Entrevue avec le journaliste Olivier Dubois | Survivre à Al-Qaïda

Le 8 avril 2021, le journaliste français Olivier Dubois est enlevé au Mali par le JNIM, branche sahélienne de l’organisation Al-Qaïda. Il sera l’otage des djihadistes pendant près de deux ans, sous la menace des armes, du soleil et des scorpions. Il raconte son expérience et sa résistance dans le livre Prisonnier du désert. La Presse lui a parlé.


Vous pensiez faire une entrevue avec un chef djihadiste du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). On vous a plutôt pris en otage. En tant que journaliste au Mali, étiez-vous conscient des risques ?

Bien sûr. Je sais très bien qu’ils enlèvent les Occidentaux. Je sais très bien que je me rends dans le Nord, qui est dorénavant une « zone rouge ». Évidemment, je sais que c’est risqué pour moi. Mais je fais confiance à mon fixeur [personne servant de guide à un journaliste étranger]. On est sur un fil, si vous voulez. Mais on ne peut pas vouloir faire ça et, en même temps, ne penser qu’à la possibilité de l’enlèvement. Mieux vaut ne pas le faire sinon.

PHOTO MARIE BARLOIS, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS MICHEL LAFON

Olivier Dubois

Les premières heures et premiers jours après votre enlèvement, quel est votre sentiment ?

Évidemment, ça fait l’effet d’une enclume qui vous tombe sur la tête. Tout de suite après, on pense à sa famille. On ne sait pas si, à la fin de la journée, on sera toujours vivant. Il y a de la peur, il y a de l’angoisse. Et puis il y a de la honte. On a énormément de honte qui nous envahit. Parce que je me suis jeté dans la gueule du loup. Je commence à comprendre ce qui va peser prochainement sur les proches, la famille et même mon gouvernement.

Une fois captif, vous décidez très vite de ne pas vous laisser aller.

Oui, ça a pris trois, quatre jours. Les premiers jours, vous êtes couché sur une natte, vous regardez autour de vous ces gens armés. Vous craignez un appel radio. Vous ne savez pas pourquoi on vous demande de bouger. Est-ce qu’on va m’emmener pour m’exécuter ? Vous êtes traversé en permanence d’idées comme ça. Alors rapidement, je me dis que ce n’est pas possible. C’est là que je commence à faire du sport. C’est là aussi que vient l’idée de continuer de penser que je fais un reportage. Le fantasme de sortir de là vivant, si possible avec mes notes, et de faire une série d’articles. Ce but dépasse la situation d’otage que je vis. Ça permet de renforcer son esprit.

Parmi ces objectifs, vous êtes aussi obsédé par l’évasion. Plusieurs fois, vous tentez de fuir, avec tous les dangers que cela comporte. Vous le faites par défi, ou vous y croyez vraiment ?

J’y crois vraiment. Ce désir naît quand je comprends justement que je ne suis pas là provisoirement, mais au moins pour plusieurs mois. C’est là que je me dis que je ne me vois pas vivre là et vivre ça plus longtemps. Une évasion, vous y pensez 24 heures sur 24. Vous êtes dans l’observation tout le temps. Vos sens sont totalement aux aguets. Donc, vous en oubliez un peu votre captivité, surtout avec ce formidable espoir qu’au bout de cette évasion, c’est la liberté. Même si, en réalité, c’est impossible, mais ça, il faut le tester pour le savoir.

Impossible, parce que votre prison, c’est le désert…

C’est un décor magnifique et terrible. Magnifique parce que le désert, c’est beau. Il y a des couchers de soleil magnifiques. Je n’ai jamais vu autant d’étoiles la nuit. Et en même temps, le décor, même s’il est magnifique, vous rêvez de vous en échapper. C’est le contraste.

Est-ce qu’il y a eu un moment de désespoir ? Ou vous ne pensiez plus en sortir ?

Il y en a eu plusieurs. Quand j’apprends à la radio que l’opération Barkhane [forces françaises au Sahel, dont l’objectif est de lutter contre les djihadistes] quitte le territoire malien le 15 août 2022, c’est l’effondrement. Le rideau est tiré, je sais que je suis seul. On est après la période des évasions. Je n’ai plus la force et la motivation. J’ai compris plutôt que s’évader ne sert à rien. Je n’ai plus d’autre solution, si vous voulez. Là, j’ai vraiment envie que ça s’arrête. Ça ira jusqu’à mars 2023, où de façon totalement inattendue, j’apprends que je vais sortir.

Comment décririez-vous votre rapport avec vos ravisseurs ?

C’est un rapport intéressé, évidemment. Eux, parce qu’ils ont des otages occidentaux et qu’ils veulent en tirer quelque chose. Et moi, parce que je veux les maintenir dans une sorte de confiance pour pouvoir jouer l’évasion derrière, pour obtenir des informations, pour avoir quelque chose. Mais de liens humains de type amitié, ça non. Quand vous êtes enchaîné, que vous n’avez pas votre libre arbitre, je ne pense pas qu’une amitié peut se forger.

À un certain moment, vous décidez de lire le Coran. Ça vous permet de mieux comprendre leurs motivations ?

Oui. J’ai eu avec eux des débats sur la religion. Mais comme j’avais une maigre connaissance de l’islam et des textes, mes arguments ne portaient pas. Au bout d’un moment, j’ai compris que le Coran était un peu le mode d’emploi et qu’il fallait connaître ce livre pour trouver des failles. Lire le Coran a aussi amené un adoucissement des conditions de détention. Pour eux, il y avait la possibilité qu’un des otages se convertisse, et forcément, ça amène une attention, un intérêt.

Où est-on au Sahel, en ce moment, avec tous ces groupes djihadistes ?

Depuis que Barkhane est partie, il n’y a plus le verrou, la pression, la contrainte que pouvait imprimer la force française à ce moment. L’État islamique, qui avait été affaibli et dispersé, s’est reformé. Les groupes djihadistes qui ont le plus d’influence débordent sur le Burkina Faso, le Niger. Ils vont même sur les pays du golfe de Guinée, Togo, Bénin. Au Mali, la franchise sud du JNIM est capable de mener des attaques sur la capitale Bamako. Moi, quand je leur ai posé la question, ils me disaient : « On se donne cinq ou six ans pour conquérir le pays. » Sont-ils en position de le faire ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il y a une vraie expansion.

Qu’est-ce qui a changé chez vous après ces 711 jours de captivité ?

Je ne suis pas vraiment capable de répondre à votre question, parce que c’est en cours. Je suis suivi psychologiquement sur une base hebdomadaire, et je suis toujours en train d’y travailler. Mais je sais que cette survie m’a permis d’aller puiser en moi des forces que je ne me connaissais pas et dont je ne me croyais pas capable. Donc, évidemment, j’ai l’impression de me connaître un peu mieux.


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