Espagne : la gauche veut réduire les horaires de travail trop tardifs, la droite dénonce une attaque contre le mode vie ibérique – 08/03/2024 à 13:25
« Ils veulent faire de nous des puritains, des socialistes, sans âme, sans lumière et sans restaurants », s’est emportée la président de la région de Madrid.
Des journées « éclatées », avec de longues pauses à la mi-journée et et des horaires à rallonge dans la soirée… L’organisation du travail en Espagne est unique en Europe, et si pour beaucoup, elle est constitutive de la culture ibérique, pour d’autres, elle représente une « folie » à combattre au nom de la santé des salariés. Les horaires de travail tardifs -notamment dans les bars, commerces et restaurants- suscitent un vif débat, le gouvernement souhaitant lutter contre des dérives jugées « déraisonnables ».
Régulièrement épinglée par les syndicats, l’organisation espagnole du temps de travail est revenue sur le devant de la scène cette semaine après des propos de la ministre du Travail, Yolanda Díaz, très critiques vis-à-vis des horaires décalés dont le pays est coutumier.
« Il est déraisonnable qu’un pays ouvre ses restaurants jusqu’à une heure du matin
. C’est de la folie de continuer à étendre les heures d’ouverture indéfiniment », a déclaré la cheffe de file de la plateforme de gauche radicale Sumar, partenaire des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez.
Une position que cette avocate issue du parti communiste et spécialisée en droit du travail a maintenue mardi face à des journalistes, avec quelques nuances. « Il est clair que les horaires dans notre pays sont très différents de ceux de l’Europe », mais « à partir de 22h,
les heures de travail sont nocturnes et présentent donc certains risques, des risques pour la santé mentale
» des salariés, a fait valoir la numéro trois du gouvernement.
À droite, ces déclarations ont aussitôt provoqué une levée de boucliers. Yolanda Díaz souhaite que
« chacun rentre chez soi pour lire le manifeste communiste avec une lampe et une tasse de thé »
, a ainsi ironisé le secrétaire général du Parti populaire (PP) à Madrid, Alfonso Serrano. « L’Espagne a la meilleure vie nocturne du monde, avec des rues pleines de vie et de liberté (…) Ils veulent faire de nous des puritains, des socialistes, sans âme, sans lumière et sans restaurants », a renchéri la présidente régionale de Madrid et figure du PP, Isabel Díaz Ayuso.
Le secteur de la restauration vent debout
Un point de vue partagé par les organisations du secteur.
« Nous rejetons toute proposition remettant en question le mode de vie espagnol
, qui nous distingue et nous différencie sur le marché du tourisme », a ainsi fait savoir España de noche (L’Espagne la nuit), fédération du monde des spectacles et des loisirs.
Selon Eurostat, le nombre d’heures hebdomadaires travaillées en Espagne se situe dans la moyenne des pays européens. Mais les journées de travail y sont plus étalées et l’heure de la fin de journée plus tardive: l’Espagne est ainsi le pays d’Europe où l’on travaille le plus après 18h. « Le problème, c’est que les journées de travail sont souvent très éclatées », avec de longues pauses à la mi-journée et l’obligation de reprendre le travail tardivement, ce qui « ne permet pas d’organiser sa vie personnelle convenablement », explique à l’
AFP
Miguel Basterra, professeur de droit du travail à l’université d’Alicante (sud-est). Une organisation liée, selon lui, au mode de vie espagnol.
« En Espagne, les gens ont l’habitude de dîner tard », souvent à 22h, et de sortir « plus tardivement » encore
: « cela a un effet d’entraînement » sur de nombreux secteurs, notamment « les commerces », qui ferment à des heures indues, détaille-t-il.
En 2022, Yolanda Díaz avait déjà lancé une réflexion sur le sujet, dans le cadre d’un projet de loi sur l' »usage du temps de travail ». Un rapport commandé à un groupe de 60 experts avait alors préconisé, notamment, de rendre les journées plus compactes et de fermer les commerces plus tôt.
Cette réflexion a été suspendue en raison des législatives anticipées de juillet 2023. Mais Yolanda Diaz a indiqué vouloir la relancer, dans le cadre des discussions sur la réduction de 40 a 37,5 heures de la semaine de travail, prévue dans l’accord de gouvernement passé entre Sumar et les socialistes.
Un exercice délicat, dans
un pays où la vie nocturne est source de fierté
. Le risque, c’est qu’on soit « plus ennuyeux que les pays nordiques, où l’on rentre chez soi à 18h, car plus rien n’est ouvert », a mis en garde cette semaine le président de Hostelería de España, la principale fédération d’hôteliers du pays, José Luis Yzuel.
Pour Miguel Basterra, qui a contribué au rapport remis à l’exécutif, les bars et restaurants « répondent à une demande du marché », ce qui rend le sujet complexe. Mais des évolutions sont « possibles », notamment pour faire mieux appliquer les conventions collectives, contournées par certains établissements, estime le chercheur.
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