Jeudi 13 mars, la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le cinéma a reçu le producteur et ex-agent de stars. Au cours d’un échange parfois houleux, celui-ci, critiquant certaines victimes, s’est posé en homme d’“un ancien monde”.
Dominique Besnehard était entendu à l’Assemblée nationale, à Paris, ce jeudi 13 mars. Capture d’écran YouTube
Publié le 14 mars 2025 à 14h45
Le 9 octobre 2024, plus de six ans après le lancement du mouvement #MeToo, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité la création d’une commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Depuis, le groupe d’élus présidé par Sandrine Rousseau, députée Europe Écologie Les Verts de Paris, multiplie les auditions : Rachida Dati (actuelle ministre de la Culture), Roselyne Bachelot (ancienne ministre de la Culture), Costa-Gavras (président de la Cinémathèque française), Catherine Corsini (dont le film Le Retour a été sanctionné pour le tournage d’une scène de sexe simulé entre deux mineurs sans l’autorisation de la Direction régionale du travail), Pierre Niney, Gilles Lellouche, les producteurs Hugo Sélignac ou Olivier Delbosc… Beaucoup de grands noms du septième art y sont passés, en demandant parfois le huis clos.
Ce jeudi 13 mars après-midi, « à quelques jours de la finalisation du rapport de la commission », comme le rappelle sa présidente, c’était le tour de Dominique Besnehard, ancien directeur de casting et agent de stars. Fort de l’expérience de cinquante ans de carrière, le désormais producteur a côtoyé moult « monstres sacrés » du cinéma à une époque où la parole autour des violences sexistes et sexuelles n’était pas aussi médiatisée qu’aujourd’hui. « J’appartiens à un ancien monde », rappellera d’ailleurs l’homme de 71 ans à plusieurs reprises.
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Un argument qui ne tiendra pas longtemps face aux questions de la commission, auxquelles Dominique Besnehard répond souvent de manière confuse, se reposant sur un sempiternel name dropping qui ne parvient pas à dissimuler des propos controversés. Ainsi, pour le producteur, certaines actrices ont « un peu dépassé les bornes ». « On ne va pas dans un hôtel avec un metteur en scène », assène-t-il après avoir souligné que « généralement, les cours de théâtre, on ne les prend pas au domicile d’un acteur ». Il fait ici respectivement référence à l’affaire Weinstein et à une plainte déposée contre Gérard Depardieu.
« La personne qui les invite n’est donc pas responsable ? » lui demande Sandrine Rousseau. Dominique Besnehard répond avec une pirouette, citant Nathalie Baye, Marlène Jobert ou encore Anouk Aimée, qu’il a longtemps côtoyées, et qui, selon lui, « ne seraient jamais allées dans une chambre d’hôtel ».

Sandrine Rousseau, présidente de la commission d’enquête parlementaire sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma. Capture d’écran YouTube
Lorsqu’on le confronte à ses propres contradictions – ne dit-il pas ensuite que le mouvement #MeToo est important ? –, Besnehard s’agace, surtout lorsque l’on évoque la pétition en soutien à Gérard Depardieu, parue dans Le Figaro en décembre 2023 et dont il est l’un des signataires. « Je regrette d’avoir signé la pétition, parce qu’elle a été lancée par un mec du RN [Rassemblement national], mais je l’ai signée parce que je me suis dit que tout le monde était après Depardieu. » Il raconte avoir rencontré l’acteur, mis en cause dans plusieurs affaires, à une époque où ce dernier était « au firmament » : « Il n’était pas l’homme qu’on a vu après. Vous croyez que Truffaut aurait travaillé avec quelqu’un de malade ? »
Cet argumentaire ne suffit pas à Sandrine Rousseau. « Vous êtes un homme de pouvoir dans le cinéma français, observe la députée. Votre vision de la place des violences, de la manière dont on doit réagir face aux violences, de celles qui ont du courage et de celles qui en ont moins, façonne le cinéma français. Quand vous avez des propos dénigrants sur les personnes qui parlent, vous envoyez un message. » Et le ton monte. « Si c’est mon procès, je me taille ! […] Vous n’êtes pas là pour me faire la morale, madame ! » lance Dominique Besnehard.
Toutes les victimes nous ont relaté des agressions multiples, qui arrivent de manière régulière dans leur carrière.
Sandrine Rousseau, présidente de la commission d’enquête parlementaire
« S’il y a bien quelqu’un qui est féministe, c’est moi, poursuit-il. Tout le monde vous dirait que je traite les femmes comme personne. À Angoulême [le Festival du film francophone qu’il a cofondé en 2008, ndlr], j’ai fait un jury entièrement féminin à une époque où #MeToo n’existait pas. » Un coup de sang qui n’a surpris personne, Besnehard ayant, à plusieurs reprises déjà, exprimé tout le mal qu’il pensait de la présidente de la commission – « Elle m’horripile », confiait-il ainsi à nos confrères de Ouest-France en novembre 2022.
Le débat finit par s’apaiser. Des rires sont même échangés, après le parallèle fait par Dominique Besnehard entre Sandrine Rousseau et une « Agrippine » dont tout le cinéma français aurait « peur ». Les échanges reprennent autour du modèle économique des agences d’acteurs, rassemblées sous deux enseignes seulement (Adéquat et UBBA), et donc difficilement propice à la concurrence. Les formations aux violences sexistes et sexuelles mises en place par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) sont également abordées. « Au début, quand j’y suis allé, ce n’était pas très bien organisé, la présentation de la dame n’était pas au point. Mais les films présentés, le montage étaient bien. Depuis, tout le monde a fait cette initiation, et tant mieux », témoigne le producteur, avant de préciser avoir envoyé les équipes du festival d’Angoulême suivre cette formation.
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C’est Sandrine Rousseau qui aura le dernier mot, rappelant à Dominique Besnehard que « #MeToo est un mouvement social d’ampleur. Toutes les victimes nous ont relaté des agressions multiples, qui arrivent de manière régulière dans leur carrière. Loin de la morale, comme vous l’évoquiez tout à l’heure, la question est de savoir comment on fait respecter le corps des personnes. Sans doute le cinéma a-t-il perdu des talents parce que plein de personnes ont subi des choses qu’elles n’avaient pas à subir. Il y a eu une forme de complaisance. Vous qui dites tout le temps que vous êtes de l’ancien temps, soyez de ce temps-là, monsieur Besnehard, parce que nous avons aussi besoin de vous ».
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