Dominique Fernandez, un punk à l’Académie française

Il existe un secret Dominique Fernandez. À 94 ans, il est depuis cet été le doyen d’âge de l’Académie française. Il en est surtout le dernier punk. Son nouveau livre, Un jeune homme simple, mériterait le prix du meilleur premier roman de cette rentrée d’hiver. Sur son épée de cérémonie, il a fait graver une truie romaine, source de toute vie et de toute joie. Quand la tradition veut qu’on lui attribue un mot du dictionnaire en séance privée, le hasard fait que ce soit : résignation.

Pourtant, Dominique Fernandez ne se résigne jamais à rien. Il est le premier académicien à assumer ouvertement son homosexualité. Certains confrères s’inquiètent pour leur vertu, on les comprend.

À 6 mois, François Mauriac le porte sur les fonts baptismaux. À 20 ans, Paul Morand et Louis Aragon saluent ses premiers romans. Aujourd’hui, ses œuvres complètes occuperaient une bibliothèque entière. Il est l’auteur de presque autant de livres qu’il y a de rameaux d’olivier sur son habit d’académicien. La couverture de ses romans est inévitablement jaune, comme s’ils avaient été oubliés sur une terrasse au soleil.

Pour Dominique Fernandez, l’écriture est un voyage à travers le temps et l’espace. Il réhabilite Tchaïkovski et Dumas. Son art du roman, c’est d’abord l’art de raconter. Dominique Fernandez demeure attaché à la plus noble tradition du roman français. Lecteur inconditionnel de Stendhal, il oblige ses amis à prendre le café dans une tasse à son effigie. C’est un homme d’un autre temps, un homme de tous les temps. On croit l’apercevoir sur d’anciennes fresques napolitaines du XVIIIe siècle entre Casanova et l’abbé Galiani. Pasolini lui donne une petite tape sur l’épaule, Caravage s’éclipse en coulisses, le castrat Porporino entonne un nouvel air pour l’envoûter.

Dominique Fernandez a cette faculté mystérieuse d’être partout à la fois : on l’aperçoit au balcon de la Fenice à Venise, dans un wagon-lit du Transsibérien, en calèche sur la place Rouge, parmi les colonnes de Palmyre ou dans la casbah d’Alger. Certains pays inventent des décorations pour le seul plaisir de les lui remettre : commandeur de l’ordre national du Mérite roumain et de l’ordre national de la Croix du Sud du Brésil, il ressemble à un maréchal soviétique chargé de médailles sous la coupole de l’Institut de France. Dominique Fernandez ne se prend pas au sérieux, c’est le signe précisément du plus grand sérieux. Pas de tabac, pas d’alcool, douze heures d’écriture et quatre heures de nage chaque jour. C’est sa méthode, elle en vaut bien une autre.

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Sur les hauteurs de Perpignan, il baisse son maillot de bain pour éloigner les vieilles dames qui le poursuivent. À la piscine, il traverse l’eau des bassins comme un lion superbe et généreux. Oui, Dominique Fernandez est un fauve, il en a la vigueur et la majesté. Parmi toutes ses vies antérieures, Dominique Fernandez devait certainement être un petit cochon de la Rome antique. Tous les Ganymède s’accordent pour entonner l’hymne de sa gloire, une étoile rose marque son front.

Dominique Fernandez semble rajeunir à mesure qu’il vieillit. Son dernier roman, Un jeune homme simple, témoigne d’une vitalité, d’une allégresse, d’un goût de vivre et d’aimer qui pourraient surprendre, s’il n’était aussitôt mesuré par la causticité, l’acidité du regard qu’il porte sur l’évolution du monde. La société est folle, puisque les écrivains ont toujours raison. En réponse à cet Adolescent d’autrefois au travers duquel Mauriac livrait son dernier autoportrait, Dominique Fernandez nous brosse le tableau d’une jeunesse d’aujourd’hui.

Les filles de Paris n’inspirent plus les romanciers

Sous le masque flatteur de son héros, il s’amuse à dénoncer tout ce qu’il réprouve dans la confusion des valeurs où notre génération s’amuse. Arthur – les jeunes gens s’appellent tous Arthur, c’est commode – débarque à Paris. Puritain, vaguement romantique, c’est un jeune homme d’hier en colocation avec toutes les folies, toutes les bizarreries du siècle. Comment échapper aux principes d’une famille d’instituteurs socialistes ? On est heureux d’apprendre qu’il reste en France quelques instituteurs, et au moins quelques socialistes.

Son colocataire homosexuel rêve d’une petite existence bourgeoise bien rangée. S’il existait encore des concierges à Paris, il voudrait que sa concierge le salue. Ce n’est pas le tout de s’appeler Stan, il faut encore initier Arthur aux charmes secrets de la rive droite. Dominique Fernandez paraît regretter de ne plus trouver aujourd’hui de héros à la mesure de ses précédents romans. Adieu, Caravage, Pasolini. Désormais Arthur, c’est Lucien de Rubempré à Sciences Po.

De ce roman un peu délavé, on goûte jusqu’aux faiblesses

On regrette toutefois qu’il manque à ce tableau une comtesse vraiment séduisante, style Mortsauf 2024. Les filles de Paris n’inspirent plus les romanciers : Arthur décline avec une stupéfaction inquiète l’arc-en-ciel des teintures qu’elles versent sur leurs cheveux, les tatouages livides sur leurs épaules, et tous les reproches, toutes les protestations qu’elles élèvent contre l’ancien monde. Paris, c’est la ville des plaisirs, de tous les bonheurs faciles. Il n’empêche : la facilité n’est pas une chose simple. Arthur ne semble rien comprendre, il devrait demander l’asile politique à l’Académie.

De ce roman un peu délavé, on goûte jusqu’aux faiblesses. C’est le signe d’un excellent écrivain. On ne parvient pas à déterminer exactement s’il s’agit de son premier ou de son dernier livre. Dominique Fernandez n’est pas écrivain, c’est une écriture. D’après ses calculs, il lui faudrait encore un siècle ou deux pour achever toute son œuvre. On le soupçonne d’être aujourd’hui encore plus jeune, plus libre, plus impertinent qu’aucun d’entre nous. C’est le privilège des immortels. Devant Dominique Fernandez, on s’émeut et on s’incline. Il faut toujours s’incliner devant la jeunesse.


Un jeune homme simple, Dominique Fernandez, Grasset, 336 pages, 23 euros.

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