Échecs cuisants et milliards dilapidés dans l’agriculture au Gabon : le verdict d’Hervé Omva | Gabonreview.com

 

Faisant le grand écart entre le Gabon et la Zambie où il apporte désormais son expertise, Hervé Omva, coordonnateur des programmes de l’ONG IDRC Africa, expose dans cette interview les défaillances de la politique agricole gabonaise. Outre les lacunes de gestion, il souligne les solutions potentielles après un audit complet des investissements passés et l’élimination des anciens responsables, pour permettre un renouveau politique et une action efficace en faveur de l’agriculture.

Hervé Omva, coordonnateur des programmes de l’ONG IDRC Africa. © D.R.

 

GabonReview : Quels sont, selon vous, les principaux échecs de la politique agricole actuelle du Gabon, et comment ces lacunes ont-elles contribué à la situation ?

Hervé Omva : Comme l’écrivait Roland Pourtier, géographe français, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, et professeur émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne : «La crise de l’agriculture dans un état minier : le Gabon». C’est un livre que je vous conseille de lire entièrement.

La vocation minière du Gabon n’a cessé de s’affirmer depuis la mise en exploitation du pétrole en 1956, de l’uranium en 1961 et du manganèse en 1962. En 1977, sur 330 milliards de FCFA (1 FCFA=0.2F) d’exportation, les produits de l’activité minière représentaient 91,2% contre 7.8%pour les produits de la forêt et seulement 0.5% pour ceux de l’agriculture, le pétrole à lui seul comptait pour 73%. Le «royaume de l’okoumé» de la période coloniale est ainsi devenu, par la magie des cours pétroliers, «un émirat équatorial» offrant à ses 600 000 habitants un PNB théorique de l’ordre de 3 000 dollars. Mais chaque médaille a son revers et la brillante façade de l’«eldorado» d’Afrique centrale ne parvient pas à masquer un inquiétant délabrement  du monde rural. Les pouvoirs publics ont beau proclamer que la «priorité des priorités» doit aller à l’agriculture afin de préparer l’«après pétrole», il y a loin du discours aux actes et l’on peut craindre qu’un processus difficilement réversible ne soit engagé, au terme duquel le développement du Gabon se verrait compromis par une dépendance alimentaire excessive. (Source : journal Études rurales N° 77 (Jan. – Mars, 1980), pp. 39 à 62 (28 pages) publiés par EHESS.

Au vu de ce qui précède nous pouvons conclure aisément que les raisons de cet échec sont multiples  mais la base est une question de mauvaise gestion, voire détournements de crédits, incertitudes de la commercialisation à cause de l’état pittoresque des infrastructures routières et la forte corruption qui sévit dans le secteur. Notons également la mauvaise gouvernance et cet ensemble de causes ont conduit les agriculteurs qui avaient accepté de jouer le jeu  au découragement.

En quoi les politiques gouvernementales ont-elles contribué à l’insécurité alimentaire au Gabon ?

Pour répondre à cette question je prendrais une période allant de 2010 à 2024 et nous constatons malheureusement que durant cette période et même bien avant que le Gabon ait mobilisé d’énormes sommes d’argent sans aucun résultat. Des sommes qui si elles étaient réellement investies dans l’agriculture auraient suffi plusieurs fois déjà à atteindre notre autosuffisance alimentaire  au lieu de servir et à enrichir illicitement les différents ministres et hauts cadres de notre administration dont certains sont encore de nos jours à la manœuvre malgré les échecs cuisants que l’on vit aujourd’hui. Je prendrais à titre d’exemple quelques projets pour démontrer qu’il est important aujourd’hui de marquer un stop et faire une auto critique de cette gestion qui entretient la puissante corruption qui sévit dans le secteur de l’agroalimentaire au Gabon.

IGAD (Institut gabonais d’Appui au Développement) créé en l992 à l’initiative de l’État Gabonais et d’Elf Gabon avait pour objectif principal la promotion, en milieu périurbain, de petites et moyennes entreprises agricoles sédentaires susceptibles d’assurer l’approvisionnement des centres urbains tel Libreville. Après 32 ans d’activités qui est en mesure de nous faire le point des résultats obtenus et le nombre de milliards engloutis par cette structure qui, notons-le, avait également gérer le PRODIAG (Projet de développement et d’investissement agricole au Gabon) un autre gros financement fruit d’un partenariat signé en 2010, entre l’Agence française de développement et le ministère de l’Agriculture, le Gabon a bénéficié dans ce cadre, d’un prêt de 10,5 milliards FCFA rétrocédé sous forme de subvention à l’Institut gabonais d’appui au développement (IGAD), pour lequel une contrepartie nationale d’environ 3 milliards FCFA devait être versée. 

Malgré le fait que tout le monde continue à s’accorder sur le potentiel disponible en terre agricole l’épineux problème du Gabon s’empire et cela malgré les milliards d’investissement, le pays importe plus de 85% des denrées consommées par ses 1,5 million d’habitants, ce qui lui a coûté la bagatelle de 250 milliards de FCFA (plus de 380 millions d’euros) en 2010. Une facture en hausse constante, à l’instar du coût du panier de la ménagère.

