La campagne officielle pour l’élection présidentielle débute ce samedi au Gabon. Huit candidats sont en lice pour la présidentielle du 12 avril, qui fait suite à la transition entamée par le coup d’État qui a renversé le président Ali Bongo le 30 août 2023, à l’issue d’un scrutin extrêmement contesté. Qu’attendre de cette nouvelle élection ? Le chef de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, a-t-il tenu ses promesses de rupture avec l’ancien régime, lui qui a fondé le Rassemblement des bâtisseurs pour chapeauter ses multiples soutiens ? François Mazet en parle avec Florence Bernault, professeure d’histoire de l’Afrique subsaharienne à Sciences Po Paris, spécialiste de l’Afrique centrale qui a coordonné le dernier numéro de la revue Politique africaine « Gabon : corps politique et coup d’État ».
RFI : La campagne électorale officielle débute ce samedi au Gabon, mais l’élection du 12 avril n’est-elle pas déjà jouée ?
Florence Bernault : On peut se le demander, mais quand on pense à l’élection d’août 2023, on n’est jamais à l’abri des surprises. Là, je pense qu’on est quand même dans une autre configuration. Bien sûr, le général Brice Oligui Nguema est quand même toujours quasiment au faîte de sa popularité. Il y a peu d’opposants crédibles, mais c’est quand même une étape importante dans la légitimation de ce pouvoir.
Justement, Brice Clotaire Oligui Nguema a réuni autour de lui la quasi-totalité des dignitaires du régime déchu, des anciens opposants et même des grandes voix critiques de la société civile. Est-ce que vous êtes surprise par cette unanimité autour du chef de la transition ?
Je ne sais pas si je parlerais d’unanimité, mais il est certain que la venue au pouvoir de Brice Oligui Nguema a donné lieu à une recomposition vraiment des forces politiques. Il a remis finalement au pouvoir et comme interlocuteurs des grandes familles, des composantes de la société civile qui avait été finalement relativement écartées par le clan familial autour d’Ali Bongo. Ça explique sa capacité finalement à, à la fois recomposer, mais inclure, il parle beaucoup d’inclusivité dans son discours, une grande partie de ces forces politiques.
Le principal challenger de Brice Clotaire Oligui Nguema, c’est Alain Claude Bi Alain-Claude Bilie-By-Nze, un des piliers de la présidence d’Ali Bongo, qui multiplie d’ailleurs les attaques contre la transition. Est-ce que selon vous, c’est un opposant crédible ? Est-ce qu’il peut convaincre des gens qui sont frustrés par ces difficultés du quotidien et qui pensent que le pays ne va peut-être pas dans le bon sens avec la transition ?
Certains au Gabon se posent un peu la question de cette candidature. Bon, ce n’est pas forcément une mauvaise chose qu’il y ait un opposant avec une vraie stature. Ceci dit, bon, c’était l’ancien, le dernier Premier ministre d’Ali Bongo, il représente quand même vraiment l’ancien régime, coopté, qui était vraiment les piliers du système, le PDG. Et finalement aujourd’hui, cette élite et le PDG sont très déstructurés, très silencieux. Je ne pense pas que vraiment il y ait déjà une érosion de la popularité du président de la transition telle, que les gens auraient recours vraiment à un ancien cacique du pouvoir déchu.
Dans ses déclarations, le général Oligui Nguema alterne entre la valorisation d’un côté de l’héritage des Bongo, la restauration de la dignité, c’est quelque chose qu’il dit souvent… Et les promesses de rupture avec l’ancien système. Comment est-ce que vous voyez le mélange de ces deux discours ?
C’est en partie ce coup d’Etat qui est appelé sur place le coup de libération à une restauration du régime d’Omar Bongo, c’est-à-dire une sorte de période qui a été vue quand même comme positive sur le plan de la prospérité économique. Et ce qui est rejeté finalement dans l’héritage Bongo, ce n’est pas Omar le père, c’est Ali, le fils qui a vu vraiment un divorce énorme entre la société civile gabonaise et son président et son entourage. Là, vraiment, c’est là-dessus que je pense que Brice Oligui Nguema veut faire une rupture. Ça se place en partie sur un plan moral, c’est-à-dire celui de l’indignité et de la honte qui sont des sortes d’émotions politiques par lesquelles les Gabonais exprimaient leur malaise dans une situation où ils voyaient Ali Bongo comme une personne étrangère, une personne qui amenait des valeurs extérieures, qui humiliait finalement les Gabonais, qui a amené aussi beaucoup d’élites étrangères. Donc c’est là où finalement Brice Oligui Nguema se situe, au carrefour d’une rénovation, restauration des valeurs anciennes, si vous voulez, et une rupture avec ce régime de quatorze ans où pour lui et pour quand même beaucoup de Gabonais, il y a eu un véritable dévoiement de ces valeurs.
Il joue sur une forme de mythologie d’un âge d’or de l’époque d’Omar Bongo. Donc ce n’est pas pour rien s’il a appelé son rassemblement le Rassemblement des bâtisseurs, c’est un clin d’œil direct à Omar Bongo ?
Oui. Alors en fait, ce Rassemblement des bâtisseurs est très intéressant à plus d’un titre. Mon collègue avec qui j’ai dirigé le numéro de Politique africaine, le sociologue Joseph Tonda, parle en ce qui concerne ce rassemblement des bâtisseurs d’un parti unique virtuel. Pourquoi ? Parce que c’est en fait une plateforme. C’est un rassemblement d’associations qui, évidemment, soutient Brice Oligui Nguema. Donc c’est intéressant parce que c’est à la fois un parti unique, si vous voulez, mais qui n’a pas la rigidité, le côté institutionnel du PDG de l’ancien parti unique. Donc il y a un rappel à Omar Bongo dans le côté parti unique, dans le côté bâtisseur, il y a cette idée qui est un petit peu comme la restauration. C’est un mélange entre une rupture et une reconstruction du parti unique par d’autres moyens finalement.
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