Les effets désastreux du gel de l’aide au développement américaine, décidée le 24 janvier par le président Donald Trump, commencent à se faire sentir en Afrique. En quelques semaines, 92 % des financements ont été définitivement coupés et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid) démantelée et rapatriée dans le giron du département d’Etat. Une purge qui va particulièrement toucher les femmes africaines.

Un mois avant cette décision, la photographe italienne Gaia Squarci avait accompagné les équipes du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) en Guinée-Bissau, où l’agence développe, en partenariat avec des ONG locales, des programmes visant à améliorer la santé reproductive. Parmi leurs missions, la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF), l’accès aux soins de maternité et l’information sur les infections sexuellement transmissibles.
Le 10 décembre 2024, quelques centaines de personnes se sont réunies devant la petite mosquée d’un village de la région de Gabu, à près de 200 km à l’est de Bissau, la capitale. L’occasion est inédite : ce jour-là, 24 communautés rurales ont signé une déclaration d’intention pour s’engager à mettre fin aux pratiques qui consistent à retirer le clitoris et d’autres parties des organes génitaux externes féminins.
Encore très répandues en Afrique, ces mutilations entraînent souvent des complications de santé sur le long terme pour les femmes opérées. Elles ont été reconnues comme une violation des droits humains au niveau international et criminalisées en Guinée-Bissau depuis 2011. Mais environ 52 % des femmes âgées de 15 à 49 ans sont toujours touchées dans le pays, avec une incidence plus élevée au sein des communautés musulmanes. Dans les régions rurales comme Gabu, le chiffre s’élève à 96 %.




Le rassemblement organisé à Gabu est un événement à l’échelle locale. Chaque communauté villageoise est vêtue d’une couleur, dans un habit cousu spécialement pour l’occasion. « Normalement, on ne peut pas parler ouvertement de l’arrêt des MGF », explique Mariama Djau, 18 ans, membre d’un comité local de protection de l’enfance. Il y a quelques mois, la jeune femme a commencé à travailler avec l’ONG Tostan et le Fnuap pour aider à éradiquer ces pratiques. Pour y parvenir, les équipes, conscientes que ces usages sont profondément ancrés dans la culture, s’appuient sur les leaders communautaires, notamment les imams.


Cliniques mobiles
En quittant Bissau en direction de l’est, une épaisse couche de poussière rouge recouvre les feuilles des buissons et des anacardiers. Les arbres ont été abattus le long des routes pour faire place aux poteaux qui achemineront bientôt l’électricité aux communautés agricoles. L’accès aux soins de santé, lui, reste un défi majeur dans le pays. Pour compenser le manque d’infrastructures de soin dans les régions reculées, le Fnuap a déployé en 2024 deux cliniques mobiles. A leur bord, des sages-femmes qualifiées proposent gratuitement des examens médicaux aux femmes enceintes, notamment des échographies.
A l’ombre d’un manguier, dans un petit village de la région de Bafata, Salimatu Baldé, enceinte de neuf mois, attend son tour. Au début de sa grossesse, la vingtenaire a dû marcher sept kilomètres jusqu’à l’hôpital le plus proche pour un contrôle. Elle a été soulagée d’apprendre qu’une clinique mobile offrait des consultations plus près de chez elle.






Umo Baldé, 25 ans, est effondrée. Il y a quelques jours, au troisième mois de grossesse, elle a commencé à perdre du sang. Ne sachant que faire, elle a attendu le passage de la clinique. Son bébé n’a pas survécu. « Je veux juste avoir au moins un enfant », murmure-t-elle. Contrairement à la plupart des femmes de sa communauté, elle a eu la possibilité d’étudier. Sa famille a vendu une partie du bétail pour payer sa scolarité quand elle était jeune. Aujourd’hui, son mari finance ses études. « Mon père était médecin pendant la guerre d’indépendance contre le Portugal. Nous sommes une famille musulmane mais il m’a toujours mise en garde contre les MGF. Si j’ai une fille, je ne lui ferai pas ça », explique-t-elle.
Préservatifs gratuits
Au coin d’une rue animée de Bissau, Malan Sambu, 23 ans, prend des préservatifs dans un distributeur gratuit. « Je viens toujours ici. J’utilise des préservatifs depuis que mon frère aîné m’a parlé des maladies sexuellement transmissibles, il y a quelques années. Certains de mes amis ont été infectés. »




Les distributeurs (164 au total) ont été installés dans toute la capitale. « Ils sont essentiels, car les jeunes sont jugés s’ils achètent des préservatifs en pharmacie », explique Haja Sissé, 27 ans, qui travaille comme éducatrice et comme enseignante pour les femmes âgées de 50 à 60 ans n’ayant jamais eu accès à l’éducation. « Les gens pensent que nous sommes irresponsables, que nous donnons la priorité au sexe plutôt qu’aux études. Dans notre société, on ne parle pas ouvertement de ces choses-là et on fait comme si ce n’était pas indispensable d’avoir des préservatifs. Pour des raisons culturelles, ce sont plutôt les hommes qui en achètent. Des femmes qui s’en procureraient seraient très mal vues. »
Aissatu Baldé, 21 ans, étudiante en informatique au Centre pour le développement de la jeunesse de Bafata, décrit la pression exercée sur les femmes pour qu’elles abandonnent leurs études. « Je veux devenir enseignante, mais les gens de mon âge, garçons et filles, se moquent de moi. Ils disent que je perds mon temps parce qu’à la fin, je serai juste mariée. Je leur prouverai qu’ils ont tort. »


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