Le JDD. Les prix à la consommation ont progressé de 0,8 % en février. C’est la première fois depuis quatre ans que l’inflation est sous les 1 %.
Dominique Schelcher. La grande inflation alimentaire est terminée, mais nous ne basculons pas encore dans la déflation. À l’issue des négociations commerciales qui sont en train de se terminer, des baisses de prix seront répercutées au plus vite et maintenues, tandis que certaines hausses subsisteront sur des marchés qui le méritent.
L’inflation a ralenti, pour autant les Français semblent avoir durablement intégré une forme de prudence, voire de retenue dans leurs habitudes de consommation, c’est aussi ce que vous constatez ?
Il y a certes de l’arbitrage et c’est un mouvement profond. Le choc des trois dernières années a profondément modifié nos habitudes de consommation. On entend de plus en plus : « J’ai envie de sobriété, de consommer autrement. » Face à cela, nous, commerçants, devons mieux connaître nos clients, car ils sont plus divers qu’avant. Deux choses me frappent : d’une part, la déconsommation chez les moins de 25 ans, qui achètent moins de fruits, de légumes et de produits frais traditionnels, alors qu’ils sont nos clients de demain. D’autre part, les familles nombreuses, également en forte déconsommation, probablement touchées par l’inflation. Elles ont pris de nouvelles habitudes.
Coopérative U est sans doute l’une des enseignes de la grande distribution qui a le plus progressé en 2024 avec un chiffre d’affaires de 26,91 milliards d’euros. Quels sont les ressorts de ce cru exceptionnel ?
Les ressources de cru, ce sont d’abord les 102 000 nouveaux mètres carrés que l’on a créés l’année dernière. On a ouvert 81 magasins supplémentaires, dont 21 nouveaux magasins U et surtout 60 ralliements, c’est-à-dire des indépendants ayant quitté une autre enseigne pour nous rejoindre. On a aussi fortement progressé sur l’e-commerce alimentaire, jusqu’à atteindre 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans cette activité. Enfin, on a gagné 160 000 nouveaux clients sur l’année.
Malgré la consommation des ménages qui se traîne, la grande distribution se porte très bien donc ?
Le bilan est contrasté. Le marché de la consommation reste difficile, avec un léger recul en volume l’an dernier, mais c’est disparate selon les acteurs. U s’en sort bien, mais on a plein de signaux d’alerte.
Quels sont-ils ?
Les Français n’ont pas encore surmonté le choc inflationniste, le plus dur depuis 40 ans. D’après un récent sondage, 82 % d’entre eux sont encore dans la restriction. C’est énorme. Dans ce contexte, on doit s’adapter.
Les négociations commerciales avec les producteurs et industriels de l’agroalimentaire sont particulièrement tendues, beaucoup vous accusant de ne pas respecter la loi EGalim… Que leur répondez-vous ?
Coopérative U respecte la loi EGalim. Je suis stupéfait par les déclarations des responsables syndicaux des industriels cette semaine, qui ont mené une véritable campagne de déstabilisation contre la grande distribution en tenant des propos inacceptables. Dire que nous ne respectons pas la loi est faux. Sont-ils des représentants de la loi ? Non, je ne crois pas. Ils ont parfois tenu des propos inacceptables : le représentant de l’Ilec a prétendu que nous prenions 40 % de marge sur leurs produits, c’est faux. Il a aussi réduit notre travail à « simplement mettre en rayon », ce qui est méprisant pour nos collaborateurs. Je ne peux pas accepter des propos comme ça. Les bornes ont été dépassées cette semaine.
À la fin de ces négociations, y aura-t-il des baisses de prix ? Sur quels produits ? Et des hausses de quel ordre ?
Nous allons répercuter les baisses de prix au plus vite. Les produits de droguerie, parfumerie, hygiène connaîtront des réductions, tout comme l’épicerie salée. Le prix des pâtes baissera grâce au recul des prix des céréales, notamment du blé. L’huile également. En revanche, certains secteurs, comme l’épicerie sucrée, resteront sous tension en raison de la hausse des matières premières, notamment le cacao et le café. Par conséquent, les produits contenant du chocolat, comme les gâteaux et tablettes, ainsi que le café, augmenteront dans les prochaines semaines.
« J’invite les consommateurs à avoir le réflexe origine France »
Avec des résultats florissants, vous allez encore prétendre que vous ne pouvez pas rogner sur vos marges ?
Depuis le début des différentes crises, qu’il s’agisse du Covid ou de l’inflation, U a toujours accompagné les consommateurs en rognant sur ses marges. Chaque semaine, nous proposons quatre fruits et légumes à prix coûtant, c’est-à-dire sans aucune marge. On est le seul distributeur à avoir maintenu le panier anti-inflation depuis la demande du gouvernement au printemps 2023. Sur ces 150 produits U à prix coûtant qui marchent très fort, on ne prend pas de marge.
Avec quatre autres patrons de la grande distribution, vous avez, au Salon de l’agriculture, répondu à l’invitation de Karine Le Marchand pour lancer des initiatives de soutien aux petits exploitants. Certains vous accusent de faire de la com…
Karine Le Marchand a une relation exceptionnelle avec les agriculteurs après des années à leurs côtés dans L’amour est dans le pré. Consciente de leurs difficultés, elle a voulu agir par une initiative personnelle, indépendante du monde politique. Elle nous a contactés, nous l’avons écoutée et cinq enseignes ont répondu. Des actions concrètes ont été mises en œuvre et viennent compléter toutes les autres déjà mises en place.
Quelles sont-elles ?
D’abord, les petits exploitants locaux peuvent vendre leurs produits en magasin au prix qu’ils veulent, avec un paiement rapide pour leur trésorerie. Ensuite, une alerte surproduction en saison permettra d’écouler les excédents via des campagnes de sensibilisation pour éviter le gaspillage. Enfin, la troisième action sera de coconstruire les filières du futur en relation avec les agriculteurs et les consommateurs.
Par rapport à l’an dernier, les relations avec le monde agricole sont plus apaisées
Quelle part représente les produits importés dans les rayons fruits et légumes de vos magasins ?
Chez U, 78 % des produits, hors agrumes, sont d’origine française. La part étrangère représente donc 22 %.
Leclerc, le leader du secteur, n’a pas joué le jeu de la transparence de l’origine des produits qu’il met dans ses rayons. Pourquoi cela semble-t-il l’embarrasser ?
Il faudrait poser la question à Michel-Édouard Leclerc. Nos produits frais à la marque U sont, pour l’essentiel, 100 % français : porc, lait, œufs, yaourts. Au total, 80 % des produits U sont fabriqués en France et 73 % de ceux qui ont une matière première principale de plus de 50 % ont une origine française. On se bat depuis des années pour défendre cela. Et j’invite les consommateurs à avoir le réflexe origine France.
Dans le cadre du bras de fer commercial engagé par Donald Trump, les distributeurs pourraient-ils jouer un rôle ? Lequel ?
Un rôle direct, non. Par contre, nous sommes très préoccupés par le risque d’une taxe douanière de 25 % sur certains produits, qui pourrait déstabiliser des filières entières. Une telle déstabilisation aurait des impacts sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. On est très attentifs à ça, on surveille de près et non sans inquiétude.
Que retenez-vous du Salon de l’agriculture cette année ?
Par rapport à l’an dernier, les relations avec le monde agricole sont plus apaisées. Preuve que les choses avancent. Le dialogue progresse avec les agriculteurs, qui sont aujourd’hui davantage préoccupés par d’autres problématiques, notamment celle des normes, que par leurs relations avec la grande distribution.
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