Guinée : une grâce qui passe mal

C’est une décision surprenante. Alors qu’il avait été condamné en juillet 2024 à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité dans l’affaire du massacre du 28 septembre 2009 dans un stade à Conakry, l’ancien président, Moussa Dadis Camara, a été gracié, la semaine dernière. Le Président de la Transition guinéenne, le général Mamady Doumbouya, a jugé bon de faire cette faveur à son prédécesseur, qui a géré le pays de 2008 à 2010, pour « raison de santé ».

Si on suit sa logique, le nouvel homme fort de Conakry a posé un acte humanitaire, mais tous les Guinéens l’entendent-ils de cette oreille dans un dossier dans lequel 156 personnes ont perdu la vie ? Ces victimes avaient été dénombrées à la suite de la répression d’une manifestation de l’opposition, quand le capitaine Dadis Camara régnait en maitre sur la Guinée, après le coup d’Etat consécutif à la mort de Lassana Conté. Pour un dossier pour lequel, ils ont bataillé ferme pendant près de 15 ans avant de voir la tenue d’un procès, les proches des victimes sont tombés des nus et crient au scandale à en perdre les cordes vocales.

C’est le choc et l’incompréhension dans les rangs de ceux qui ont réclamé et obtenu justice. Les familles des disparus avaient pourtant eu momentanément le sourire, puisqu’avant cette mesure à polémique, le chef de l’Etat guinéen avait fait publier un décret annonçant la prise en charge de l’indemnisation des victimes du 28 septembre 2009. Si, les ménages concernés se sont réjouis de cette décision, leur joie n’a été que de courte durée, vu la grâce accordée à Dadis Camara. Le Président Doumbouya a-t-il voulu marchander les indemnisations avec cette main tendue envers son prédécesseur ?

Les proches des victimes y croient dur comme fer et voient d’ailleurs un acte qui sert la culture de l’impunité, qu’une volonté réelle de rendre justice à des familles éplorées. En tous les cas, la mesure présidentielle apparait comme une plaie qu’on a remué avec un couteau, tant la colère est palpable dans le cercle des familles des victimes. Ne parlent-elles pas d’un affront à la mémoire des victimes du massacre ? Les familles des disparus envisagent d’ailleurs saisir leurs avocats pour étudier la possibilité de faire un recours au plan national ou international.

C’est la preuve évidente que la pilule ne passe pas. Les proches des victimes sont en droit de s’inquiéter, surtout que Dadis Camara n’a pas fait un an en prison, après sa condamnation. Au-delà de la raison invoquée, le geste du Gal Doumbouya en faveur de Dadis Camara est-il si désintéressé qu’il en donne l’air ? D’aucuns y voient une action politique à visée électoraliste, surtout que le président de la Transition est soupçonné de vouloir briguer la magistrature suprême. Des membres de son entourage, à l’image du général Amara Camara, évoquent publiquement cette possibilité, même si, lui-même ne pipe pas mot. Dans cette hypothèse, le Gal Doumbouya pourrait avoir la sympathie de N’zérékoré, 3e ville du pays, d’où est originaire Dadis Camara.

On a beau spéculer, il est difficile d’avoir le cœur net sur les ambitions de Doumbouya pour le moment. L’avenir nous situera véritablement sur les intentions du président de la Transition guinéenne, qui semble s’éloigner, de jour en jour, de sa promesse de remettre le pouvoir aux civils. Le tombeur d’Alpha Condé a promis des élections en cette année 2025 et on espère que les lignes bougeront dans ce sens. Ses compatriotes commencent à s’impatienter, ce qui pourrait être préjudiciable à la cohésion sociale. En attendant de voir l’horizon s’éclaircir sur le plan de l’organisation des élections, le Gal Doumbouya nage en pleine tumulte avec la grâce accordée à Dadis Camara qui passe mal…

Kader Patrick KARANTAO

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