En Martinique et en Guadeloupe, pourquoi les eaux des mangroves se colorent-elles en rose ?

Depuis quelques années, certaines mangroves de Martinique et de Guadeloupe se parent d’une robe rose fuchsia du plus bel effet. Aussi surprenants que spectaculaires, ces phénomènes naturels sont largement relayés sur les réseaux sociaux et suscitent de nombreuses interrogations.

Mais qu’appelle-t-on « mangrove » ? La mangrove est un écosystème côtier unique présent dans les régions tropicales et subtropicales. Cet écosystème forestier est caractérisé par plusieurs espèces d’arbres appelés palétuviers qui se répartissent selon un gradient de salinité.

Des mangroves peuplées de palétuviers rouges, noirs et blancs

Les palétuviers rouges vivent sur le rivage et sont reconnaissables à leurs longues racines aériennes plongeant dans l’eau de mer (35 g/l de sel). À l’intérieur des terres, on trouvera le palétuvier noir (supportant jusqu’à 70 g/l de sel) et, en arrière-mangrove, le palétuvier blanc vivant dans un milieu où la salinité dépasse rarement 10 g/l de sel.

Les mangroves assurent plusieurs fonctions écologiques importantes comme la protection des côtes contre l’érosion, la filtration des polluants et des sédiments, ou encore la régulation des cycles biogéochimiques. Bien que ces fonctions soient cruciales pour l’environnement, certains phénomènes comme des échouements massifs de sargasses peuvent provoquer des eaux colorées qui bouleversent ponctuellement l’équilibre de ces zones protégées.

Guadeloupe et Martinique touchées par ces colorations

Il faut distinguer deux cas. Le premier consiste en une coloration localisée en de petites tâches sur le sédiment, le second consiste en une coloration totale de l’eau de mer. Les premières colorations roses dans les mangroves des Antilles françaises ont d’abord été observées en 2018 en Guadeloupe dans les mangroves de Baie-Mahault et de Saint-François. Des taches roses visibles sur les sédiments marins apparaissent sporadiquement à proximité des racines des palétuviers.

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Les investigations menées par l’université des Antilles ont révélé que ces colorations étaient dues à la présence de bactéries photosynthétiques appelées « bactéries pourpres sulfureuses » appartenant à la famille des Chromatiaceae, la couleur rose étant directement dépendante du pigment photosynthétique produit par ces bactéries.

Puis, plus récemment, des colorations roses de plus grande ampleur ont été observées en Martinique, dans les mangroves du Diamant et de Trinité, et dans une moindre mesure dans celle du Robert. Contrairement à la Guadeloupe où les colorations roses étaient localisées uniquement sur la vase, en Martinique c’est toute la colonne d’eau qui devenait rose. Dans ce cas précis, ce phénomène est appelé « eau colorée ».

Des eaux rose fuchsia dues à des bactéries

Les analyses menées conjointement par l’Ifremer et l’université des Antilles ont montré qu’il s’agissait de populations de bactéries photosynthétiques diverses produisant des pigments photosynthétiques pourpres roses. Ainsi, d’autres bactéries pourpres non sulfureuses, les Rhodobacteraceae, contribuaient-elles aussi au phénomène d’eau colorée rose en Martinique en plus des Chromatiaceae, elles aussi présentes.

Les Chromatiaceae et les Rhodobacteraceae sont des bactéries non pathogènes pour la population humaine qui synthétisent des pigments appartenant au groupe des caroténoïdes qui leur donnent cette couleur caractéristique. Bien qu’elles soient individuellement de petite taille (quelques micromètres de longueur) et invisibles à l’œil nu, ces bactéries peuvent atteindre dans certaines conditions environnementales de si fortes concentrations que leurs pigments deviennent visibles.

L’hypothèse émise concernant la présence de la microalgue Dunaliella salina, responsable des eaux colorées roses en Martinique n’a pas été confirmée par nos investigations.

Comment se développent ces bactéries pourpres ?

Pour se développer, les bactéries pourpres ont besoin d’un milieu anoxique, c’est-à-dire dépourvu d’oxygène. Cette absence d’oxygène apparaît généralement après un fort enrichissement en matière organique du milieu, un phénomène appelé « eutrophisation ».

Lors d’un phénomène d’eutrophisation dans un milieu aqueux, des bactéries consommatrices de matière organique trouvent les conditions idéales pour une forte croissance, devenant rapidement la population bactérienne la plus abondante. Ce développement extrêmement rapide s’accompagne d’une forte consommation de l’oxygène dissout dans l’eau, ce qui rend le milieu anoxique, c’est-à-dire sans oxygène disponible.

