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Il suffit de feuilleter les nouveautés des libraires pour s’en rendre compte : la poésie qui se publie aujourd’hui semble chercher une forme de clarté qui est sans doute une conséquence de sa fréquentation des performances orales (les punchlines ont conquis le genre) ou de sa volonté de porter des messages sociétaux. Depuis les années 90, Dominique Quélen prend le chemin inverse. De livre en livre – l’homme est prolifique – il déploie une poésie condensée, profonde, dont le sens ne se livre pas immédiatement. Parmi les voies possibles de la poésie, lui a choisi le chemin Mallarmé.
A ceux que ce soupçon d’hermétisme effraierait, on ne saurait trop conseiller de se plonger dans son dernier livre. Deux textes y sont réunis. Si Ma Phrase, où Quélen tisse son art poétique, suit cette veine qui n’a pas peur de l’obscurité, la première partie, Fiction tombeau, est plus accessible. Le texte est impressionnant par sa densité, son économie, son émotion contenue. C’est un petit bijou.
En six parties constituées de douzains – deux par page, ce qui participe du rythme général du texte – Dominique Quélen y compose le tombeau de son frère Patrick, mort en 1978 à l’âge de 20 ans. Ce mot de tombeau est d’ailleurs une référence à celui écrit par Stéphane Mallarmé pour son fils Anatole.
Au présent, en employant le tu, le poète revient sur relation entretenue avec son frère autant qu’il fait part du tragique d’un dialogue interrompu : «Tu es vivant lentement comme / un caillou. Tu formes, à te / tourner dans la bouche, un langage / aux sonorités neuves, entre / la parole et le chant mais plus / près de la parole, pas à égale / distance des deux, plus près, un / peu plus près de parler que de / chanter, ou un chant minimal, / dont ne sortirait aucun autre / son que pour exprimer toujours, / partout, à tout propos, l’absence.»
Les douzains s’enchaînent et Quélen fait revenir les motifs : la famille, le signe égal qui évoque une quasi-gémellité, le choc de la disparition, la vie d’après avec la sensation d’un membre fantôme. Mais aussi l’accès gagné du mort au grand tout, ce qui n’est pas sans rappeler le Cadaver de Hugo. «A présent tu / es parmi les animaux, la / terre meuble, un fond de nature. / Tu connais la chose entière et / parfaite et close que c’est d’être.»
Parmi ces thèmes réguliers, il en est un qui donne l’une des clés du texte. Car le poète exprime comme le deuil a bouleversé son rapport au langage : «Tout l’édifice de la vie / est contenu dans le corps et / celui de l’enfance dans la / langue […].»
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