Truffé de notions et expressions chères aux mouvements d’extrême-droite, le rapport de la sous-commission «Régime et institutions politiques» porte les germes d’une fracture de la société.
Depuis bientôt neuf mois, le Gabon vit une époque peu ordinaire, à la fois porteuse d’incertitudes et de promesses de lendemains meilleurs. Annoncé de longue date, présenté comme une «étape majeure dans le processus en cours», le Dialogue national inclusif (DNI) a suscité de l’espoir. Légitimement, les Gabonais en escomptaient beaucoup. Sur le fonctionnement des institutions et services publics, comme sur la réforme de la justice, l’élargissement de l’espace civique, la lutte contre la corruption ou la redistribution de la richesse nationale, ils en attendaient des recommandations audacieuses, innovantes, opérantes, répondant aux enjeux du futur. Au final, il leur a été servi une rhétorique relevant d’un «nationalisme échevelé» consacrée par «des mesures taillées au sabre, allant de la privation temporaire (des) droits civiques (de) certains compatriotes (…) à l’ostracisation des concitoyens venus d’ailleurs ou mariés à des mauvaises personnes», selon le constat de l’universitaire et essayiste Marc Mvé Békalé.
Un exercice de basse démagogie
Faut-il «dissoudre le PDG et les partis politiques alliés de la majorité» ? Faut-il frapper ses cadres d’inéligibilité pour une période pouvant aller jusqu’à 15 ans ? Faut-il «consacrer dans la future Constitution la préférence nationale au profit des Gabonais de souche dans tous les domaines de la vie de la nation» ? Si des contributeurs l’ont effectivement suggéré, tout ceci procède du ressenti voire d’un désir de vengeance. En aucun cas, cela ne s’inscrit dans une démarche raisonnée et maîtrisée, fondée sur des textes et des extrapolations scientifiques. En reprenant ces affirmations, les membres de la sous-commission «Régime et institutions politiques» se sont livrés à un exercice de basse démagogie, refusant d’évaluer la pertinence, la faisabilité et les conséquences de telles suggestions. À l’évidence, leur objectif n’était pas de «proposer des orientations appropriées (…)», mais de flatter les passions populaires à des fins connues d’eux seuls.
En préconisant la suspension des partis sans en référer aux lois en vigueur, ils se sont posés en hérauts de l’arbitraire. En suggérant des peines d’inéligibilité, ils ont marché su les plates-bandes du juge judiciaire, laissant l’impression de chercher à peser sur des procès éventuels. En énonçant leurs critères d’éligibilité à la présidence de la République, ils se sont présentés en chantres de la discrimination et du rejet de l’autre, foulant au pied les dispositions de la Charte de la Transition. Au final, ils ont refilé la patate chaude au président de la Transition, désormais appelé à trancher, avec tous les risques induits. Obéissaient-ils à une consigne inconnue du grand public ? Mettaient-ils en musique un scénario écrit d’avance et en d’autres sphères ? On ne le saura jamais. Pour l’heure, on les renverra à l’article 11 du décret n° 0115/PT-MRI du 8 mars 2024 portant convocation et organisation du DNI. Mieux, on les invitera à le méditer puis à dire comment appliquer des mesures contraires aux termes de la Charte.
Nationalisme étroit et rétrograde
La conformité des recommandations aux termes de la Charte est une préoccupation réelle, à traiter avec froideur, loin de la désinvolture et de la légèreté affichées par la sous-commission «Régime et institutions politiques». Dans les tout prochains jours, ce sera certainement l’une des tâches du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). De même, le CTRI devra se pencher sur les éventuels effets de ces mesures sur le vivre-ensemble, le fonctionnement de l’Etat et l’image du pays à international. Traumatisés par les souffrances endurées sous le règne d’Ali Bongo, les contributeurs ont laissé éclater leurs émotions. Mais, les délégués n’ont pas été guidés par le désir de «conduire (le pays) vers une démocratie et un État de droit véritables». Truffé de notions et expressions chères aux mouvements d’extrême-droite, leur rapport porte les germes d’une fracture de la société. Était-ce leur objectif ? Ou leur mandat ?
Face à ce monumental dérapage, l’indifférence serait mauvaise conseillère. Comme le dit Romuald Assogho-Obiang, enseignant-chercheur à l’Université Omar Bongo, il faut interroger «le bien-fondé et l’opérabilité» de certaines recommandations. Comme le suggère encore Marc Mvé-Békalé, «le nouveau récit du Gabon, loin de la grammaire et d’un nationalisme étroit et rétrograde, s’articulera autour des principes de la République, (idée) protectrice de tous les citoyens». La bête immonde ayant laissé entrevoir sa silhouette au loin, démocrates et défenseurs des droits humains doivent la repousser, peu importent leurs bords politiques. À cette fin, ils doivent se mobiliser, alimenter le débat et y prendre part, imbus des valeurs républicaines et avec la volonté de les faire triompher.
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