Pour y remédier, l’État va lancer le 15 février 2010, à Tchibanga (Nyanga) un Programme agricole de sécurité alimentaire et de croissance (Pasac), auquel il va  être affecté un budget de 38,4 milliards de FCFA pour l’exercice 2010. Et là encore la priorité est donnée à la réorganisation et au développement de l’agriculture et de la pêche, secteur dont la part dans le PIB est passée de 15% dans les années 1960 à moins de 5% en 2010. Le programme avait pour objectif : de porter cette contribution à 20% du PIB en privilégiant les cultures vivrières, de façon à réduire de 5% par an les importations de produits alimentaires de base (manioc, riz, bananes, viandes et légumes notamment). Un fonds de garantie de 900 millions de FCFA destiné aux exploitants agricoles avait également été créé à cette période. (Source Jeune Afrique archives)

«Il n’est pas raisonnable que l’essentiel de ce que les Gabonais consomment vienne de l’extérieur», avait déclaré le ministre de l’Agriculture au lancement (source Jeune Afrique)

Dans la même foulé (2010) le Gabon lance un programme quinquennal de sécurité alimentaire (PNSA 2010-2014) qui sera suivi par la création de l’Agence gabonaise de sécurité alimentaire (Agasa) et la encore une nouvelle pompe à argent.

C’est dans le même processus que l’état gabonais s’invitera au modèle agricole israélien et là encore il sera question de milliards de FCFA notamment un coût global de près de 9,5 milliards de FCFA, entièrement pris en charge par l’État, le projet avait pour objectif de permettre de satisfaire les besoins en volailles et en légumes avec des produits locaux, disponibles à des prix bien moins élevés que les denrées importées. Sans compter  le volet formation qui devait participer à la formation de la nouvelle génération d’exploitants, avec l’implantation de fermes-écoles à proximité des six établissements. Et là encore le contribuable gabonais sera le grand perdant. 

La fin de l’année 2014 arrive le sulfureux   programme GRAINE, fruit d’un PPP entre l’État gabonais et le groupe Olam,  qui à ces débuts s’est révélé très ambitieux avec un budget de plusieurs centaines de milliards de francs CFA, du matériel lourd (outillage, moto benne, bulldozers et autres). Ce projet structurant a dû faire face à des difficultés de corruption, malversations sur fond politique et mauvais choix technique qui importantes qui ont nui à son développement. La sentence pour la fermeture  sera prononcée le 11 juin 2019 par le COPIL comité de Pilotage du Programme Graine.  Il est important de noté que pour moi ce projet est le plus gros scandale économique connue par le secteur agricole au Gabon malgré les espoirs jusqu’au bout que j’ai eu personnellement et mon implication dans le comité de suivi en tant que la société civile à titre consultatif. 

Hervé Omva. © D.R.

Quelles mesures spécifiques doivent être prises pour renverser cette tendance ?

C’est très simple, car les solutions existent tout comme les acteurs. Mais un état des lieux de notre secteur agricole est nécessaire et c’est pourquoi j’invite humblement le président de la Transition, chef de l’État, Son Excellence Brice Clotaire Oligui Nguema et l’ensemble des membres du CTRI à  bloquer toutes les ressources en prévision pour le secteur agricole jusqu’à ce que les Gabonais voient clair sur l’utilisation des fonds alloués à ce secteur depuis 20 ans. J’exprime ici mon  ras-le-bol  et sans langue de bois du tout  nous ne devons plus accepter les politiques et politiciens vendeurs d’illusions qui depuis près de 20 ans pillent les milliards investis  dans l’agriculture et l’élevage.

Le président de la Transition et le CTRI ne sont pas à l’origine de la vie chère ou le chômage qui sévit au Gabon et qui a été suavement entretenu par les mêmes qui aujourd’hui veulent encore nos enfumer avec les mêmes discours et les mêmes équipes tapies dans l’ombre qui aujourd’hui attendent la fin du dialogue inclusif pour nous resservir du réchauffé. 

Je répète et j’invite humblement le chef de l’État à disqualifier toutes les personnes qui ont occupé de hautes fonctions dans le secteur agricole ces 20 dernières années. Ils ne peuvent pas être la solution pour atteindre les objectifs attendus aujourd’hui par les citoyens dans le cadre de la vie chère et du chômage. Je suis convaincu aujourd’hui que le blocage est une question de volonté politique. 

Il faut que les nouveaux dirigeants de ce pays fassent attention parce qu’il ne peut pas y avoir des barrières contre la faim. Il n’y a aucune armée au monde qui peut arrêter une émeute contre la faim. On parle des budgets, on parle des milliards dans le domaine de l’agriculture, mais nous ne savons pas à quoi servent ces milliards-là depuis plus de 20 ans et en faisant un simple point sur 14 ans on retrouve les mêmes qui sont aujourd’hui à la manœuvre.

 

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