FREPA-2025 : Pour une gestion renforcée de l’eau en Haïti

Par Jn Marie Raymond NOËL, Ing

Soumis à AlterPresse

Chaque année, la question de l’eau est mise en relief avec la célébration de la Journée mondiale de l’eau, le 22 mars. Le thème retenu pour 2025, Sauvons nos glaciers, n’est pas anodin. Avec le réchauffement climatique, les glaciers fondent plus rapidement engendrant des catastrophes diverses (inondations, sécheresse, glissements de terrain, élévation du niveau de la mer, dégradation / destruction d’écosystèmes) et de façon indirecte des crises alimentaires, des problèmes sanitaires, etc. Ajoutés aux conséquences perverses du marché mondial, ces effets négatifs exacerbent les inégalités dans les pays du Sud les plus pauvres (Richard Maire, 2011). Bien que ce thème puisse sembler éloigné de nos réalités et de nos préoccupations, il ne doit pas être ignoré tant les glaciers jouent un rôle important dans la régulation du climat et dans le maintien de l’équilibre écologique de la planète, et tant leur disparition pourrait avoir des effets dévastateurs sur nos vies et sur l’environnement. Aussi, il reste en toile de fond de la Foire Régionale Eau Potable et Assainissement (FREPA-2025), qui posera le regard sur la gestion de l’eau, à travers diverses thématiques telles les eaux transfrontalières, les eaux partagées, les frontières maritimes, les eaux territoriales, les eaux usées, le partenariat public-privé, les bassins versants.

L’approche est forcément globale, tant la question de l‘eau est un sujet vaste assorti d’énormes défis pour le pays et les autorités.

1. Le défi de l’ accès . C’est de loin le défi le plus fondamental. Il s’agit de pouvoir donner de l’eau à la population. Comme d’autres pays, Haïti a ratifié en 2015 les objectifs de développement durable dont le sixième cible l’eau pour tous d’ici 2030. À cinq ans de l’année butoir, le tableau est peu reluisant. Certes, la proportion de personnes ayant accès à un service de base a augmenté de 2000 (56,2%) à 2022 (67,4%), résultant en partie du fait que de nombreuses personnes recourent à l’achat d’eau extraite des aquifères et distribuée par camions-citernes ou vendue en bouteille. De 9% en 2006, l’utilisation d’eau en bouteille est passée à 47% en 2017 (CTE-RMPP, 2022). Dans la même période 2000-2022, selon les données du Joint Monitoring Program (JMP), le pourcentage de personnes consommant de l’eau de surface non traitée est tombé de 16% en 2000 à 0% en 2020.


Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, aucune frange de la population haïtienne ne peut prétendre avoir accès à un service d’eau géré en toute sécurité, et il y a encore 2,65 millions de gens qui boivent de l’eau impropre à la consommation, dont plus de 2 millions en milieu rural (JMP, 2022).



2. Le défi institutionnel . Il faut regretter qu’aujourd’hui encore, en dépit de la loi-cadre de 2009, du décret de 2021 sur l’INARHY, les parties prenantes publiques continuent à se marcher sur les pieds, au détriment d’une gestion coordonnée de la ressource Eau. Du coup, des préoccupations majeures ne peuvent pas être adéquatement traitées, telles : la protection de la ressource, les conflits d’usage, la constitution d’une expertise locale, les disparités d’accès, le gaspillage d’eau. Alors que le manque de ressources humaines est identifié comme un obstacle structurel au développement du secteur, il n’existe pourtant dans le pays ni une institution spécialisée dans la formation en eau, ni des programmes spécifiques dans les centres universitaires et techniques (SIWI, 2022). Ce déficit de capacité pousse à recourir constamment à l’expertise internationale et à augmenter le coût des projets. L’analyse du secteur de l’eau en 1996 révélait un potentiel hydrique global de quelque 12 milliards de m3 par an, dont à peine 10% sont exploités par les deux gros domaines utilisateurs : l’irrigation et l’alimentation en eau potable (AEP). L’irrigation, à elle seule, absorbe 91% des ressources disponibles et l’AEP, 8,6%. En l’absence d’une régulation adéquate de la ressource, les prévisions de prélèvements pour ces deux usages à l’horizon 2048, vont certainement engendrer des conflits internes. Quinze ans après la promulgation de la loi-cadre de 2009, un bilan s’impose.

