Disparu en août dernier, voilà maintenant plus de dix mois que le portrait de feu Henri Konan Bédié ouvre chaque jour les pages nécrologiques des journaux ivoiriens. L’ancien président avait assuré la fonction suprême durant six années avant d’être chassé du pouvoir à la suite d’un coup d’État en 1999. Assurément regretté par une partie de la population de Côte d’Ivoire, le bilan de sa gouvernance demeure pour le moins contrasté. Ces funérailles nationales, prévues pour une période de deux semaines, marquent aussi le lancement officieux de la campagne présidentielle de 2025.
Un pilier de la politique ivoirienne
Henri Konan Bédié appartient à cette catégorie très restreinte d’acteurs qui auront traversé tous les épisodes d’une Côte d’Ivoire indépendante. Depuis la fin de ses études à l’École normale de Dabou, HKB – communément désigné par cet acronyme – n’aura eu de cesse de se trouver au cœur des bouleversements politiques de son pays. Alors âgé de 25 ans, le jeune fonctionnaire est nommé ambassadeur aux États-Unis alors que sa nation vient tout juste de se défaire des autorités coloniales. De retour en Côte d’Ivoire, sa carrière prend le chemin des questions économiques, il devient rapidement ministre de l’Économie et des Finances près d’une décennie durant (1968-1977). Son élection au poste de président de l’Assemblée nationale en 1980 marque son adoubement par Félix Houphouët-Boigny. Il endosse ainsi le second rôle le plus important de l’État avant d’assurer l’intérim présidentiel à la mort du père de la nation, en 1993.
Les années Bédié, bien que sensiblement plus courtes que celles des autres présidents, auront été marquées par des évolutions déterminantes pour l’avenir du pays. HKB est notamment considéré comme l’homme ayant introduit la notion d’« ivoirité » dans le débat public national. Ce concept, ô combien explosif, aura servi de base aux différentes crises politico-militaires qui ont émaillé la Côte d’Ivoire. Selon son camp, l’instrumentalisation de ce concept l’a éloigné de son sens originel qui désignait la « capacité de synthèse » caractérisant le maillage ethno-cultuel complexe que regroupe le territoire ivoirien. Si le défunt s’en était également toujours défendu, le code électoral du 8 décembre 1994 aura tout de même permis à HKB d’assurer son élection aux présidentielles de 1995, au sortir de son intérim. En effet, l’obligation de prouver une ascendance ivoirienne des deux parents a eu vite fait de disqualifier les principaux opposants, tel Alassane Ouattara. Le large boycott qui s’était ensuivi avait donné Bédié vainqueur au premier tour face à un seul candidat.
Sur le plan de la gouvernance, l’ancien président avait hérité d’une situation économique dégradée en raison de multiples baisses des cours agricoles. Ce déséquilibre budgétaire sera néanmoins compensé dès 1994, à la suite d’une dévaluation de 50 % du franc CFA imposée par les bailleurs de fonds et la France. Les années suivantes seront marquées par une reprise économique dopée par l’augmentation des cours mondiaux du café-cacao, le retour des bailleurs internationaux, ainsi qu’une meilleure taxation des activités n’échappant pas au contrôle de l’État. Pourtant, dès 1998, plusieurs irrégularités de gestion au sein de l’appareil Bédié amènent la Banque mondiale et le FMI à se désengager du pays. L’affaire la plus emblématique est certainement celle des « 18 milliards de francs CFA de l’Union européenne ». Dans le cadre d’un programme d’aide médicale, la mise au jour d’un système de surfacturation de matériel révélait un vaste détournement de fonds publics au profit du pouvoir. Malgré un mandat d’arrêt international, Bédié ne sera jamais condamné. Ce scandale nourrira le narratif de Robert Guéï, putschiste à l’origine de son éviction en 1999.
La présidentielle de 2025 en toile de fond
Dès le 19 mai, l’ouverture de la résidence de la famille Bédié a été l’occasion, pour les différents bords politiques, de se positionner dans la campagne. Tidjane Thiam, président du PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain), s’est affiché dès le premier jour au côté de la famille de son prédécesseur. Le désormais candidat du parti historique de Bédié a salué celui qui témoignait d’une « vision du futur affinée » ; avant de prononcer le principal hommage à titre posthume et de le remercier pour son empreinte politique. Car cette parenthèse d’une quinzaine de jours est aussi l’occasion de prendre du recul : « Ces funérailles rappellent à tous les prétendants au trône qu’une classe politique qui les a précédés a connu le combat de l’indépendance », confie un observateur.
Parmi les autres personnalités, Simone Ehivet, l’ancienne épouse de Laurent Gbagbo, a fait une apparition remarquée au domicile des Bédié dans le quartier huppé Ambassades à Abidjan. De son côté, son ex-époux, ancien chef d’État et potentiel candidat – pour l’heure inéligible – Laurent Gbagbo a répondu présent à l’hommage qui s’est tenu au palais présidentiel ce vendredi. Accompagné d’une délégation de son parti le PPA-CI, Gbagbo a observé un recueillement discret. Cette cérémonie nationale réunissait donc en un même lieu les protagonistes d’une élection 2025 qui se dessine encore péniblement. Ces apparitions autour d’une même figure sont l’occasion d’une dernière concorde nationale, marquant ainsi l’entrée dans la campagne présidentielle de chacun des candidats.
De son côté, le parti au pouvoir RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) a tenu une position saluée par l’ensemble de la classe politique ivoirienne. Malgré les fortes dissensions de ces dernières années entre l’actuel chef de l’État et HKB, la présidence a décidé d’assumer sa part de deuil en organisant des funérailles nationales. C’est que l’ascension d’Alassane Ouattara doit beaucoup à son prédécesseur. En 2010, HKB l’avait fait roi en lui confiant ses 25 % de voix recueillies au premier tour ; en 2015, le président du PDCI-RDA n’avait pas présenté de candidat, la consigne étant de reconduire Ouattara pour un nouveau mandat. Ce n’est qu’à l’approche de 2020 que Bédié s’était indigné de l’idée d’un autre mandat, plaidant pour un dauphin issu de son parti. Devant le non catégorique du RHDP, HKB invoquait même la « désobéissance civile », un appel qui n’aura finalement pas raison du troisième mandat.
Passé l’inhumation dans sa ville natale de Daoukro, Henri Konan Bédié, figure emblématique de la région du « V Baoulé », continuera de marquer le quotidien de millions d’Ivoriens empruntant chaque année le pont éponyme qui enjambe la lagune abidjanaise.
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