Haïti est plongé dans le chaos depuis l’assassinat du dernier Président haïtien élu, Jovenel Moïse, en juillet 2021. Le dirigeant était soupçonné de corruption, alors qu’une de ses promesses de campagne était l’augmentation du pouvoir d’achat. La croissance économique du pays est négative depuis 2019 (-4 % en 2024) et est combinée avec une inflation de 25,3 % (en octobre 2024) et une chute de 20 % des exportations.
La démission du Premier ministre Ariel Henry, il y a exactement un an, n’a pas apaisé les groupes armés qui demandaient son départ. Les violences se sont mêmes aggravées, malgré un gouvernement de transition. Le pouvoir est revendiqué par plus d’une vingtaine de gangs armés, qui règnent de facto en maître sur 85 % du territoire du pays. Des balles perdues issues des affrontements avec la police fauchent régulièrement les résidents de la capitale, dont certains quartiers s’apparentent à de véritables zones de guerre. Plus de 5 600 morts, 1 500 enlèvements et des milliers de viols sont à déplorer rien qu’en 2024, selon l’Onu.
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Enfants gangsters
La violence incessante des gangs, l’effondrement des services essentiels (en particulier les soins de santé) et l’aggravation de l’insécurité alimentaire ont poussé plus d’un million de personnes à se déplacer à l’intérieur du pays en 2024 – soit trois fois plus qu’en 2023. La moitié est des enfants, qui se retrouvent sans maison, parfois sans famille ni école. Ce dernier élément inquiète particulièrement l’Unicef : rien qu’en janvier 2025, 47 écoles ont été détruites dans la capitale, faisant monter le bilan à 331 écoles détruites depuis janvier 2024.
Dans les gangs, les garçons sont utilisés comme des messagers ou informateurs, tandis que les filles sont chargées des tâches domestiques
Et pour les groupes armés, un enfant est une ressource qui peut s’avérer utile. En un an, le recrutement d’enfants de 8 à 10 ans a augmenté de 70 % dans les gangs – composés surtout d’hommes âgés de 18 à 25 ans, qui sont parfois pères de famille. Les garçons sont utilisés comme des messagers ou informateurs, tandis que les filles sont chargées des tâches domestiques. Et au fur et à mesure qu’ils grandissent, ils prennent part à des actes de violence à leur tour.
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Guerre contre la population
Alors que 40 % de la population haïtienne a moins de 25 ans, les gangs sont une opportunité pour les jeunes hommes de vivre dans des conditions décentes. C’est notamment de cette façon que le soulèvement populaire de 2018-2019, où des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour réclamer la fin de la corruption et l’impunité, s’est mué en une véritable guerre.
Ils produisent toute une série de massacres et commettent des viols, avec l’indifférence de la police et du pouvoir
Pour les gangs, il s’agit d’une guerre civile entre des justiciers de la rue prêts à se sacrifier pour le peuple (eux, donc) et des policiers corrompus (les forces de l’ordre officielles). Pour Frédéric Thomas, docteur en science politique, chargé d’étude au CETRI (auteur de « Haïti, notre dette », Ed. Syllepse), il s’agit surtout d’une guerre contre la population. « Les gangs utilisent la terreur pour casser les dynamiques sociales et contrôler les quartiers. Ils produisent toute une série de massacres et commettent des viols, avec l’indifférence de la police et du pouvoir qui ne vont pas intervenir. On est face à une accélération d’un processus de gangstérisation de l’État.«
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Aide américaine
Actuellement, quelque 5,5 millions de personnes – la moitié de la population haïtienne – dépendent de l’aide humanitaire pour survivre, d’après l’Onu. Pourtant, seul un tiers des institutions de santé fonctionnent encore, et les associations comme Médecins Sans Frontières (MSF) sont submergées dans les camps de déplacés. MSF a d’ailleurs été contraint de suspendre ses activités à plusieurs reprises en raison d’attaques répétées contre son personnel et de l’exécution de patients en transit.
En 2024, près de 60 % du financement obtenu pour répondre à la crise humanitaire haïtienne provenait des États-Unis
Et pour aggraver la situation, l’Administration Trump a annoncé fin février tailler massivement dans l’agence américaine de développement, l’USaid, pour « faire économiser près de 60 milliards de dollars aux contribuables« . L’aide américaine, qui représente 42 % de l’aide humanitaire mondiale, a ainsi été gelée de manière temporaire, le temps pour la Maison Blanche de sélectionner les 1 000 programmes à conserver (et les 4 550 à abandonner). En 2024, près de 60 % du financement obtenu pour répondre à la crise humanitaire haïtienne provenait des États-Unis, ce qui représente environ 400 millions de dollars.
L’aide américaine représente par ailleurs 17 % du budget du gouvernement haïtien. S’il venait à être confirmé, « l’arrêt brutal de l’aide serait peut-être une opportunité de réfléchir à la dépendance de Haïti [aux aides internationales] et à son manque de moyens souverains pour résoudre ses propres problèmes« , présume Frédéric Thomas.
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Pouvoir de la société civile
N’y a-t-il donc aucun espoir ? Frédéric Thomas estime qu’une amélioration de la situation passe par la légitimation des acteurs de la société civile, tant aux yeux du pouvoir haïtien que ceux de la communauté internationale. « Il y a des mouvements de femmes, de paysans, des syndicats, des ONG des droits humains, des églises, qui sont très actives sur le terrain. Mais leur parole n’est pas suffisamment prise en compte. La communauté internationale veut bien s’appuyer sur eux pour venir en aide directement aux victimes, mais pas écouter leurs revendications pour sortir de la crise. Et les autorités haïtiennes sont plus attentives à ce que disent les acteurs internationaux plutôt que la population.«
Il ajoute qu’un changement significatif peut également s’opérer par l’application de deux résolutions de l’Onu, jusqu’ici ignorées : un embargo sur toutes les armes qui arrivent en Haïti et des sanctions contre les personnalités qui soutiennent les gangs.
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