En RDC, légendes vivaces mais temps difficiles pour les pêcheurs de crocodiles | TV5MONDE

Avec ses yeux, le crocodile à museau court, le plus redoutable, peut faire exploser les ampoules des lampes torches. Sur le Congo, les légendes accompagnent encore les pêcheurs Banunu, même si les traditions et l’activité économique ne sont plus ce qu’elles étaient.

Michel Koko, alias Lebe, 52 ans, est pêcheur depuis ses 10 ans. Initié par son père, Henry Koko, il a à son tableau de chasse des crocodiles de toutes tailles, des caïmans, des varans et toutes sortes de poissons du Congo, le deuxième plus long fleuve d’Afrique après le Nil avec ses 4.700 km.

Il est Libinza, tribu cousine de celle des Banunu-Bobangi, riveraine du fleuve depuis le début du 18e siècle, au niveau des provinces de l’Equateur et de Maï-Ndombe, et réputée pour ses mythes extraordinaires de pêche et de chasse.

« Mon père m’a légué sa lance », raconte Michel, convaincu que c’est grâce à elle qu’il ne rate presque jamais sa cible.

Certains pêcheurs Banunu héritent non seulement des lances et totems de leurs aînés, mais aussi de leur « clairvoyance ». Avec l’aide de vin de palme, de noix de cola « makasu » ou de fruits de brousse « mondongo », ils disent arriver à se projeter dans le futur.

« S’ils ne voient que la mort, ils ne chassent pas ce jour-là », affirme Michel, rencontré à Mbandaka, chef-lieu de la province de l’Equateur, à environ 700 km en amont de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo.

Il assure connaître les crocodiles par coeur, savoir communiquer avec eux, les attirer en imitant leurs cris. Le « mbama », crocodile à museau long, « répond en renvoyant l’eau de sa gueule » et « là, c’est le moment de lui porter le coup fatal », explique-t-il.

Avec le « ngando » à museau court, c’est plus compliqué. « Il faut se positionner au milieu de la pirogue, car il peut surgir de partout », détaille le pêcheur, pour qui cet animal est doté d’une « vision à infrarouge » et dégage « du courant électrique ».

« Si un crocodile te mord, il ne faut surtout pas crier », conseille par ailleurs le chasseur. « Si tu ne dis rien, il pensera que tu es un tronc d’arbre et lâchera prise ».

« La vie de tous les jours »

A 91 ans, Papa Baron Missiki raconte avoir chassé lui aussi des crocodiles, en plus de buffles, antilopes, éléphants ou hippopotames. A sa retraite, suivant la tradition, il a initié son fils Missiki, troisième du nom.

Avec la fierté de l’expérience et de l’appartenance à la communauté, la nostalgie perce à tout moment dans les récits des pêcheurs.

Michel se souvient qu' »à l’époque de Mobutu », au pouvoir dans l’ex-Zaïre de 1965 à 1997, « la chasse au crocodile rapportait beaucoup d’argent ». Sa peau était très recherchée pour ses supposés « dons miraculeux », tels que la protection de la famille contre les esprits malveillants, mais aussi par « l’industrie de la mode ».

« On partait chasser avec des sacs de sel sur la pirogue, pour assurer la conservation de la peau. L’or de l’époque, c’était ça, on s’en fichait un peu de la chair », raconte-t-il.

Mais maintenant, la vente de peaux de crocodiles sauvages « est interdite », au nom de la préservation des espèces, constate le pêcheur, qui a aussi vu la quantité d’animaux se raréfier dans le fleuve, à cause, suppose-t-il, de la surpêche, du dérèglement climatique, de la pression humaine, de l’intensification du trafic d’engins motorisés…

« Nous ne pouvons pratiquer que la chasse au crocodile nain, appelé « ngokia » et parfois au varan (le « mbambi »), poursuit Michel. « Vu la reproduction facile des crocodiles nains, impossible que cet espèce disparaisse », veut-il croire.

Pour s’en sortir, des pêcheurs travaillent dans des entreprises locales, dans le commerce, ou investissent dans la pisciculture. Et le braconnage fait aussi partie du paysage, dans un pays où les lois sont à l’épreuve d’une corruption endémique.

« Comment vivre sans la vente d’animaux sauvages? », s’interroge Lucie, vendeuse au marché Lingunda de Mbandaka. « Quand bien même ce serait interdit », poursuit-elle, « cela permet de payer l’école des enfants, le loyer, la vie de tous les jours ».

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