Dopage mécanique : « La technologie existe, on sait qu’il y a des mécanos de l’ombre qui se consacrent à ça »
Vous avez été nommé responsable de la lutte contre la fraude technologique à l’UCI en avril 2024, à la place de l’ancien cycliste Michael Rogers. Vous avez un profil très différent…
J’ai d’abord été enquêteur criminel au sein du département de la Sécurité intérieure des États-Unis. J’ai enquêté sur le terrorisme, le blanchiment d’argent, la contrebande, ou certains crimes informatiques. Puis j’ai rejoint la lutte pour l’intégrité du sport. J’ai travaillé à la FIFA puis à l’UEFA pour diriger l’unité de lutte contre les matchs truqués. J’ai aussi fait du conseil indépendant, avant de devenir responsable du renseignement et des investigations à l’ITA (Agence internationale de contrôle antidopage). C’est à ce moment-là que j’ai commencé à collaborer avec l’UCI et j’ai eu une belle opportunité de rejoindre l’UCI.
Est-ce très différent d’enquêter sur le dopage, sur les matchs truqués ou sur le dopage technologique ?
Pour le dopage, il faut vous imaginer un environnement structuré depuis plus de 20 ans, avec des standards internationaux, des régulateurs. En matière de matchs truqués, il n’y a rien, ni régulation, ni une législation harmonisée. C’est comme si on compare le Far West et la jungle urbaine : les deux sont chaotiques, mais l’un est structuré, l’autre a moins de règles. Quant à la fraude technologique, c’est aussi un sujet en développement : il n’y a quasiment que nous, l’UCI, qui luttons – et il y a un peu d’activité dans le triathlon aussi, et j’ai vu un cas dans le saut à ski, en Norvège, début mars. C’est intéressant, ça nous pousse à rester vigilants.
Quelle est l’enquête typique ?
Elles sont toutes différentes. Ça commence par un déclencheur : une accusation, un article de presse, quelqu’un qui voit une performance anormale… Ensuite, on se demande si nous, l’UCI, on est compétents, ou si c’est la responsabilité d’un autre acteur, la fédération nationale ou un organisateur, par exemple. On doit définir notre domaine d’intervention. S’il est trop large, on n’arrive jamais à une conclusion : on ne peut pas enquêter sur le dopage en Russie en général, par exemple, il n’y a pas de début, pas de fin. On cherche des faits : quelle est la violation que j’examine ? Est-elle définie dans les règlements ? On ne peut pas aller dans tous les sens, il faut collecter les informations qui permettent de prouver une violation. On peut anticiper mais ça ne se passe jamais comme prévu !
Parvenez-vous souvent à obtenir des renseignements de la part du milieu ou y a-t-il aussi une omerta, comme on peut l’observer pour le dopage « classique » ?
On peut également être proactif ! Mon rôle est aussi de développer cette capacité à obtenir du renseignement, développer des sources, pour savoir ce qu’il se passe réellement dans le monde de la fraude technologique.
En septembre 2024, vous avez lancé un programme de récompense (FATF-RP) pour inciter les personnes ayant des informations à les communiquer. Quelle a été son efficacité jusque-là ?
Je dois être prudent et préserver la confidentialité de ceux qui viennent vers nous. Je ne peux pas parler de cas précis, mais je peux vous dire qu’on doit continuer à faire connaître ce programme aux gens qui peuvent nous être utiles : équipes, coureurs, officiels, anciens officiels… J’ai été impressionné par le nombre de personnes qui veulent nous aider, apporter leur connaissance pour contribuer à la crédibilité du sport : par exemple un ingénieur qui peut nous aider à comprendre comment les batteries fonctionnent. Nous comptons beaucoup sur ce programme. Il est très important que toutes les parties prenantes soient au courant que ce programme existe.
De quels moyens disposez-vous ?
Déjà, l’UCI a une personne dédiée à la lutte contre la fraude technologique (lui-même), ce qui n’était pas le cas auparavant. Ensuite, nous avons un groupe de commissaires, d’officiels, de techniciens qui ont été formés et le groupe de personnes qui effectuent les contrôles, notamment avec les scanners aux rayons X. Ils sont très qualifiés : on leur donne les informations dont on dispose sur les modus operandi existants, comment on pense que les fraudeurs agissent… Ils sont aussi entraînés à regarder les vélos et à détecter de potentielles anomalies : des batteries, des câbles, sachant que la technologie continue de se développer.
Quelle est l’importance de ces contrôles dans votre dispositif de lutte ?
Les contrôles avec les tablettes ne sont qu’une partie d’un processus qui comporte de nombreuses étapes : la détection magnétique n’est que le premier indicateur ! Il y a aussi les caméras thermiques, les scanners à rayons X, l’évaluation des performances, le renseignement et les informations collectées… Aujourd’hui, je suis très satisfait de la manière dont nous avons augmenté la qualité du contrôle et de la détection : nous avons une très grande confiance en nos capacités d’inspection et de détection quand nous analysons un vélo après une course.
À quel point cette fraude technologique est-elle développée selon vous ?
C’est difficile de le mesurer : par principe, ce type de fraude doit être caché. Mais quand on voit les avancées récentes concernant les vélos électriques, avec des moteurs de plus en plus petits, faciles à cacher et difficiles à détecter… On sait qu’il y a des mécanos de l’ombre qui se consacrent à ça, qui fabriquent des vélos dans le but d’éviter la détection du mécanisme. Il y a eu des cas détectés, on sait que la technologie existe… Mais on est très déterminés et très résolus dans cette lutte pour que cela ne devienne pas quelque chose de répandu.
Combien de tricheurs ont-ils été repérés ?
Je n’ai pas de chiffre à communiquer comme ça. La plus grosse affaire date de 2016 (un moteur caché avait été découvert dans le vélo d’une coureuse belge lors des championnats du monde de cyclo-cross). Aucune fraude n’a été repérée depuis dans un évènement UCI.
En France, il y a eu un cas détecté et une forte suspicion lors de deux courses amateur. La fraude technologique est-elle plus répandue à ce niveau-là ?
On peut seulement spéculer, il n’y a pas assez de données pour arriver à une conclusion. Mais les renseignements dont on dispose nous font penser que quand il y a moins de contrôles ou qu’ils sont moins stricts, il est plus simple de frauder.
Avez-vous enquêté sur ces cas-là, notamment celui de 2017, et remonté la filière pour retrouver les personnes qui ont fabriqué le vélo ?
Je ne peux ni le confirmer, ni le nier ! On peut enquêter sur la chaîne d’approvisionnement. Et disons que l’on sait beaucoup de choses sur cet incident de 2017…
De nombreuses vidéos ont mis en évidence des situations suspectes, notamment au début des années 2010. Est-ce que vous enquêtez a posteriori ?
Nous prenons chaque allégation au sérieux. Les preuves vidéos sont importantes, c’est un bon point de départ, mais elles permettent rarement, à elles seules, de parvenir à une conclusion. On ne peut pas regarder une vidéo et dire : « il triche, c’est certain ! »
Quelles sont vos priorités ?
La prévention et la dissuasion. Les contrôles sont très forts sur les événements UCI, les courses World Tour, les grands Tours. On se dit que les tricheurs voudraient probablement choisir d’autres courses pour le faire. L’idée est de continuer à développer de meilleures manières de détecter la fraude, de continuer à rester en avance sur les nouvelles technologies, les nouvelles menaces.
Toute information ou suspicion peut être signalée sur la plateforme de signalement confidentiel UCI Speak Up (https://report.whistleb.com/) ou par mail : techfraud@uci.ch
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