Dominique de Villepin, une voie vers la présidentielle 2027 ?

Très sollicité par les médias et très apprécié à gauche, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac est revenu dans la lumière à la faveur des crises qui secouent le monde ces dernières années. Sans se déclarer candidat à la fonction suprême, il prend soin de ne fermer aucune porte.

Difficile de rater son brushing impeccable, son teint hâlé et son phrasé diplomate en toutes circonstances : Dominique de Villepin est omniprésent dans les médias depuis un an et demi et le déclenchement de la guerre au Proche-Orient. Tout est parti d’un entretien sur France Inter, quatre jours après les attaques terroristes du 7-Octobre. « Je le dis avec une peine infinie : je ne suis pas surpris par cette haine qui s’est exprimée, quand on se souvient de ce que nous avons tous dit de cette prison à ciel ouvert », lance alors à propos de Gaza l’ex-Premier ministre de Jacques Chirac, de 2005 à 2007. Depuis, les interviews s’enchaînent et l’interrogation monte : et si « DDV » jouait un rôle lors de la prochaine présidentielle ?

La médiatisation de l’ancien chef du gouvernement, qui n’occupe plus de fonction politique depuis son départ de Matignon, semble trouver un écho dans l’opinion, à en croire plusieurs sondages récents. Une enquête de l’institut Cluster17 réalisée en février lui attribue un joli score de 35% de popularité. Quelques jours plus tard, il se hisse même en tête des personnalités préférées des Français du classement Ifop, d’un cheveu devant un autre ancien Premier ministre, Edouard Philippe. Une place qu’il occupe encore, au mois de mars, avec 54% de bonne opinion chez les personnes interrogées. Officiellement, l’intéressé se dit flatté, sans objectif de long terme : « Il ne s’agit pas pour moi de cranter quoi que ce soit dans le jeu politique français », assure-t-il à franceinfo, attablé dans un café du 7e arrondissement de Paris.

« Je n’ai certainement pas la prétention de croire qu’on peut, à travers une parole, endiguer la montée d’un certain nombre de passions identitaires, de colères et de peurs. »

Dominique de Villepin, ancien Premier ministre

à franceinfo

Deux autres chiffres attirent l’attention dans le dernier classement de l’Ifop : l’énarque, promotion 1980, recueille un meilleur score à gauche qu’à droite (59% contre 41%) et 68% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon interrogés ont une opinion favorable de lui. Rien d’étonnant quand on voit l’accueil reçu à la Fête de l’Humanité, en septembre 2024, où il est applaudi. La gauche radicale le ménage, voire porte un « regard positif sur lui », comme l’affirme le président de la commission de finances de l’Assemblée, l’insoumis Eric Coquerel. « Ça nous légitime et ça nous isole moins dans l’espace politique et médiatique. Il desserre l’étau. »

Comme d’autres, les responsables de gauche gardent en tête son discours aux Nations unies, en mars 2003, pour défendre l’opposition de la France à la guerre en Irak face aux Etats-Unis. « J’ai été le premier, y compris vis-à-vis des Américains, à expliquer que si vous voulez vous battre contre le terrorisme et que vous n’utilisez que la force, vous décuplez les mouvements terroristes et vous leur donnez un statut », revendique celui qui était alors au Quai d’Orsay. « J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a représenté comme ministre des Affaires étrangères, car j’ai grandi dans l’époque du refus de la guerre en Irak, et il avait du sang-froid et du courage en diplomatie, avec beaucoup de constance », affirme Lucie Castets, candidate du Nouveau Front populaire pour Matignon à l’été 2024.

Deux décennies plus tard, la France tente de nouveau de tenir tête à l’allié américain, qui a cette fois décidé de contraindre l’Ukraine à la paix dans la guerre qui l’oppose à la Russie. Dans cette crise, il aurait même pu être le ministre des Affaires étrangères de Lucie Castets, si la haut-fonctionnaire avait été nommée par Emmanuel Macron et s’il avait accepté d’explorer cette piste « encore embryonnaire », tempère-t-elle.

« Quand j’ai évoqué avec lui l’idée qu’il soit mon ministre des Affaires étrangères, il m’a dit qu’il n’en était pas là dans sa vie et qu’il n’envisageait pas de redevenir ministre. »

Lucie Castets, candidate du Nouveau Front populaire pour Matignon

à franceinfo

L’ancien Premier ministre confirme son refus : « Je ne crois pas du tout qu’aujourd’hui l’enjeu soit d’aller occuper une place. Comme disait Jacques Chirac : ‘On n’est pas là pour aller chercher un petit plaçou’, donc ce n’est pas du tout mon ambition ».

