«Le Serpent Majuscule» est un roman noir et décalé, mêlant violence brute et humour grinçant. Pour cette magistrale adaptation en bande dessinée, Dominique Monféry a travaillé directement avec l’auteur Pierre Lemaitre. Le dessinateur nous explique comment il a réussi à retranscrire la violence brute du récit et à insuffler une modernité graphique à l’album.
«Le Serpent Majuscule» est le neuvième roman de Pierre Lemaitre à être adapté en bande dessinée. Qu’est-ce qui rend son écriture particulièrement propice à cette transposition en images?
Dominique Monféry. Je découvre les œuvres de Pierre sur le tard. C’est Nadia Gibert, mon éditrice, qui m’a conseillé la lecture de son roman et j’ai tout de suite été envoûté par son histoire. D’ailleurs, cet envoûtement est resté tout au long de la fabrication de l’album. Tous les jours, j’avais hâte de retourner sur les planches. C’était un besoin viscéral. J’imagine qu’il devait en être de même pour les autres adaptations.
« Pierre Lemaitre a une facilité déconcertante à réadapter son œuvre. Il prend beaucoup de liberté et j’avoue avoir été déstabilisé au début par rapport à l’idée que je me faisais du roman. »
Est-ce que Pierre Lemaitre intervient sur ces adaptations?
D.M. Sur « Le Serpent Majuscule », il a fait plus qu’intervenir, car c’est lui qui a écrit le scénario de la bande dessinée. Pierre a une facilité déconcertante à réadapter son œuvre. Il prend beaucoup de liberté et j’avoue avoir été déstabilisé au début par rapport à l’idée que je me faisais du roman. Pour moi qui n’a travaillé que sur des adaptations, ça a été une grande leçon de voir comment Pierre a reconsidéré son roman tout en y restant fidèle. On a eu pas mal d’échanges sur la façon dont on voulait travailler ensemble, Pierre est resté très ouvert, il m’a laissé une grande liberté de mise en scène et de découpage par rapport à son scénario. Par la suite, il a suivi toutes les étapes de fabrication.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce roman en particulier?
D.M. Comme souvent dans toutes mes adaptations, c’est le pitch de l’histoire qui m’intéresse en premier lieu. S’il est efficace, original ; je plonge. Dans le cas présent : « Une tueuse à gage vieillissante perd la boule et tue à tout-va ». Ça m’a fait marrer. Puis l’émotion, la sensibilité des personnages, la construction de l’histoire qui règne dans le roman ont finit de me séduire.
L’un de vos premiers défis a été de donner vie à Mathilde, cette tueuse au sang-froid. Comment l’avez-vous imaginée graphiquement?
D.M. À la lecture du roman, j’imaginais Mathilde comme étant une espèce de tatie Danielle, aigrie, les traits secs, un regard noir et mal fagotée. À la vue des premières esquisses, Pierre, avec beaucoup de tact, m’a recadré pour qu’elle soit plus élégante, évoluant avec un certain standing. J’ai donc revisité les dessins en m’inspirant de Simone Signoret, car je trouvais qu’elle aurait bien endossé le rôle dans l’adaptation d’un film. On tenait notre personnage, c’était parti.

« Sur le plan graphique, il fallait décrocher ces passages de violence du reste, j’y suis allé à l’instinct. »
Les scènes de meurtre sont marquées par une grande violence. Était-ce important pour vous de souligner cet aspect à travers vos cadrages et votre mise en scène ? Comment avez-vous abordé ces séquences graphiquement?
D.M. Cette violence existe dans ce roman noir. Dans notre adaptation, nous aurions pu l’aseptiser voire la cacher mais on voulait mettre le lecteur face à la cruauté pour bien comprendre le côté déjanté de Mathilde. Comme sur le premier meurtre où elle déporte le canon de son arme de la tête au cou pour décapiter sa victime. Cette violence donne plus de poids aux moments de vie quotidienne des personnages qui environnent Mathilde. Cette cruauté donne une puissance émotionnelle plus grande à ces moments de vie anodins. Sur le plan graphique, il fallait décrocher ces passages du reste, j’y suis allé à l’instinct.
Vous avez une solide expérience dans l’animation, notamment chez Disney. En quoi ce parcours influence-t-il votre approche du dessin et de la narration en bande dessinée?
D.M. Les influences sont nombreuses : grammaire cinématographique, expressivité, silhouette, rythme,… mais c’est la discipline de travail acquise dans ce métier qui me sert beaucoup. En bande dessinée, on bénéficie d’une grande liberté et il est alors important de respecter une certaine discipline.

On ressent un soin particulier apporté à la lumière et aux couleurs dans votre travail…
D.M. Là encore, c’est Pierre qui m’a dirigé sans le savoir. Dès nos premiers échanges, il m’avait fait part qu’il ne voulait pas qu’on fasse un album suranné. J’ai donc recherché un style graphique plus moderne que mes précédents albums. La grande différence a été de sculpter davantage les personnages avec la lumière et des textures. Sur le plan colorimétrique, j’avais en tête le film « Collatéral » de Michael Mann.
Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)
«Le Serpent Majuscule» par Dominique Monféry et Pierre Lemaitre. Rue de Sèvres. 20 euros.
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