deux ans après le début de la guerre, la reprise de Khartoum ne signe pas la paix

La « libération » de Khartoum, annoncée le 26 mars par le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhan, est synonyme de soulagement pour de nombreux Soudanais. « L’armée nous traite mieux et assure notre sécurité », résume Maryam (1). Cette infirmière en formation a échappé de peu aux griffes des Forces de soutien rapide (FSR), en guerre contre les Forces armées soudanaises (FAS) depuis deux ans. Les paramilitaires ont en effet commis des violences sexuelles et d’autres exactions à grande échelle. « Les FSR sont venus chez nous et ont volé notre monnaie, notre or et nos téléphones, raconte Maryam. Ils ont battu notre frère jusqu’à ce qu’il saigne du dos et ils nous ont insultées, ma sœur et moi. Alors nous sommes partis à Atbara, au nord de Khartoum », poursuit la jeune femme, qui est revenue chez elle lorsque l’armée a repris le contrôle de la capitale.

Au même moment, d’autres riverains ont, eux, fait leurs bagages. Car les militaires et les milices alliées persécutent les populations originaires des bastions des FSR. Dès le 3 avril, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit « profondément choqué » face aux « informations crédibles faisant état de nombreux cas d’exécutions sommaires de civils dans plusieurs quartiers de Khartoum, apparemment soupçonnés de collaboration avec les Forces de soutien rapide ».

Une énième désillusion

Ibrahim* témoigne de cette énième désillusion pour des civils dont le quotidien a été profondément bouleversé depuis le 15 avril 2023. Les affrontements ont en effet généré la plus grave crise humanitaire du globe, déplaçant plus de 12 millions d’individus. « C’était un sentiment très particulier. Nous pensions en avoir fini avec l’insécurité qui régnait avec les FSR, explique ce jeune médecin. Pendant près de deux ans, nous n’avons eu ni sécurité, ni liberté, ni application du droit, ni électricité, ni eau et autres produits de première nécessité… »

Et puis, cet habitant du quartier de Kalakla, dans le sud de Khartoum, a assisté à une scène glaçante. « Des soldats qui portaient l’uniforme de l’armée ont décapité un homme qu’ils soupçonnaient d’avoir collaboré avec les FSR. J’ai vu de nombreuses personnes mourir à cause des bombardements et des coups de feu, mais je n’avais jamais vu cela. » Ayant lui-même travaillé dans un hôpital sous contrôle des FSR, notre témoin craint d’être à son tour dénoncé. Les bénévoles des Salles d’intervention d’urgence, au rôle indispensable dans l’acheminement de l’aide humanitaire, sont également régulièrement accusés de collaboration tout comme de simples vendeurs qui ont approvisionné les marchés dans les quartiers sous le joug des paramilitaires.

« J’évite de sortir de chez moi »

La peur d’être suspecté est décuplée pour les Soudanais originaires du Darfour, d’où viennent les miliciens Janjawids, officialisés sous le sigle de FSR en 2013, par le dictateur Omar el-Béchir évincé par la révolution de 2018. « J’évite de sortir de chez moi, ou alors uniquement pour acheter de la nourriture et de l’eau », confie Hassan. Ce natif de El Fasher, la capitale du Nord-Darfour, a observé, dans le quartier Soba, à Khartoum, une exécution extrajudiciaire, depuis sa fenêtre. « C’était le 3 avril. Des militaires ont abattu un civil par balle car ils le suspectaient d’appartenir aux FSR… » Beaucoup de proches de Hassan ont quitté la capitale lorsque les FAS ont gagné du terrain. Mais il se retrouve, lui, désormais pris au piège. « Quiconque tente de partir en ce moment est interrogé sur ses racines, sur les raisons pour lesquelles il est resté pendant ces deux années, précise le jeune homme. Les membres de l’armée deviendraient agressifs s’ils apprenaient que je viens du Darfour. » Cette stratégie consistant à s’en prendre aux populations natives des zones acquises aux FSR a émergé dès les premières heures du conflit.

Le silence des responsables de l’armée 

« Les FAS bombardent systématiquement et délibérément les marchés ou encore les points d’eau où les troupeaux se regroupent. Tous les centres urbains contrôlés par les FSR ont été attaqués par l’aviation militaire. Cela s’inscrit dans une doctrine de punition collective de l’ensemble des couches sociales servant d’incubateur à ceux qui font la guerre contre le gouvernement central », analyse Suliman Baldo, le fondateur du centre de réflexions Sudan Policy and Transparency Tracker. Les exactions au sol visent les personnes originaires de l’ouest et du sud du Soudan, mais aussi du Soudan du Sud voisin, nation devenue indépendante en 2011.


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Les massacres perpétrés dans l’État de Al Jazira, à 200 km au sud de Khartoum, lors de sa reconquête par les troupes régulières en janvier, avaient d’ailleurs entraîné une escalade diplomatique avec Juba. Les résultats de l’enquête promise par le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhan, n’ont toujours pas été rendus publics. « Certaines unités de l’armée soudanaise ont été identifiées comme des brigades de la mort par les témoins et les victimes ayant survécu à ces exactions, reprend Suliman Baldo. Parmi elles, la brigade djihadiste Al-Bara Bin Malik et l’Unité de l’action spéciale. Or les généraux ne cherchent pas à les arrêter dans la mesure où elles représentent le fer de lance des offensives de l’armée. » 

(1) Ces prénoms ont été modifiés par mesure de sécurité.

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