Il fut une époque où la gauche était beaucoup plus virulente à l’égard de Dominique de Villepin. En 2006, le Premier ministre défend l’instauration du Contrat première embauche, un dispositif censé favoriser l’emploi des jeunes et marqueur du second mandat de Jacques Chirac. Mais le projet de loi suscite une vague de contestation forçant l’exécutif à ne pas appliquer la loi pourtant adoptée au Parlement.

Près de vingt ans plus tard, le sujet n’est plus évoqué que par bribes. Au détour de quelques phrases, l’ancien Premier ministre reconnaît une erreur de méthode, plus que de fond : « J’ai eu le temps de méditer sur mon expérience d’homme public et de comprendre encore plus clairement des choses qui, dans le feu de l’action, peuvent, à un moment ou à un autre, échapper ou ne pas être suffisamment prises en compte ». La jeunesse d’aujourd’hui, elle, semble avoir oublié ce mouvement, comme en témoignent les applaudissements récoltés à La Sorbonne, début mars.

Il est un autre sujet sur lequel l’ex-secrétaire général de l’Elysée s’étend encore moins : ses activités de conseil, réalisées via la société Villepin International, qui ne publient plus ses comptes. L’ancien responsable politique est aussi médiatique que l’homme d’affaires est secret, refusant d’en dire plus sur ses clients. « Il est en équilibre entre deux pôles, celui du secret total et celui de la transparence excessive », théorise l’un de ses anciens collaborateurs.

Depuis qu’il est revenu en pleine lumière, l’ancien bras droit de Jacques Chirac fait l’objet de diverses accusations. Il est notamment soupçonné d’accointances avec le Qatar, des insinuations rejetées en bloc. Début octobre, quand Bernard-Henri Lévy lui reproche de porter une « haine » des juifs, Dominique de Villepin demande des excuses à l’écrivain, qu’il n’obtient pas. « Rien que pour prendre la question du 7-Octobre, j’ai dénoncé depuis le premier jour le Hamas comme organisation terroriste. Pour le reste, je n’ai jamais qualifié l’antisémitisme de ‘résiduel’ [comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon] et je n’ai jamais fait preuve d’aucune sorte d’ambiguïté sur cette question », lance-t-il, égratignant LFI au passage.

Plus que sur les querelles, Dominique de Villepin préfère insister sur la nécessité « d’exprimer une voix, une expérience, un regard ». « Quand je vois qu’il y a la tentation de mettre en cause un certain nombre de nos principes républicains, de mettre en cause un certain nombre des règles qui sont celles de notre démocratie, j’estime qu’il est important de prendre la parole et de le dire », estime-t-il.

« Je préfère alerter avant qu’il ne soit trop tard. »

Dominique de Villepin, ancien Premier ministre

à franceinfo

La posture irrite dans le camp présidentiel, qui fustige des déclarations aux allures de leçons. « Il est beaucoup dans la critique et pas beaucoup dans l’encouragement. A vrai dire, ça me déçoit », souffle une élue qui a croisé sa route il y a une quinzaine d’années.

Dominique de Villepin, simple lanceur d’alerte en ces temps troubles ? En janvier, ses déclarations auprès de Mediapart sèment le doute sur ses intentions. « Nous sommes confrontés à un choc historique qui a très peu de précédents. Ce combat, je ne peux pas ne pas y participer. Je ne peux pas ne pas être aux avant-postes. L’enjeu n’est pas de savoir si à la fin vous êtes candidat à une élection. L’enjeu est de savoir si votre parole, à un moment donné, peut amener le débat politique à évoluer », explique-t-il au cofondateur du site d’information, Edwy Plenel.

Il y a aussi ce tweet, mi-janvier, pour remercier ses soutiens et communiquer l’adresse du site villepin.fr, qui propose simplement de s’inscrire à une newsletter. Certains se demandent si c’est le premier étage d’une fusée qui doit l’emmener plus haut, avec un projet, un programme et un organigramme de campagne. Chacun se perd en conjectures. « Tout ça n’est pas spontané, il ne faut pas être naïf. Ça ressemble à un calcul travaillé depuis plusieurs mois », souffle un ancien ministre du camp présidentiel. « Il a passé l’âge de partir tête baissée. Aujourd’hui, il est en train de bouillir. Il y a un espace », prolonge son ami et sénateur Les Indépendants Jean-Pierre Grand, auprès de Marianne.

