L’État, c’était Elle. Marie-France Garaud est décédée ce jeudi 23 mai 2024, à l’âge de 90 ans. Notre chroniqueur David Desgouilles raconte une femme d’État, qui disparaît avec une époque.
Je me souviens de mes parents qui se chamaillaient en avril 1981. Maman disait vouloir voter pour elle. Papa disait que c’était une voix perdue pour Chirac.
Je me souviens d’avoir étudié ce fameux appel de Cochin, en 1978. Quel texte ! Quel souffle ! Du Séguin 1992 avant la lettre. Pour les plus jeunes des lecteurs, cet appel contre l’Europe de Giscard, fustigeant le Parti de l’Étranger, avait été lancé depuis la chambre d’hôpital éponyme, alors que Chirac venait d’être victime d’un grave accident de la route.
Le grand Jacques s’était ensuite un peu débiné en laissant dire par son entourage que Garaud et Juillet avaient profité de sa faiblesse pour le lui faire signer. « Nous pensions qu’il était du marbre dont on faisait les statues. Il était de la faïence dont on fait les bidets », aurait soufflé Marie-La-France.
Si t’as pas pris un savon de Marie-France Garaud…
Je me souviens de Marie-La-France, croisée à Arles aux Universités d’été de Demain La France, le mouvement créé par Charles Pasqua. Elle m’avait interrogée : quelle était ma vision de la France, pourquoi étais-je là ?
Je me souviens de la victoire aux européennes sur Sarkozy en 1999. Elle, troisième sur la liste, avait conseillé à Pasqua de ne pas créer de parti politique. Et d’aller rue de Lille au siège du RPR, pour s’asseoir dans le fauteuil de président, puisque les urnes lui en avaient donné la légitimité. À la Bonaparte, comme lorsque Chirac, avec son aide, avait pris l’UDR aux barons du gaullisme, après la défaite de Chaban.
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Je me souviens de cette engueulade, prise au téléphone. Alors que je souhaitais la rencontrer pour Leurs guerres perdues, je lui avais expliqué le principe de mon premier roman Le bruit de la douche et elle m’avait enguirlandé : on ne faisait pas ainsi, sans l’autorisation expresse de Dominique Strauss-Kahn, une uchronie sur son destin personnel, au cas où la rencontre de Nafissatou Diallo ne l’avait pas croisé. Cela ne se faisait pas, c’était comme ça. Cette rencontre avec Marie-La-France ne se fit donc pas. Mais ce savon pris au téléphone par cette grande dame, c’était unique, précieux. Si t’as pas pris un savon de Marie-France Garaud avant cinquante ans, t’as raté ta vie.
L’Etat, c’est Elle
Je me souviens de Marie-La-France chez Frédéric Taddeï, à « Ce soir ou jamais », donnant une leçon magistrale sur les attributs d’un pays souverain ou dans un débat sur France Télévisions, avec un Arnaud Montebourg, encore apprenti souverainiste, approuvant sagement la prestation de cette éminente prof.
Oui, je me souviens. Marie-France Garaud avait débuté au service de l’État auprès de Jean Foyer, garde des Sceaux du général de Gaulle. En ce temps-là, le Conseil constitutionnel ne se permettait pas de déshabiller la souveraineté populaire en créant lui-même un bloc de constitutionnalité qui lui donnait un pouvoir exorbitant de créer des jurisprudences à la pelle.
En ce temps-là, la cour de cassation et le Conseil d’État ne se permettaient pas de faire primer une norme supranationale antérieure sur la loi votée par les représentants du peuple. En ce temps-là, la France était souveraine et entendait le rester, comme Fécamp, port de pêche, dixit le Général, encore lui.
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Marie-France Garaud avait le culte de l’État. Elle l’a vu s’effeuiller, impudique. Et elle, seule au fond de la salle, de protester : « Respecte-toi ! Tu es l’État ! Celui qui a accouché de la France ! ». Mais l’État a fini nu comme un ver ; ses vêtements étant partagés entre la Commission européenne, la BCE, la Cour de Luxembourg et les cabinets de conseil du type McKinsey. Trop, c’était trop ! Marie-La-France s’en est donc allée en ce mois de mai. Elle a rejoint de Gaulle, Pompidou, Debré, Foyer. Et sans doute aussi Richelieu et le Père Joseph. Adieu Marie-La-France !
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