: Entretien « Un point d’équilibre » sur le port du voile, parité « plus volontariste », « doublement » des budgets… La ministre des Sports dévoile ses priorités pour les femmes

« Je vous sers un café ? Court ou long ? ». Arrivée depuis deux mois tout juste, Marie Barsacq semble déjà dans ses pantoufles, perchée au 6e étage d’un bureau vitré du ministère des Sports, où des vestiges des JO de l’été dernier subsistent sur les murs et au sol. « Il faut entretenir la flamme pour se projeter sur les Jeux des Alpes 2030, sourit-elle en se remémorant le chemin parcouru ces neuf dernières années au sein du Cojop de Paris 2024 comme directrice exécutive héritage et impact. Et puis, sur ma feuille de route, j’ai aussi dans mes priorités, la promotion des femmes dans le sport« . Un sujet coché par franceinfo: sport, qui l’a interrogée à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, samedi 8 mars .

Port du voile sur les terrains de sport, gouvernance des fédérations, place des championnes françaises dans le cœur des Français ou médiatisation du sport féminin, la ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative a inscrit sur sa feuille de route de nombreux dossiers. « Il faut à la fois donner aux femmes et aux filles davantage accès à la pratique sportive et toute leur place dans les instances de gouvernance en France. C’est un sujet qui me tient à cœur, sur lequel j’ai, dans le passé, beaucoup travaillé et sur lequel je suis pleinement mobilisée« , rappelle-t-elle.

Franceinfo: sport : Pour commencer, un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre : le port du voile sur les terrains de sport. Qu’en pensez-vous ?

Marie Barsacq : L’enjeu sur cette question est double : s’assurer à la fois que la pratique sportive est éloignée de toutes les dérives sectaires et intégristes, et donner accès au sport à toutes et tous. C’est un point d’équilibre qu’il nous faut trouver. La proposition de loi portée par le sénateur Michel Savin partait du constat qu’un arrêt du Conseil d’Etat avait autorisé la Fédération française de football à interdire le port de signes religieux à l’ensemble de ses pratiquants en compétition, pas seulement le voile, mais que toutes les fédérations ne l’avaient pas intégré, comme le handball par exemple. Pour éviter le flou, il souhaitait une harmonisation de la règle pour toutes les disciplines.

Le gouvernement a proposé des amendements à la proposition de loi pour trouver le juste équilibre. On doit lutter contre toutes les formes de dérives dans le sport, intervenir quand il y a de l’intégrisme dans les clubs de sport. C’est tolérance zéro. Mais pour l’heure, le sujet est assez peu documenté et les dérives dans le sport sont loin d’être majoritaires. Et puis, il faut aussi reconnaître le rôle émancipateur du sport, et donc en préserver l’accès à toutes et tous.

En interdisant le port du voile, ne risque-t-on pas d’exclure justement une partie de la population de l’accès aux terrains de sport ?

On a été très attentifs à trouver le bon équilibre. Seules les fédérations délégataires [soit 81 sur les 112 fédérations agréées] sont concernées par cette interdiction et uniquement pour les compétitions de niveau national, régional et départemental. En mettant en place cette restriction de l’interdiction, plutôt qu’en la généralisant à toutes les fédérations et aux entraînements, on ouvre tout de même l’accès à la pratique sportive à toutes et tous. L’interdiction n’est pas globale mais l’équilibre est compliqué à trouver, oui…

Autre sujet dans l’actualité : Edgard Grospiron vient d’être désigné nouveau patron des JO Alpes 2030. N’est-on pas déjà en retard sur le calendrier ? Parle-t-on aussi parité pour Alpes 2030 ?

On est dans les temps parce qu’on a quand même beaucoup anticipé avant la nomination d’Edgar Grospiron, pour partir pied au plancher dès sa désignation. L’héritage et l’expérience de Paris 2024 vont nous servir pour faire de ces Jeux, ceux de toute la France, comme ça a été le cas l’été dernier. Les recrutements de l’équipe du président du Cojo sont déjà en cours, la délégation interministérielle aux Jeux mise en place pour 2024 a été modifiée en vue de 2030. Et les dispositifs établis par le Cojop de Paris 2024 n’ont pas été jetés à la poubelle. 

Sur la parité, évidemment que ce n’est plus une option. Pour les salariés du Cojop, les volontaires, les prestataires, les sponsors, enfin pour toute la force humaine qui travaille sur les Jeux. Et pour les athlètes aussi. C’est désormais un standard que nous avons créé sous le label « Terrain d’égalité ». Il est maintenant exigé pour tous les Gesi [les grands événements sportifs internationaux] organisés en France. Et le CIO [Comité international olympique] travaille à partir de notre label avec son partenaire Deloitte pour en faire un label international et outiller Los Angeles et Brisbane notamment. Pour Milan, c’est arrivé un peu tard mais nous pensons que « Terrain d’égalité » sera désormais la norme pour toutes les éditions à venir.

En parlant de parité, quel premier bilan dressez-vous des élections pour la présidence des fédérations sportives qui se sont tenues après les JO ? Ne regrettez-vous pas de n’avoir pas capitalisé sur l’évènement pour progresser ?

