ENTRETIEN – Le monde doit tirer les leçons du succès de l’Amérique du Sud dans la réduction de la faim

Si les tendances actuelles persistent, environ 582 millions de personnes seront encore confrontées à la faim en 2030 dans le monde, dont la moitié en Afrique.

Malgré quelques progrès depuis le pic de la période de la pandémie de COVID-19, d’importantes disparités régionales persistent, observe Máximo Torero, Economiste en chef de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Dans un entretien, M. Torero examine les raisons de ces différences régionales et souligne l’importance de la nouvelle alliance du G20 contre la faim et la pauvreté.

L’entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.

Des ouvriers déchargent un camion de nourriture dans l’entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM), à Maiduguri, au Nigeria.

Quels facteurs contribuent à faire de l’Afrique la région la plus gravement touchée par la faim ?

Máximo Torero : En comparant l’Afrique avec l’Amérique du Sud, une différence clé que nous observons est que l’Amérique du Sud investit une part importante de ses ressources dans des programmes de protection sociale qui permettent des interventions ciblées qui réduisent efficacement et rapidement la faim.

Dans le cas de l’Afrique, nous n’avons pas observé la capacité nécessaire pour mettre en œuvre des programmes de protection sociale efficaces et ciblés. De plus, c’est une région touchée de manière disproportionnée par les conflits, le changement climatique et le ralentissement économique. C’est actuellement le pays qui compte le plus grand nombre de pays confrontés à une crise alimentaire en raison de ces trois facteurs clés, le conflit étant le principal facteur.

De plus, c’est une région actuellement confrontée à d’importants défis financiers, notamment en termes d’accès au financement. De nombreux pays de la région sont confrontés au surendettement, ce qui limite leurs ressources et entrave la mise en œuvre des politiques nécessaires pour accélérer les efforts de réduction de la faim.

Dans le cas de l’Amérique latine, est-ce que les investissements dans des programmes de protection sociale sont une leçon que le reste du monde devrait retenir ?

Máximo Torero : Absolument, c’est l’une des leçons que nous devons tirer de l’Amérique latine, en particulier de l’Amérique du Sud. Le Brésil, la Colombie, le Pérou et le Chili disposent de systèmes de protection sociale solides. Ces systèmes leur permettent de réagir rapidement aux changements et de cibler efficacement leurs ressources financières disponibles, ce qui est particulièrement crucial compte tenu des contraintes financières actuelles auxquelles chacun est confronté.

En étant efficaces dans leur approche, ces pays peuvent cibler les populations les plus vulnérables. La région s’est rapidement remise de la pandémie de COVID-19 par rapport à d’autres régions du monde.

Cette reprise est un facteur important à l’origine des changements positifs que nous y constatons. Nous parlons de plus de cinq millions de personnes sorties de la faim au cours des trois dernières années.

Il s’agit d’une amélioration substantielle, ramenant la région aux niveaux d’avant la COVID-19, et c’est précisément ce à quoi nous aspirons.

Le changement climatique pourrait-il inverser certaines de ces tendances positives dans la région ?

Máximo Torero : Nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes va augmenter. Même si l’Amérique latine s’est considérablement améliorée, elle a encore beaucoup à faire. Même si la région dispose d’institutions et de programmes sociaux solides tels que les transferts monétaires conditionnels, il est crucial qu’ils continuent à s’améliorer et ne se reposent pas sur leurs lauriers.

Pourquoi ? Parce que nous avons besoin d’un plan de transferts monétaires conditionnels dont le ciblage évolue en fonction du lieu où surviennent les chocs. Il ne s’agit pas simplement de donner de l’argent aux mêmes personnes qu’avant, mais plutôt de l’orienter vers les plus vulnérables, en fonction du type de choc auquel nous sommes confrontés.

La FAO travaille dur pour trouver de meilleurs moyens d’identifier à l’avance où et quels types de chocs affecteront les différents pays.

Il reste encore beaucoup à faire et à gagner en efficacité. Nous avons beaucoup appris des expériences passées, mais la région doit continuer à apprendre.

Nous vivons dans un monde où les vulnérabilités ont augmenté. C’est un monde de risques, d’incertitudes et de changement climatique. Cela nous affectera non seulement par des sécheresses, des inondations et la variabilité climatique qui rendent la prise de décision plus difficile, mais également par l’évolution des maladies et des ravageurs.

Nous voyons ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, mais nous devons aussi considérer la migration des espèces et la migration des humains. Nous devons travailler là-dessus.

Il est important de souligner qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, la région qui s’en sort le mieux est l’Amérique du Sud. L’Amérique centrale a un long chemin à parcourir pour réaliser des améliorations significatives, et les Caraïbes ont également beaucoup à faire pour devenir plus résilientes, car ce sont les régions qui seront les plus touchées par le changement climatique et qui sont également les plus dépendantes des importations alimentaires.

En bref, la région est hétérogène et nous devons travailler à la niveler et accélérer le processus nécessaire pour nous préparer à un monde qui changera en termes de fréquence des événements et des chocs climatiques.

S’agissant de l’objectif « Faim zéro » d’ici 2030, est-il possible de rattraper le retard ?

Máximo Torero : Nous sommes en retard sur tous les indicateurs. C’est clair. Si nous projetons les chiffres d’aujourd’hui, nous aurons jusqu’à 582 millions de personnes souffrant de sous-alimentation chronique ou de faim d’ici 2030. C’est un demi-milliard de plus que l’objectif, qui est la faim zéro.

Nous devons accélérer le processus et le changement si nous voulons nous rapprocher le plus possible de notre objectif, qui était très ambitieux dès le départ. Il ne nous reste que six ans. Nous devons agir et accélérer les progrès, en tirant les leçons de l’Amérique du Sud et de toutes les régions, pour atteindre notre objectif.

La deuxième partie du rapport de cette année se concentre sur le financement. Pour atteindre notre objectif, nous devons changer la manière dont nous finançons les efforts de réduction de la faim dans le monde. C’est pourquoi nous devons trouver des moyens d’accélérer le financement.

Mais nous avons besoin que plusieurs choses se produisent. Premièrement, nous devons mieux nous coordonner. Les donateurs et différentes agences fournissent des financements avec différents objectifs en tête, et cela doit être amélioré. Nous devons accroître la coordination ainsi que le ciblage.

Deuxièmement, nous devons prendre davantage de risques. Nous sommes trop réticents à prendre des risques dans la manière dont nous allouons les ressources. Il faut parfois prendre des risques. Par exemple, sacrifier un peu de croissance pour garantir une réduction de la pauvreté et donc moins de faim dans le monde.

Troisièmement, nous devons multiplier les différentes manières d’obtenir du financement. Une solution consiste à attirer des financements du secteur privé. Mais nous devons également innover, même dans le domaine du financement mixte. Nous devons réduire les risques grâce à l’information. C’est le rôle de la FAO : apporter de meilleures informations au monde sur ce qui se passe et où se situent les problèmes, afin que les entreprises et les pays puissent mieux cibler leurs efforts.

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