Espace TV n’émet plus. Comme plusieurs autres médias privés de Guinée, la chaîne de télévision a reçu, mercredi 22 mai, la visite d’une équipe de l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT) accompagnée d’un huissier de justice. C’est ce dernier qui s’est chargé de lire l’arrêté pris par le ministère de l’information et de la communication, annonçant le retrait de la licence de l’antenne fondée il y a dix-sept ans, au prétexte qu’elle ne respectait pas le « contenu des cahiers de charges » (sic).
Trois groupes de média ont été ciblés : Hadafo Médias, auquel appartient Espace TV, mais aussi Fréquence Médias et Djoma Médias. Au total, ce sont six radios et télévisions, parmi les plus regardées du pays, qui ont cessé d’émettre mercredi presque simultanément. Une décision qui met au chômage plusieurs centaines de personnes et réduit considérablement le champ de la liberté d’expression dans un pays où les militaires, au pouvoir depuis septembre 2021, ne semblent pas prêts à passer la main.
« La répression des médias doit cesser ! », s’est insurgée, sur le réseau social X, l’ONG Reporters sans frontières (RSF), rappelant que les autorités s’étaient engagées auprès d’elle à débloquer « une situation déjà dramatique » pour les médias. Après des mois de conflit entre les autorités de transition et les journalistes, un accord semblait en effet en bonne voie.
Les patrons de presse avaient fini par accepter la création d’un Observatoire guinéen d’autorégulation de la presse (OGAP), instance censée veiller au respect des bonnes pratiques en matière d’éthique et de déontologie. Bien que le principal syndicat des journalistes ait refusé de s’associer au projet – déjà surnommé « l’Observatoire guinéen d’autocensure de la presse » –, les médias privés espéraient, en contrepartie, obtenir la fin du brouillage des ondes des radios Espace FM, Djoma FM, FIM FM qu’on ne capte plus à Conakry depuis novembre 2023.
« Faire taire les voix dissonantes »
Finalement, l’OGAP a bien vu le jour… mercredi, au moment même où les grands groupes de médias du pays étaient obligés de couper leurs antennes. Pour les professionnels, la désillusion est d’autant plus grande que ces fermetures en cascade sont endossées par un ministre de l’information et de la communication, Fana Soumah, qui est lui-même un ancien journaliste et un premier ministre, Amadou Oury Barry, qui a fait partie des membres fondateurs de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH).
« Rien ne justifie cette décision à moins que l’on veuille faire taire toutes les voix dissonantes du pays », dénonce Thierno Madjou Bah, animateur vedette de l’émission « Les informés » sur Espace TV. « On a l’impression que c’est un blasphème de donner son avis aujourd’hui. Alpha Condé ne l’a pas fait ; sous Lansana Conté c’était difficile, mais, en 2006, il a libéralisé les ondes. Ce qui se passe est juste inédit », estime Kabinet Fofana, politologue et chroniqueur chez FIM FM.
La mise sous cloche d’une partie des radios et télévisions privées intervient après que le premier ministre a annoncé que la période de transition serait prolongée au-delà de 2024, contrairement au calendrier issu de l’accord entre la junte et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Mardi, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un collectif de la société civile dissous par les autorités, a menacé de reprendre les manifestations si la junte ne s’engageait pas à rendre le pouvoir d’ici à la fin de l’année.
Les manifestations sont interdites en Guinée depuis 2022 et un certain nombre de dirigeants de l’opposition, dont des membres du FNDC, ont été arrêtés, poursuivis, ou contraints à l’exil.
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