Les sargasses sont très présentes aux Antilles. (©Hans Lucas / AFP)

Il s’ensuit la mort de tous les animaux aquatiques qui n’ont pas pu fuir cet écosystème, et donc une augmentation de la quantité de matière organique disponible. Intervient alors une deuxième population de bactéries qui sont des bactéries vivant en absence d’oxygène et dégradant la matière organique. Ces bactéries appartiennent au groupe des bactéries dites sulfato-réductrices qui ont la particularité de libérer du sulfure d’hydrogène (H2S) lors de leur développement.

Cette seconde population de bactéries va donc se trouver dans des conditions idéales pour un développement extrêmement rapide et va enrichir le milieu en sulfures. Ce nouveau milieu sans oxygène, mais en présence de sulfures et de lumière, va devenir très favorable à une troisième population de bactéries qui sont les bactéries photosynthétiques pourpres. Ces bactéries vont se développer sur toute la colonne d’eau donnant la couleur rose/pourpre caractéristique de ce phénomène.

Sargasses, température de l’eau et salinité en cause ?

En Guadeloupe comme en Martinique, l’apport massif en matière organique viendrait de sargasses échouées sur le littoral qui auraient limité les échanges d’oxygène entre la mer et la mangrove. Il est important de souligner que les colorations peuvent survenir quelle que soit la nature de l’apport de matière organique en décomposition.

D’autres paramètres comme une température élevée de l’eau et une forte salinité ont pu exacerber ces colorations, ces deux paramètres ayant un impact sur la solubilité de l’oxygène dans l’eau. En Guadeloupe, les bactéries pourpres sulfureuses ont été observées dans les mangroves présentant des salinités proches de celle de l’eau de mer, c’est-à-dire variant entre 30 g/l et 40 g/l alors qu’en Martinique les salinités mesurées pouvaient être supérieure à 60 g/l.

Ces phénomènes d’eaux colorées roses peuvent être observés pendant plus d’un mois si les conditions environnementales le permettent. Généralement, la coloration s’estompe quand le cordon littoral ne représente plus un obstacle important pour la circulation de l’eau entre la mangrove et la mer, c’est-à-dire après une marée haute où encore après un épisode pluvieux important permettant ainsi à l’eau de la mangrove d’être oxygénée de nouveau.

Cette réoxygénation de l’eau entraîne une diminution rapide des populations de bactéries sulfato-réductrices suivie par les bactéries pourpres, et donc la disparition de la couleur rose de l’eau.

Et d’où provient l’odeur de soufre ?

Lors des épisodes d’eaux colorées roses, une odeur d’œuf pourri est perceptible. Cette odeur est certes due à la décomposition de la matière organique échouée sur le cordon littoral mais pas seulement !

En effet, les bactéries anaérobies sulfato-réductrices qui ont été identifiées lors de phénomènes d’eaux roses en Martinique libèrent du sulfure d’hydrogène connu pour dégager aussi cette odeur d’œuf pourri.

S’inspirer de projets sur les eaux vertes, rouges ou brunes dues aux microalgues

Comme les bactéries, les microalgues (algues microscopiques) sont aussi responsables d’eaux colorées. Quand elles sont présentes en fortes concentrations elles provoquent des eaux vertes, rouges ou brunes. La couleur des eaux est alors spécifique aux pigments des espèces de microalgues dominantes qui se développent dans la colonne d’eau.

Lors de développements importants de microalgues, le milieu peut soit rester oxygéné soit devenir anoxique (dépourvu d’oxygène), ce qui entraîne alors une mortalité massive d’organismes marins. L’Ifremer travaille sur un projet de science participative Phenomer 2.0, qui permettra à la population de signaler dès l’année prochaine les eaux colorées survenant sur le littoral de France hexagonale.

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Ce projet permettra d’améliorer les connaissances sur les organismes responsables d’eaux colorées. Dans un contexte d’eutrophisation côtière aux Antilles, une alternative sur un projet comparable pourrait être proposée en Martinique et en Guadeloupe.The Conversation

Aurélie Boisnoir, Chercheure en écologie et physiologie des microalgues tropicales, Ifremer et Olivier Gros, Professeur en biologie marine, UMR 7205 ISYEB, responsable de l’équipe « Biologie de la Mangrove », Université des Antilles, Université des Antilles.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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