La lettre est arrivée une semaine tout juste après l’investiture de Donald Trump, le 27 janvier. Aussi claire qu’inattendue. Son objet : « Avis de suspension de la subvention de FHI 360, conformément au décret présidentiel sur la réévaluation et la réorientation de l’aide étrangère des Etats-Unis ». L’ONG américaine, engagée depuis presque 40 ans dans la lutte contre le VIH, financée essentiellement par le gouvernement américain, prévient ses partenaires : « votre organisation est invitée à arrêter immédiatement le travail, à compter de la date du présent avis. Vous ne devez donc pas reprendre la mise en œuvre des activités, jusqu’à ce que vous receviez une nouvelle notification par écrit de la part de FHI 360 ».
« Une mort silencieuse, voilà ce qui nous attend » : un mois après avoir reçu ce courrier, Elvis Gnao répond depuis chez lui : il a arrêté d’aller chaque jour au bureau à Abidjan. Inutile puisque l’activité de l’association Arc en Ciel qu’il dirige est réduite au minimum. Les financements de cette ONG ivoirienne de lutte contre le VIH dépendent presque totalement des Etats-Unis. Le DIC, « drop in center », qu’elle gère à Abidjan est un refuge pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ou les personnes transgenres. Un refuge qui tourne désormais au ralenti.
Fin janvier, à l’annonce du « stop work order », une cinquantaine de personnes ont dû être mises au chômage : infirmiers, conseillers communautaires, pairs éducateurs, « c’est-à-dire ceux qui font le travail de terrain, qui vont au contact de la communauté », précise Elvis Gnao. Seuls restent trois salariés : un médecin qui doit aussi remplacer le psychologue, une assistante sociale et un gestionnaire des stocks. Pour combien de temps ? « On peut tenir trois mois mais pas plus, avec nos petits moyens, en utilisant nos fonds propres pour faire face à la crise et grâce à l’aide de Solthis ». L’ONG française partenaire de longue date d’Arc en Ciel continue à la soutenir mais ne peut pas compenser les fonds américains. « Même pour nous, cette suspension remet beaucoup de choses en question, explique Olivier Geoffroy, directeur de Solthis Côte d’Ivoire. Nous sommes obligés de revoir les budgets pour accompagner nos partenaires, de remanier des projets », le tout dans un contexte illisible : « Ça change tous les jours ! ».
Dernière annonce en date : mercredi 26 février. L’administration Trump supprime 92 % des financements de programmes à l’étranger par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international. USAID envoie un courrier concernant presque 5.800 financements, considérés comme « non conforme aux priorités de l’Agence » qui a donc décidé que « poursuivre ce programme n’est pas dans l’intérêt national ».
Par ailleurs, 4.100 subventions du Département d’Etat sont annulées, presque la moitié des 9.100 accordées.
2,4 milliards de dollars
La Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest où plus de 400.000 personnes vivent avec le VIH avec une prévalence de 4,8 % chez les travailleuses du sexe et 7,7 % chez les HSH, a été le premier pays francophone à bénéficier du Plan présidentiel d’urgence de lutte contre le sida. Depuis 2004, le PEPFAR a investi 2,4 milliards de dollars dans la réponse nationale contre le VIH, plus de 100 millions en 2024, soit 50 à 60 % des dépenses : « L’épine dorsale de la réponse nationale, c’est le PEPFAR » conclut le directeur pays ONUSIDA après avoir égrainé ces chiffres. Henk Van Renterghem précise qu’il s’agit d’argent, notamment pour les salaires de plus de 8.600 personnes dont presque 3.600 auxiliaires de soins y compris les agents communautaires mais aussi d’appui technique, d’aide aux laboratoires, de collecte de données…
Les acteurs de la lutte contre le VIH ont donc subi de plein fouet la décision américaine. « Ça a été un choc, confirme Kouamé Pélagie, présidente de l’ONG Conscience et Vie (COVIE) : le PEPFAR finance 40 % de nos ressources humaines et du fonctionnement. On a signé un contrat d’un an, jusqu’à fin septembre 2025 et il s’arrête du jour au lendemain, sans préavis ! Ça a entraîné un grand découragement, à tous les niveaux ». « La situation est extrêmement pénible pour nos bénéficiaires » complète Camille Anoma, directeur d’Espace Confiance, une ONG qui offre des services à environ 50.000 personnes et dépend à 80 % de l’aide américaine. Il estime avoir des financements jusqu’à mi-avril « mais avec des activités réduites et des recommandations de ne plus faire certaines activités ».
La décision, annoncée par le gouvernement américain le 10 févrierd’épargner les traitements antirétroviraux et la prévention de la transmission mère-enfant a effectivement permis de reprendre une partie des activités. Mais le texte exclut explicitement les programmes DEI, « diversité, équité, inclusion » et les acteurs racontent que la reprise se fait dans la confusion et que la situation est loin d’être revenue à la normale.
Une décision de justice américaine a par ailleurs permis aux Centers for Disease Control (CDC), autre agence de mise en œuvre du PEPFAR avec l’USAID, de reprendre ses financements, apportant une bouffée d’oxygène pour les associations qui bénéficient par son intermédiaire des fonds américains. C’est le cas d’Espace Confiance et de COVIE qui ont ainsi réussi à ne pas fermer complètement leurs structures, même si elles fonctionnent désormais sous restrictions.
« Les choses ne reprendront pas comme avant »
Même ceux qui, à fin février, n’ont pas encore reçu le courrier couperet de l’USAID, ne se font pas d’illusions : Camille Anoma s’attend à la recevoir et sait que « les choses ne reprendront pas comme avant, qu’il faut s’inscrire dans l’optique d’avoir moins de ressources et moins d’activités autorisées en ce qui concerne les aides américaines ».
Pour Kouamé Pélagie, « la prise en charge des personnes vivant avec le VIH va certainement continuer, si tu es malade, tu pourras être traité. Mais beaucoup d’activités vont être restreintes, en particulier la sensibilisation et la prévention. Le travail des acteurs de terrain, le suivi communautaire ne seront plus assurés. Les travailleuses du sexe n’iront pas à l’hôpital par peur de la stigmatisation et les structures étatiques n’enverront personne les chercher. Et pour les associations qui aident les personnes transgenres et les HSH c’est encore plus compliqué ! ».
L’association COVIE se débrouille encore pour maintenir des activités communautaires mais pour combien de temps ? « On doit trouver des fonds complémentaires, de nouveaux partenaires et recevoir le soutien des ONG européennes, explique sa présidente. Sinon on risque de reculer sur tous les progrès faits et de voir les infections remonter ». « Il faut réfléchir à la façon dont les gouvernements vont prendre le relais si les bailleurs partent » complète Gisèle Takalea de la Plateforme des réseaux de lutte contre le sida et les autres pandémies.
Un mois après la première annonce de Washington, à Abidjan comme ailleurs, les bénéficiaires sont les premières victimes. « Nous sommes des personnes vulnérables mais cette situation nous rend encore plus vulnérables », constate Filbert Guehi Lasso, président du Conseil d’administration du Réseau Ivoirien des personnes vivant avec le VIH (RIP+). Cet Ivoirien engagé vit avec le VIH depuis plus de 30 ans : « Si maintenant, après ce long combat, j’ai des complications, ce sera très difficile pour moi et pour ma famille. On avait l’espoir de voir la fin de l’épidémie en 2030 mais maintenant, c’est tout le système qui est bouleversé ».
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