3. Le défi environnemental . Sur le plan environnemental, le secteur des ressources en eau vit une situation critique, aggravée par les conditions climatiques changeantes, un régime pluviométrique erratique, la sècheresse et la hausse du niveau marin. Ces modifications associées à une croissance démographique continue posent de sérieux problèmes, notamment des déficits hydriques, des tendances à la désertification de certaines zones et des risques d’érosion importante (Plan National d’Adaptation, 2022). La baisse des débits des sources, des rivières, l’assèchement de certaines sources, la diminution des plans d’eau, des nappes d’eau souterraine s’accentuent. Entre 1950 et 1990, le débit des eaux de surface à travers le pays a diminué d’environ 50% en période d’étiage (Comité national interministériel, 1996). La détérioration de la qualité des eaux s’ajoute à ces phénomènes, en raison de la contamination par les excréments humains et animaux aux alentours des points d’eau (sources, captages). La dernière étude disponible, menée entre 2014 et 2015, a montré que 68% des 300 ressources en eau testées étaient contaminées (CTE-RMPP, 2022). Le coût de mise œuvre des procédés de traitement visant à enlever totalement ou réduire la concentration des polluants devient élevé (PHAN, 2018). Malheureusement, les politiques publiques, les moyens octroyés sont sans commune mesure avec l’impact des changements climatiques et l’ampleur des phénomènes associés.

4. Le défi du financement . Sur ce plan, il n’est nullement exagéré de dire que l’État ne prend pas ses responsabilités vis-à-vis du secteur. Les crédits budgétaires octroyés, sur la première moitié de la période 2015-2030, sont loin de pouvoir propulser le développement du secteur et permettre d’atteindre la cible d’accès universel en 2030. Rien que pour le programme d’investissement public triennal 2018-2021, le PHAN (2018) proposait un ensemble d’actions totalisant 65,1 milliards de gourdes, soit environ 22 milliards de gourdes en moyenne par an, représentant 6,8 % du budget de la République (MEF, 2025). C’est dix fois plus que ce qui est réellement alloué, 0,61% de 2016 à 2023. Dans le cadre de la reconstruction territoriale, le Programme d’extension des services d’alimentation en Eau potable et d’Assainissement est inscrit, dans le budget 2023-2024, pour un montant d’environ 9,2 milliards de gourdes dont seulement 45 millions au titre de ressources nationales, soit un peu moins de 0,5%. Le document de stratégie décennale 2022-2032 de la DINEPA révèle que les agences d’appui externes financent environ 61 % des dépenses de fonctionnement de la DINEPA et 95 % des coûts d’investissement. Il en résulte que le secteur a une forte dépendance par rapport aux bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux (BID, BM, AECID, USAID,…). Dans ces conditions, l’État perd le contrôle programmatique du secteur, du délai d’exécution des interventions sur le terrain, de leur pertinence, pour régulièrement récolter insatisfaction et grogne sociales.

La gestion équilibrée, transparente et responsable de l’Eau ne peut pas être laissée aux bons soins du seul secteur public. L’accélération du changement dans le secteur ne se fera pas sans l’implication de tous les acteurs. La création de la FREPA répond à cette logique. La FREPA est, avant toutes choses, un espace de promotion pour le secteur, un espace de réflexion et de débats sur les enjeux et défis, un espace de valorisation scientifique. À travers les activités organisées, FREPA-2025 lance l’appel en faveur d’une meilleure régulation de la ressource, de l’augmentation du financement national, de l’extension des mécanismes de participation du secteur privé, de la décentralisation de la maîtrise d’ouvrage et de l’implication des communautés.

L’EAU c’est l’affaire de TOUS !


Photo logo : Banque mondiale

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.