Les dernières semaines nous ont offert un bien triste spectacle rappelant des usages qui prévalaient sous la IVe République, lorsque les petites combines et autres magouilles politiciennes se négociaient sur un coin de table, loin, très loin du peuple. Aujourd’hui, c’est comme si le régime des partis avait fait son retour, mais sans le général de Gaulle pour nous en sortir. Cette situation stérile prouve combien il est devenu difficile, voire impossible, de trouver dans le marigot politique actuel des personnalités qui s’imposent.
À gauche, et en particulier chez les socialistes, François Mitterrand n’a pas enfanté d’héritier capable de parler comme il le faisait de la France. On peut reprocher beaucoup de choses à l’ancien monarque présidentiel, qui fut autant détesté que vénéré, mais à l’évidence, la mémoire de la France l’habitait. Il suffit d’entrouvrir l’une des portes secrètes de sa vie de Florentin amoureux pour voir surgir les paysages de la Nièvre et de la Charente.
Sa manière de raconter la France charnelle, avec une tendresse poignante, avait particulièrement ému les téléspectateurs lorsque, très affaibli par la maladie, il est allé jusqu’à évoquer la matière des sols et les différentes teintes du ciel lors de l’émission « Bouillon de culture », en avril 1995. Sa connaissance intime de la terre combinée à un amour infini pour la littérature en faisait un être à part dans sa galaxie. Mais de quelle galaxie parle-t-on au juste ? Mitterrand était un homme de droite qui a voulu incarner la gauche. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on ne lui connaît pas d’héritier chez les socialistes.
Quoi qu’il en soit, cette personnalité hors norme ne se comportait pas en petit valet, alors que de nos jours, nous sommes saturés de mélancolie en observant la situation chaotique au sein du Nouveau Front populaire. À droite, beaucoup s’en félicitent, pensant que le spectacle de ces divisions va définitivement convaincre une partie des Français de se détourner de l’union chimérique des gauches. C’est sans doute vrai, mais je pense qu’il n’y a pas matière à se réjouir et que le mal fait au pays est plus grand que le mal qu’ils s’infligent entre eux. Le « chacun pour soi » a écrasé la « France pour tous » au nom de quelques postes à se partager.
L’idée même de la France nous sauvera de la mélancolie
Durant toute cette période de combinazione pour trouver un compromis autour d’un potentiel Premier ministre, la France renvoie une image déplorable et son nom s’écrit en minuscules. De nombreux hauts fonctionnaires s’inquiètent désormais à haute voix de projets reportés ou annulés, comme si nous entrions en hibernation. D’autres pays en Europe ont aussi connu des moments politiques peu glorieux à la recherche désespérée d’un gouvernement, mais la France n’est pas n’importe quelle contrée, compte tenu de son histoire et de son rôle.
Hélas, c’est de moins en moins le cas et le pays vit un moment de grand trouble. Loin de la clarification attendue, le président a engendré par son choix de la dissolution une coupable confusion, alors que la situation économique et sécuritaire est alarmante.
Tout comme il n’y a pas eu de « nouveau monde » après la période Covid, il n’y a pas et il n’y aura pas de nouvelle façon de faire de la politique après ces législatives. Beaucoup de nos responsables ne semblent même plus savoir où ils habitent tandis que le peuple de droite comme celui de gauche cherche la poutre maîtresse de la demeure France. Pour retrouver notre chemin et le sanctuaire de nos filiations, il faut surtout éviter de reproduire ce qui s’enseigne à l’Ena et ce qui s’apprend dans les cabinets de conseil.
La France est veuve depuis longtemps
C’est la seule façon de renouer avec la France en majuscules. Tout cela prendra beaucoup de temps, sans doute une ou deux générations. Privée d’un de Gaulle, la France est veuve depuis si longtemps… Mais ne désespérons pas. Même tuméfié et malmené, le pays a toujours su renouer avec les conditions de son sursaut. L’idée même de la France nous sauvera toujours de la mélancolie et de la dépression.
Alors que l’été pointe enfin le bout de son nez et de ses pâquerettes dans les campagnes, laissons le bonheur nous faire de l’œil malgré tous ces tracas. Puissiez-vous oublier, pour quelques semaines, le spectacle offert par la politique, pour profiter de celui offert par les paysages français. L’ensoleillement des neurones devrait, à ce titre, être immédiatement intégré au programme de tous les partis.
Quoi de mieux qu’une marche sous le soleil de Provence pour remettre en place ses idées et ses sentiments ! Quoi de mieux que la contemplation de la forêt des Landes pour désenclaver son esprit ! Quoi de mieux que de se tenir loin de toute agitation en Ardèche pour ne pas se laisser encaserner par des réflexions tiédasses. Quoi de mieux que de gravir une montagne du Massif central pour renouer avec un peu d’altitude spirituelle ! Les paysages de France retracent la longue histoire qui a fécondé ce vieux et grand pays.
Nul besoin de voyager des heures pour le comprendre. Parfois, le fond de son jardin vaut mieux que le bout du monde pour aiguiser son âme et son esprit. Il est temps de sortir du coma émotionnel qui est le nôtre pour vivre et raconter cette beauté française qui nous rappelle combien le besoin d’enracinement nous est consubstantiel. Le no limit a vécu. L’homme nomade et désaffilié est un homme perdu. Contrairement aux anywhere, les somewhere sauront toujours retrouver leur chemin. Ce chemin est parsemé de petits cailloux blancs que sont le caractère sacré de la nature, la nation comme héritage et la haute idée de son pays.
La France, comme la nature, a besoin d’être respectée et sanctuarisée. Après la brusque accélération de l’actualité des dernières semaines, retrouvons le temps long de l’ennui qui est celui du rythme de la nature. Dans une société ivre de vitesse et d’efficacité, où chacun ne travaille qu’à son propre intérêt et n’a plus le temps de s’émerveiller, c’est la seule façon, me semble-t-il, de revenir à l’essentiel. Donc de revenir à la France. La France en majuscules.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.