Le camp Boiro est un terrible souvenir pour de nombreux Guinéens. C’est dans ce camp militaire de Conakry que quelque 5000 Guinéens sont morts sous la torture. Et c’est il y a quarante ans, jour pour jour, que le colonel Lansana Conté a ouvert ce camp et a mis fin à cette usine de mort, quelques jours après la mort de Sékou Touré. Quel souvenir laisse aujourd’hui le père de l’indépendance guinéenne, l’homme qui a dit « non » à de Gaulle ? L’historienne Céline Pauthier a publié chez L’Harmattan l’ouvrage collectif Le non de la Guinée en 1958, co-écrit avec Abdoulaye Diallo et Odile Goerg. Elle revient sur l’ambivalence du personnage Sékou Touré.
RFI : La première rupture avec la France, c’est le 25 août 1958, quand Sékou Touré affronte le général de Gaulle, à Conakry. Dans quel passé a-t-il puisé cette force de caractère qui, ce jour-là, lui donne le courage de défier de Gaulle ?
Céline Pauthier : Oui, c’est vrai que Sékou Touré, c’est vraiment un symbole, une figure de l’anticolonialisme, ça, c’est le point qui fait en général consensus. Il s’est engagé assez jeune, pendant sa vingtaine, dans la lutte syndicale et politique et ce qui fait sa particularité, à la différence d’autres leaders africains, c’est qu’il n’a pas été formé dans les grandes écoles coloniales ouest-africaines, telles que l’école William Ponty, ou en métropole. C’est un autodidacte qui s’est formé par le syndicalisme et par ses propres lectures. Donc il puise d’abord dans son passé de syndicaliste et, au moment du discours du 25 août, il est déjà, d’une certaine manière, aux manettes du territoire, il a déjà une grande partie de la population derrière lui avec le Parti démocratique de Guinée. Et dans son discours, il insiste sur la notion de dignité, puis c’est là qu’il lance cette phrase célèbre : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage », qui symbolise la rupture. Mais quand on regarde vraiment le discours de près, il recherche, à ce moment-là encore, à négocier les termes de cette communauté française.
Alors, à partir de cette rupture de 1958, Sékou Touré et Kwame Nkrumah décident d’unir les destins de leurs deux pays, la Guinée et le Ghana. Est-ce que le panafricanisme de Sékou Touré, c’était une vraie entreprise visionnaire ? Ou une posture sans lendemain ?
Alors c’est sûr que Sékou Touré a soigné son image de chantre du panafricanisme, qui est aussi un idéal central de l’époque. Je ne sais pas s’il est visionnaire, en tout cas, il est représentatif de l’époque. Et donc au tournant de l’indépendance, après le 2 octobre, avec d’autres, avec ses émissaires, parmi lesquels notamment Dialo Telli, il va jouer un rôle important pour tenter des rapprochements avec de nouveaux États africains. Et là, l’union Ghana-Guinée qui est nouée, donc dès novembre 1958 – c’est vraiment juste après l’indépendance –, elle n’aura pas tellement d’effets concrets, mais elle joue un rôle important symboliquement, parce que ça dépasse les ex-frontières impériales : c’est un pays anglophone et un pays francophone qui s’unissent et qui veulent un embryon des États-Unis d’Afrique. Et d’ailleurs, c’est un Guinéen, Dialo Telli, qui va être secrétaire général de l’OUA [Organisation de l’unité africaine, NDLR]. Donc il y a une vraie action panafricaine au moment de l’indépendance. Sékou Touré va aussi accueillir sur son territoire des militants panafricains, comme [l’Américain] Stokely Carmichael, par exemple, ou [la Sud-africaine] Miriam Makeba, mais dans la suite de l’histoire, il y a eu quand même des tensions, des contradictions dans la politique panafricaine de Sékou Touré et notamment le fait que, du milieu des années 60 au milieu des années 70, il ne va pas se rendre aux réunions de l’OUA et il va être dans une attitude de repli parce qu’il est en désaccord avec beaucoup de ses voisins africains.
La répression que pratique le régime de Sékou Touré à partir de 1970 et de l’opération militaire Mar Verde sur Conakry, est-ce seulement la faute à cette opération commando venue du Portugal ?
En fait, dès l’indépendance, Sékou Touré craint vraiment les manœuvres de déstabilisation extérieure ou intérieure et cette peur ne va faire que grandir au cours des années 60, alors qu’il assiste dans un contexte international à la destitution de ses homologues qui sont proches de lui politiquement, comme par exemple Kwame Nkrumah au Ghana ou Modibo Keïta au Mali. Et donc, une de ses stratégies va être d’utiliser la rhétorique du complot pour dénoncer des menaces extérieures ou intérieures, qu’elles soient bien réelles, comme c’est avéré en avril 1960 ou en novembre 1970 avec l’opération Mar Verde que vous évoquez, ou qu’elles soient supposées. Et donc cette dénonciation de complot s’accompagne à chaque fois de violences politiques : arrestations, torture, détention dans des conditions très difficiles, exécutions extrajudiciaires. Cette part sombre du personnage et de son régime est symbolisée par la prison du camp Boiro, qui est installée dans Conakry.
Le lieu de supplice le plus connu, vous l’avez dit, Céline Pauthier, c’est le camp Boiro à Conakry. Au moins 5 000 prisonniers y sont morts sous la torture. L’une de ces tortures, c’était l’absence d’eau et de nourriture. Dialo Telli et bien d’autres sont littéralement morts de faim et de soif. Est-ce qu’on peut dire que Sékou Touré a assumé ce régime de terreur ?
Oui, je pense qu’il a assumé cette politique puisque le régime a fait publicité de la répression politique, puisque les arrestations étaient rendues publiques à la radio et dans le journal. Certaines exécutions ont été publiques également, notamment en janvier 1971. Donc oui, il y a une justification, par l’idée de patrie en danger, du recours à la violence chez Sékou Touré. De ce point de vue-là, ce régime n’a pas cherché à cacher cette répression politique. Au contraire, il l’a mise en avant pour essayer de justifier la véracité des complots.
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