en Libye ».
La liberté de rester
Depuis mars dernier, l’épiscopat ivoirien a mis en place un programme pour venir en aide tant à ceux qui sont de retour après une émigration échouée qu’à ceux qui voudraient d’entreprendre la traversée. Un accompagnement psychologique est ainsi offert à une soixantaine de migrants de retour et à une quarantaine de jeunes défavorisés tentés par la migration. « Les migrants sont vulnérables et ont souvent vécu d’importants traumatismes au cours de leur parcours migratoire », précise le père Emmanuel Aka Amon, secrétaire exécutif national de la sous-commission épiscopale du migrant, du réfugié et des personnes en déplacement.
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A 34 ans, Moussa fait partie de ces « migrants potentiel » pris en charge par l’Église ivoirienne. Ce jeune homme architecte d’intérieur, également carreleur, électricien et ébéniste a longtemps nourri le désir de migrer vers le Canada. « J’étais très motivé pour partir, mais maintenant je me dis que je vais tellement exceller dans mon domaine que les gens viendront me chercher de partout pour valoriser mon travail. » Même son de cloche du côté Philomène 40 ans, restauratrice, diplômée en marketing et en management. « Il fut un temps où le chômage et les difficultés m’avaient poussée à vouloir migrer vers les États-Unis, reconnaît-elle. Grâce à l’Église catholique, j’ai suivi une formation en entrepreneuriat. La migration ne m’intéresse plus sauf peut-être pour aller en vacances et revenir. Je ne peux pas dire que tout va bien pour moi, mais j’ai le minimum et je suis chez moi. »
L’Église n’est pas la seule à offrir de tels accompagnements. Après son retour du Maroc en 2018, Ousmane pour sa part a été pris en charge par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), une structure onusienne. « Grâce à l’OIM, j’ai pu suivre une formation en agronomie, salue-t-il. Je me suis dit que comme j’avais tout perdu, je devais reprendre à zéro en commençant par la formation. » Cinq ans plus tard, il trouve des « petits boulots » est marié et est père de deux enfants. Et bien décidé à rester en Côte d’Ivoire.
* Tous les prénoms des migrants et migrants potentiels ont été changés
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