Comme vous, nous avons un bilan quantitatif qui questionne [deux fédérations présidées par des femmes sur 35, soit le même chiffre qu’avant les Jeux]. On voit quand même que la loi de 2022 [sur la parité dans les bureaux des instances fédérales] n’a pas eu l’effet escompté. Et qu’en fait, cette loi n’est peut être pas assez volontariste sur ce sujet de la parité dans le sport et en tout cas de l’accès des femmes aux responsabilités. C’est un sujet sur lequel je vais travailler, sur lequel j’alerte d’ores et déjà. J’en ai parlé avec le président du CNOSF, David Lappartient, pour qu’on soit beaucoup plus ambitieux. J’attends son rapport. Malgré « le club des 300 » femmes dirigeantes, un programme du CNOSF co-financé par Paris 2024, pour tendre vers plus de parité dans les instances, il faut une politique bien plus volontariste.

Des regrets, oui peut-être. Mais cette responsabilité-là, elle incombe au mouvement sportif lui-même. Il est compliqué, quand on est dans la machine, de couper la branche sur laquelle vous êtes assise. C’est donc une petite révolution qu’il faut mener sur le sujet. Et je m’y suis pleinement engagée. J’avais été auditionnée dans le cadre du rapport Diagana-Buffet [rendu en 2023, et fruit d’une réflexion sur le renforcement des institutions sportives françaises] et il y a des idées intéressantes, comme le fait de proposer une présidence à deux têtes paritaire. Et puis, je crois qu’il faut désormais poser des obligations et ne plus seulement « tendre vers ». S’il faut légiférer de nouveau, on le fera. On cherche pour l’heure à identifier les voies qui s’offrent à nous pour aller de l’avant.

Le doublement des moyens dédiés au développement de la pratique féminine dans les plans sportifs fédéraux, que vous avez annoncé il y a peu, est-il un des leviers identifiés ? Avez-vous des objectifs chiffrés ?

Via l’Agence nationale du sport (ANS), le ministère finance les fédérations en définissant des plans sportifs fédéraux. Ce sont les orientations stratégiques et politiques à insuffler grâce à nos subventions. Dans ces enveloppes constantes, on va désormais demander aux fédérations d’allouer à la féminisation le double des sommes attribuées jusque-là, pour vraiment développer l’offre de pratique.

« Aujourd’hui, les femmes et les filles représentent 38 % des licenciées. On peut mieux faire. »

Marie Barsacq, ministre des Sports

à franceinfo: sport

On veut tendre vers la parité. En combien de temps, je ne sais pas. Mais il faut qu’on retravaille avec les fédérations. Je suis en train de les rencontrer une par une. Ce chiffre de 38% est global et ne dépeint pas la réalité de la fédération de gym, d’équitation ou de foot. Il va donc falloir adapter l’objectif à chacune d’entre elles. Pour certaines, comme la FFF, on part de très, très loin.

La visibilité du sport féminin à la TV a augmenté grâce aux JO, s’est réjouie l’Arcom fin janvier. Comment profiter de cet effet JO pour toujours plus médiatiser le sport féminin ?

C’est vrai qu’avec ces Jeux paritaires, les Français ont développé un goût pour les épreuves paritaires. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 73 % des Français déclarent avoir suivi au moins une compétition féminine en 2024. C’est quand même assez inédit. Sept personnes sur dix qui regardent des compétitions féminines maintenant. Oui, il faut vraiment capitaliser sur le sujet.

De notre côté, on compte beaucoup sur le soutien apporté au fonds audiovisuel [en 2023, l’enveloppe alloué à ce fonds était de 2,5 millions d’euros, dont 36% pour des projets visant uniquement un public « strictement féminin » et le reste accordé à des projets mixtes]. C’est lui qui permet notamment au hand féminin professionnel français d’être diffusé, car aucun diffuseur classique n’en a acquis les droits. Autre exemple : on travaille sur la structuration du football féminin professionnel pour donner de vrais moyens aux clubs féminins, et non pas d’avoir seulement une section féminine, qui est tributaire des investisseurs de la section masculine et pour laquelle on coupe les vannes quand ça va mal. Il faut des lignes de financement étanches et je veux accompagner cette dynamique. Ainsi, en structurant les équipes, on peut ensuite structurer l’offre, trouver des stades, des stades télégéniques pour encourager les diffuseurs et augmenter les moyens alloués. C’est un cercle vertueux que je veux mettre en place.

Les joueuses professionnelles sont une vraie locomotive, pas seulement les footballeuses ou les handballeuses, mais toutes celles à qui on offre une place médiatique pour encourager les jeunes filles à pratiquer du sport en général, à installer des role models.

Vous parlez de role models. Une étude parue fin janvier assurait que les championnes françaises des récents JO étaient encore méconnues.

Quand on questionne les Français aujourd’hui, les noms qui sortent sont ceux d’Amélie Mauresmo, de Laure Manaudou, des sportives qui ont arrêté leur carrière depuis longtemps. On manque de figures emblématiques féminines, des Cassandre Beaugrand [première championne olympique de triathlon lors des Jeux de Paris] par exemple. Pour parvenir à les faire vraiment connaître, on doit travailler avec les fédérations pour leur dégager du temps dédié aux médias. C’est un travail de fourmi, un chantier même, sur lequel il faut travailler collectivement. Mais il est essentiel sur ma feuille de route, et surtout pour la féminisation du sport en France.


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