D’autres pensent au contraire que ses multiples interventions n’ont pas vocation à se traduire par une candidature en 2027. « Je ne suis pas sûr qu’il y ait d’ambitions ou de commentaires de nature politique, avance un ancien proche de Dominique de Villepin. Il ne se place pas dans une forme de diplomatie parallèle, il est dans une forme d’éclairage pour les citoyens et les médias. »

« Il se sert de son expérience pour éclairer le débat et donner une voix qui rassure les Français. »

Un ancien proche de Dominique de Villepin

à franceinfo

A chaque fois, l’intéressé botte en touche. « Il ne s’agit pas aujourd’hui d’aller capter des parts de marché politiques. Non, je suis tout simplement là où je pense qu’il faut être pour répondre aux préoccupations des Français », maintient-il. « On dit : ‘Villepin, on ne sait pas pourquoi il revient’. Mais tous les sujets que j’ai choisis et sur lesquels je me suis exprimé, ce sont des sujets où il n’y a rien à gagner. »

Dominique de Villepin n’a du reste pas besoin d’être clair sur ses intentions, certains se chargent de lui imaginer un destin. « C’est un véritable homme d’Etat comme on n’en trouve plus aujourd’hui. Il s’inscrit pleinement dans la lignée du général de Gaulle et du président Chirac, car il est habité par l’intérêt général et la grandeur de notre pays. C’est un insoumis au nouvel ordre mondial », encense Azdine Ouis, un élu municipal d’opposition à Corbeil-Essonnes (Essonne). C’est lui qui a lancé en décembre 2023 une pétition pour la candidature de l’ancien Premier ministre en 2027. C’est aussi lui qui a orchestré une tribune de soutien signée par des élus locaux, pas encore publiée et que l’intéressé dit ne pas avoir encouragée. « Son retour est très attendu », assure le responsable associatif, qui vante « des capacités de mobilisation citoyenne très forte dans toute la France. »

Comme Azdine Ouis, beaucoup ont imaginé ce que donnerait « Villepin, en route vers l’Elysée », comme l’a titré début mars le magazine Marianne. « Il est flamboyant et me rappelle un peu Bernard Kouchner », autre ancien ministre des Affaires étrangères, glisse une figure du Parti socialiste. « Mais une stature, une aura et un charisme, ça ne fait pas de vous un président. Et comment peut-il être élu ? Avec quelles troupes ? » « Ce qui fonctionne, c’est planter son bâton dans le champ du voisin, quand un mec de gauche met son bâton dans le champ de la droite, ou inversement. Ça marche pour les médias, ça détonne. Mais derrière ça, il n’y a pas d’électeurs », embraye un conseiller ministériel.

« Villepin, ça marche à fond, il n’y a pas de rejet majeur. Mais il n’a pas de parti, pas de troupes, pas de clivages. Il ne sera jamais choisi en numéro un. »

Un conseiller ministériel

à franceinfo

« Aujourd’hui, la popularité politique est devenue la clé de voûte de la présidentiabilité, ce n’était pas le cas auparavant », nuance le politologue Christian Le Bart, auteur de Présidentiable ?. « Cette configuration est assez favorable à Dominique de Villepin, qui pourrait se passer des Républicains. » Le spécialiste perçoit cependant une faiblesse éventuelle dans le profil de l’ex-Premier ministre : « Si l’agenda n’est plus géopolitique ou diplomatique, comme c’est le cas aujourd’hui, sa candidature ne peut pas aboutir. Il apparaîtrait désajusté et on lui renverrait son passé de Premier ministre. » Pour l’instant, l’actualité reste marquée par les crises internationales, de la guerre commerciale lancée par Donald Trump au conflit russo-ukrainien, en passant par l’inextricable conflit israélo-palestinien. Autant de domaines où la parole de l’ancien chef de la diplomatie française est sollicitée.

S’il franchissait le pas, ce ne serait pas la première aventure présidentielle de Dominique de Villepin. Déjà, en 2012, il s’était présenté mais avait échoué à rassembler les 500 signatures nécessaires. En retentant sa chance et en se découvrant, le risque d’être exposé serait encore plus élevé aujourd’hui : « Que vous vous preniez une balle parce que vous êtes un peu trop avancé devant, c’est la vie, image-t-il. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait quelqu’un d’autre [pour porter cette voix]. Pour moi, la question, c’est celle du chemin », martèle Dominique de Villepin, qui prend soin, à chaque instant, de ne fermer aucune porte sur ce « chemin » face aux « combats ». « Il y a quelque chose de très naturel dans les combats. Il ne faut donc pas se poser les mauvaises questions au mauvais moment. Une haie à la fois, comme le disait Guy Drut », ancien champion olympique d’athlétisme reconverti en politique.


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