Forces françaises en Côte d’Ivoire, une reconfiguration pas comme les autres


Mission accomplie. Depuis quelques jours, le camp militaire français de Port-Bouët – communément appelé 43e BIMA, du nom de ce bataillon d’infanterie de marine créé en 1978 – est officiellement passé sous giron ivoirien. Le 20 février, sous un soleil de plomb et les regards figés de six sections de forces armées ivoiriennes et françaises, les couleurs de la Côte d’Ivoire ont enfin flotté au-dessus de ce lieu hautement symbolique. Située au sud d’Abidjan, l’emprise de 230 hectares a longtemps permis à la France de projeter ses éléments en Afrique de l’Ouest aussi bien en mer, avec un camp ouvert sur le golfe de Guinée, que sur terre ou dans les airs.

Au plus fort de la crise de 2004 qui avait plongé Paris dans un interventionnisme confus, jusqu’à 5 000 soldats s’étaient relayés sur cette base, héritage d’une coopération de longue date. Dès 1961, un premier accord de défense avait été signé au lendemain de l’indépendance. Si la relation franco-ivoirienne prend aujourd’hui le chemin d’une « réduction de l’empreinte des forces françaises en Afrique », préconisée par Jean-Marie Bockel (envoyé personnel d’Emmanuel Macron), la rétrocession ne suppose pas d’arrêt des échanges sur le plan sécuritaire. Au contraire, cette passation attendue, qualifiée de « point de départ », entend promouvoir un nouveau modèle de coopération sur le continent.

D’un commun accord

Sur site, les honneurs militaires de circonstance ont laissé place à une cérémonie marquée par une solennelle sobriété. Au pupitre se sont succédé Sébastien Lecornu, ministre français des Armées, et son homologue ivoirien, Téné Birahima Ouattara (frère du président Alassane Ouattara), tous deux soucieux de mettre en lumière le caractère conjoint de la décision. « L’esprit d’Abidjan a régné sur ce processus », insistait Lecornu, lorsque M. Ouattara évoquait la « volonté des deux chefs d’État » ; soit un souhait de s’afficher côte à côte dans un climat régional marqué par la remise en cause de l’influence française. Il faut dire que cette rétrocession était préparée depuis des mois, plusieurs centaines de militaires français ayant progressivement quitté le sol ivoirien.

« Notre coopération militaire demeurera aussi meilleure qu’elle a toujours été », précisait ainsi le ministre de la Défense ivoirien. Dans un « monde difficile et complexe » où « le terrorisme n’a pas disparu », le membre du gouvernement français rappelait quant à lui le besoin de montée en puissance des forces de sécurité intérieures. Car les groupes armés menacent toujours les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest à leurs frontières septentrionales ; en témoignent les quatre attaques qu’a subies la toute proche République du Bénin depuis début 2025, conduisant à la mort d’au moins quarante soldats. Ces discours pour le moins fraternels se sont conclus par la signature des documents actant la rétrocession du camp qui portera désormais le nom de Ouattara Thomas d’Aquin. Ce choix, qui rend honneur au premier chef d’état-major post-indépendance, se conçoit également comme un symbole fort. En 1939, ce militaire de haut rang avait rejoint les tirailleurs sénégalais, avant de combattre aux côtés des Forces françaises libres. Le lien, loin d’être ténu, demeure vivace jusque dans les noms.

Une nouvelle coopération à l’épreuve

Abidjan fait ici figure d’exception quelques mois à peine après que le Sénégal et le Tchad ont annoncé quasi simultanément la rupture de leurs accords de défense. « La Côte d’Ivoire est un cas à part ; au Sénégal, les emprises françaises ont été entièrement rétrocédées sans possibilité de garder un détachement », note l’enseignant-chercheur, spécialiste des questions de défense et de sécurité internationale, Eddie Guipié. Une manière de rappeler qu’une petite centaine de militaires français resteront détachés sur le camp Ouattara Thomas d’Aquin afin d’assurer, entre autres choses, des missions de formation de leurs frères d’armes ivoiriens. La situation est bien différente encore que celle qu’avaient connue les troupes françaises en se retirant du Sahel, à l’instar du Burkina Faso et du Mali, où la France n’avait pas d’emprises historiques, seulement des opérations destinées à prendre fin un jour.


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Sur le plan opérationnel, difficile encore de cerner les contours de cette coopération franco-ivoirienne refaçonnée, dont la gestion sera assurée par le Commandement pour l’Afrique – créé il y a moins d’un an sur un modèle américain. Sébastien Lecornu a en tout cas fait mention de « nouveaux modèles de financement » à l’étude pour équiper les quatre composantes de l’armée ivoirienne. Le ministre français s’était par ailleurs permis d’insister sur l’importance de maîtriser les airs et le monde spatial pour mieux répondre aux défis sécuritaires contemporains. À ce titre, les plus attentifs auront noté l’organisation la même semaine de la première édition du Siade (Salon international de l’intelligence artificielle, de la défense et de l’espace), regroupant divers acteurs internationaux, parmi lesquels le français Prométhée Earth Intelligence proposant notamment des services de surveillance satellite d’espaces frontaliers. Quelques jours avant la rétrocession, le ministre de Défense ivoirien confiait également à nos confrères de RFI que l’armée de l’air française formerait prochainement des pilotes sur la base aérienne de Bouaké, au centre du pays.

« Malgré les reconfigurations géopolitiques dans la sous-région, les autorités ivoiriennes tiennent à démontrer la solidité de leur relation avec la France », conclut l’universitaire Eddie Guipié. Militairement, Paris peut désormais compter sur deux bases africaines, à commencer par l’immense complexe djiboutien de 400 hectares ainsi que sur les quelques hommes qui resteront positionnés au Gabon, en Afrique centrale. Mais à l’avenir, nul doute qu’Abidjan continuera de revêtir un enjeu tout particulier pour la France, en témoignent les mots du ministre des Armées, M. Lecornu : « La Côte d’Ivoire est un miracle de modèle économique pour l’ensemble de la région. Personne ne doit l’abîmer. »


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