Femmes en zone de guerre : « Dans l’humanitaire depuis 22 ans, c’était moi qui avais besoin d’aide »

En charge de projets pour assurer la sécurité des femmes, elle vivait et travaillait à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, avant d’être obligée de partir et de trouver refuge le 1er février à Kinshasa, la capitale congolaise.

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu travaille pour ONU Femmes en République démocratique du Congo et est en charge de projets visant à assurer la paix et la sécurité des femmes.

A l’occasion de la Journée internationale des femmes, ONU Info s’intéresse aux souffrances des femmes qui vivent en zone de guerre et à leur capacité de résilience.

L’est de la RDC est à nouveau en prise à une escalade de violence depuis janvier, le groupe armé M23 ayant depuis pris le contrôle des deux principales villes de la région, Goma et Bukavu.

L’offensive éclair a fait des milliers de morts selon l’ONU qui craint un embrasement dans cette région très convoitée.

Selon ONU Femmes, l’agence onusienne pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, trente ans de conflit armé ont entraîné la mort de plus de deux millions de civils et plus d’un million de femmes auraient été violées.

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu raconte ce qui s’est passé au moment de la prise de contrôle de Goma par le M23 fin janvier.

« Nous devions vraiment sauver des vies »

« D’abord, avant de quitter, on a vécu toute une semaine de déstabilisation où l’on manquait d’eau, d’électricité, il y avait une forme d’instabilité et de psychose sociale. Il nous a été proposé d’évacuer nos maisons et à quelques kilomètres de l’aéroport, on a été obligé de faire demi-tour. Là, les tirs nourris ont commencé et c’était vraiment le désespoir. Il y avait des missiles qui commençaient à aller du Congo vers le Rwanda et du Rwanda vers le Congo », explique-t-elle.

« Nous devions vraiment sauver des vies. Là, nous avons commencé notre course. Femmes, femmes enceintes, enfants, vieillards, malades, tous on devait marcher et pas seulement marcher mais courir. Depuis 22 ans que je travaille dans l’humanitaire à assister les déplacés, à aider les réfugiés, les personnes qui ont des problèmes, les femmes avec leur famille, ce jour-là, je ne pouvais pas imaginer que c’était moi qui avais besoin de protéger mes enfants ».

J’étais dans une situation où moi-même je me sentais victime 

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu était avec d’autres familles des Nations Unies : « On était 2.027 personnes sous les bombes et les tirs, et ce jour-là, j’ai vécu l’expérience de quelqu’un qui a besoin d’aide. Dans mon parcours professionnel, je m’occupais de la prise en charge psychosociale. Je suis une conseillère en stress et je pensais que je pouvais gérer mon stress. Mais ce jour-là, j’ai senti que le stress est naturel et qu’on ne peut pas vraiment aller au-delà de la sensation humaine ».

Face à cette situation, elle s’est dit qu’étant le point focal sécurité de son bureau, elle devait s’occuper de la sécurité de ses collègues et de leurs familles, dont des enfants.

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu a vécu 48 h particulièrement intenses et extrêmement effrayantes : « D’abord, les tirs. Et puis toutes ces tueries, toutes les exactions qui se passaient déjà avant que les rebelles n’arrivent à Goma ».

« Dans le passé, je jouais toujours le rôle de quelqu’un qui venait en aide. Mais là, j’étais dans une situation où moi-même je me sentais victime ».

Assurer la protection des femmes

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu, qui travaille pour ONU Femmes, a vécu et travaillé à Goma, dans l'est de la RD Congo, avant de trouver refuge à Kinshasa le 1er février.

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu, qui travaille pour ONU Femmes, a vécu et travaillé à Goma, dans l’est de la RD Congo, avant de trouver refuge à Kinshasa le 1er février.

Avant l’escalade de la violence à Goma et son évacuation, Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu était en charge de projets pour assurer la sécurité des femmes dans une des régions les plus instables du monde.

« Les besoins les plus pressants des femmes à Goma, c’était d’abord la protection humanitaire. Quand on parle de sauver des vies, bien sûr, on parle d’eau, de nourriture, de couvertures. Mais selon mon expérience, je pense qu’il faut d’abord assurer la protection, parce que quelqu’un qui n’est pas protégé, même si vous lui donnez de l’eau, une couverture, c’est difficile ».

