Le rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo révèle une aggravation continue de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’est du pays. Ce document des Nations unies met en lumière l’intensification des violences et équilibre les responsabilités des différents acteurs.
Guerre oubliée alors qu’elle engendre des millions de déplacements et des milliers de morts, la guerre qui sévit au Nord Kivu est de nouveau sous les feux des projecteurs avec un rapport de l’ONU publié le 8 juillet. Entretien avec Fleury Venance Agou sur les enseignements de ce rapport.
Fleury Venance Agou est doctorant en intelligence économique (Université de Bangui, Centrafrique). Propos recueillis par la rédaction
Comment évolue la situation au Nord Kivu ?
La situation au Nord-Kivu est chaotique. Le rapport souligne que les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé opérant à la fois en RDC et en Ouganda, ont intensifié leurs attaques, dont les civils constituent les principales victimes.
Les affrontements entre le Mouvement du 23 mars (M23) et les Forces de défense rwandaises (RDF) contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et leurs alliés locaux, se sont également aggravés, entraînant la conquête de nouvelles zones stratégiques par le M23. Selon le rapport, cette situation a provoqué le déplacement de près de 1,7 million de personnes au Nord-Kivu et environ 500 000 personnes supplémentaires vers le Sud-Kivu. Ces millions de personnes vivent dans le dénuement le plus total.
Quelles responsabilités le rapport attribue-t-il à chacun des acteurs ?
En 2023, les ADF ont été responsables de “plus de 1 000 décès, principalement des civils”. Les ADF est “le groupe armé commettant le plus grand nombre de meurtres en RDC” cette année-là. Leur stratégie consiste à éviter les forces de sécurité et à cibler les civils, en représailles aux opérations militaires menées contre eux. Ils ont également établi des réseaux de collaborateurs, en utilisant des détenus pour recruter et organiser des soutiens.
Le Rwanda est lui directement impliqué par le soutien qu’il apporte au M23. Les Forces de défense rwandaises (RDF) ont non seulement appuyé le M23 dans ses opérations militaires, mais ont aussi été accusées de participer directement aux combats et de contribuer à l’instabilité régionale. Selon le rapport, “le M23 et le RDF ont continué de punir les civils perçus comme ayant collaboré avec des groupes armés ennemis, en particulier parmi la population hutu perçue comme associée aux FDLR ou Nyatura, sous forme d’exécutions, de tortures, de destructions de villages, de pillages ou de détentions arbitraires”.
En République démocratique du Congo, les Forces armées de la RDC (FARDC) sont impliquées dans des affrontements violents avec le M23 et les RDF. Malgré leur rôle dans la défense du territoire, les FARDC ont été critiquées pour leurs abus et erreurs, notamment dans l’utilisation excessive de l’artillerie lourde, qui a causé des victimes civiles. Les FARDC ont aussi souvent utilisé des groupes armés locaux sous la bannière “Wazalendo” comme proxies, compliquant davantage la situation sécuritaire. Ces groupes ont mené des opérations conjointes, mais les Wazalendo, souvent hors de contrôle, se sont livrés à des pillages en toute impunité dans des villes comme Goma. Constitués de milices locales, ces derniers se sont multipliés en réponse à l’insécurité. Ils commettent de graves violations des droits de l’homme, y compris des enlèvements, des “extorsions, des pillages, des détentions illégales, des tortures, des viols et des meurtres”. Les Wazalendo ont prospéré dans une économie de guerre violente, imposant des taxes illégales pour financer leurs activités.
Enfin, divers groupes armés locaux, prétendant protéger la population, ont commis des abus tels que des meurtres, des enlèvements et des taxations illégales. Ces groupes manipulent les dynamiques locales pour légitimer leurs actions, galvanisant ainsi les tensions et violences régionales.
Le rapport raconte que Félix Tshisekedi a une position litigieuse sur la mobilisation des enfants soldats ?
Le rapport souligne en effet les responsabilités de plusieurs acteurs dans l’utilisation d’enfants soldats, y compris la position litigieuse du Président Félix Tshisekedi.
Il a été rapporté que Tshisekedi a justifié l’utilisation d’enfants soldats en utilisant des arguments de “force majeure”, bien que cela contrevienne aux engagements légaux de la RDC de libérer tous les enfants de moins de 18 ans des groupes armés.
Le recrutement d’enfants soldats est un phénomène courant dans de nombreux pays africains, motivé par l’insécurité chronique et le manque de ressources. Les enfants sont souvent enrôlés en raison de la vulnérabilité de leurs familles face à l’insécurité et à la rareté des ressources. En RDC, l’intensification du conflit a vu une augmentation significative du recrutement d’enfants par des groupes armés comme le M23 et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).
Le rapport fait des recommandations à chacun des acteurs impliqués. Quelles sont-elles ?
Pour le gouvernement de la RDC, il est recommandé d’enquêter sur l’utilisation d’armes explosives, y compris les explosifs transportés par drones, et de s’abstenir de les utiliser dans les zones peuplées. Il est également conseillé de cesser toute collaboration avec les groupes armés, en particulier les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA), et de démanteler les réseaux des ADF dans les prisons.
Concernant l’utilisation d’enfants soldats, le rapport recommande au gouvernement de la RDC de mettre en œuvre la législation nationale de 2009 (Loi n° 09/001) en enquêtant et en poursuivant tous les individus responsables du recrutement, de la formation et de l’utilisation d’enfants soldats, et de prendre des mesures immédiates pour assurer leur libération.
Le gouvernement rwandais se voit recommander de retirer ses forces armées et son armement de la RDC, et de veiller à ce que la Raffinerie d’Or de Gasabo (GGR) se conforme aux directives de diligence raisonnable, notamment en vérifiant l’origine de l’or.
Enfin, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda doivent cesser toute collaboration avec les groupes armés actifs en RDC et enquêter et poursuivre les individus et les réseaux impliqués dans la contrebande d’or.
Que peut-on attendre de la communauté internationale ?
Reste à voir comment la communauté internationale réagira. Jusque-là, la responsabilité du Rwanda était surtout médiatisée – responsabilité qui n’est pas niée par ce rapport au demeurant. Désormais, chaque acteur fait l’objet de recommandations claires et précises. Cependant, la situation est très incertaine, dans un contexte où les prises de parole des autorités nationales sont de plus en plus virulentes. En définitive, il n’est pas certain que les grands acteurs internationaux, dont les regards sont braqués sur l’Ukraine et le Moyen Orient, n’aient ni les moyens ni la volonté de s’immiscer dans ce bourbier.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.