Selon elle, ce que redoutent le plus les femmes congolaises qui vivent dans cette partie du pays, ce sont les violences basées sur le genre, surtout les viols massifs.

« La deuxième chose, c’est la survie des familles, l’accès aux moyens de subsistance. Comment se protéger et protéger nos filles contre les violences, et surtout le viol massif, parce que c’est devenu une habitude dans les conflits d’utiliser le corps des femmes pour faire peur aux communautés. La troisième chose que redoutent les femmes, c’est le conflit inter-ethnique. Dans mon expérience, la première chose pour laquelle les femmes s’engagent c’est pour regarder comment renouer les liens entre les différentes communautés pour vivre en paix ».

Dans son rôle au sein d’ONU Femmes à Goma, la première chose qu’Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu cherchait à faire était « d’abord de renforcer les femmes dans le leadership et aussi de leur donner quelques outils pour la prise en charge psychosociale de leurs congénères ».

Elle se dit très fière de toutes ces personnes qu’elle a pu aider à se relever sur le plan émotionnel et personnel.

« On est entré dans la chambre d’écoute où elle m’a raconté son histoire »

Elle parle d’une femme qu’elle a rencontré au camp de déplacés de Mugunga : « Dans son village, cette femme a été violée par des groupes armés, elle a été violée devant son mari. Son mari a décidé de s’en aller et il l’a abandonnée avec 6 enfants ».

Dans le cadre d’un programme d’autonomisation des femmes, un centre communautaire avait été créé dans le camp de déplacés à Mugunga. Lors d’une séance de conseil collectif, Anne-Marie voit cette femme qui est à l’écart des autres, qui ne parle pas et qui se couvre.

« C’était une musulmane mais sa façon de se couvrir la tête, c’était un peu particulier. Quand on a terminé la séance, j’ai demandé à cette dame de s’approcher. Elle a dit : ‘Je ne peux pas’. Je lui ai dit : ‘Pourquoi madame ?’ – Parce que je ne peux pas. Les autres, ils sont propres, mais moi je suis très sale’. Je lui ai dit : ‘Et pourtant vos habits sont propres’. Et elle répète : ‘Je ne peux pas’. Et puis je lui ai dit : ‘Mais tu peux parler avec moi ?’ Elle a répondu : ‘J’en avais vraiment besoin, la façon dont vous étiez en train de parler là, avec les autres’. Je l’ai attirée vers moi. On est entré dans la chambre d’écoute où elle m’a raconté son histoire ».

« Elle n’avait nulle part où habiter et n’avait même pas eu de bâches pour faire sa tente. Je l’ai amenée vers le responsable du Conseil national pour les réfugiés. Ils ont dit : ‘On va lui construire une tente’ ».

Même si ONU Femmes ne fait pas de prise en charge individuelle, Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu s’est dit que cette femme avait besoin d’un accompagnement individuel. Une semaine après, elle est allée dans sa hutte.

« Elle était très contente parce qu’elle pouvait faire dormir ses enfants. On a parlé. Après cinq séances de prise en charge elle s’est relevée. Elle a commencé à participer avec les autres femmes du centre communautaire, avec notre partenaire « Ligue de la solidarité congolaise » où il y avait des activités de métier, génératrices de revenus, des formations sur le leadership, il y avait aussi l’éducation financière pour qu’elles puissent accéder au crédit. Elle a commencé à participer ».

Anne-Marie Lurhakumnira Nabintu a continué à la suivre. « Une année après, elle a déposé sa candidature pour être membre du comité de gestion du centre communautaire polyvalent et aujourd’hui, elle en est la vice-présidente. Mais pendant son parcours, il y a eu d’autres attaques à Mugunga, elle a encore été victime d’un deuxième viol. Je suis allée lui rendre visite. Elle avait rechuté. Je l’ai encore prise en charge et elle s’est relevée et elle continue à aider les autres femmes. Je suis très fière d’elle ». 

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