Communiqué LDH
Haïti n’est pas simplement le sujet et le lieu d’une guerre lointaine et vieille de 200 ans. En cet anniversaire, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) appelle à la reconnaissance et à la réparation d’une faute lourde commise par la France à l’encontre du peuple haïtien. Véritable rançon imposée par la France, la dette a été le prix à payer par les Haïtiens pour leur indépendance et la fin de l’esclavage.
La population de Haïti est confrontée depuis des décennies à une grave insécurité, une insuffisance alimentaire et une crise sanitaire qui portent gravement atteinte à ses conditions de vie. Cette situation s’enracine dans un passé qui ne passe pas.
Le 1er janvier 1804, l’indépendance d’Haïti a été proclamée à la suite d’une longue lutte contre le corps expéditionnaire envoyé par Bonaparte pour y rétablir l’esclavage, dont la Convention, forte de ses idéaux révolutionnaires d’égalité et de liberté, avait proclamé l’abolition le 4 février 1794.
Ce qui apparaissait comme impossible s’est produit : révolté-e-s par le quotidien de l’esclavage, qui se traduisait par la multiplicité des exactions, assassinats, exécutions, viols, tortures, surexploitations, ces femmes et ces hommes déporté-e-s d’Afrique – au nombre cumulé de 400 000 –, ont pris les armes et ont gagné leur indépendance. Battu dans cette bataille de Vertières que la vulgate historique française ne veut pas retenir, le corps expéditionnaire a rembarqué.
Les faits commis par les colons et propriétaires ne peuvent être oubliés : l’esclavage est un crime contre l’humanité. Qu’il ait été à l’époque largement pratiqué – après l’élimination génocidaire des populations autochtones, Tainos, Kalinas et Caraïbes – ne saurait servir d’excuse, singulièrement au regard des millions de victimes dont il a été la cause au Brésil, dans les îles des Antilles, aux Etats-Unis, sous les dominations française, anglaise, espagnole, portugaise, hollandaise.
Ce 1er janvier 1804 est une date fondamentale dans l’histoire du monde. Des hommes noirs, des femmes noires, esclaves d’ascendants en descendants, réduits à l’état de biens meubles jusqu’en 1794, ont pris le pouvoir et ont organisé une société et un Etat. Aimé Césaire, dans le Cahier d’un retour au Pays natal, écrit « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité ».
En 1825, l’ordonnance de Charles X a imposé, en échange de la reconnaissance du jeune Etat, une indemnisation des propriétaires de terres et d’esclaves, sous la menace, en cas de refus, d’un débarquement de troupes d’occupation. La France commit alors une faute morale, politique et économique : elle a imposé une véritable rançon puisqu’elle a obligé les victimes à payer elles-mêmes leurs ex-propriétaires ; elle a entraîné le maintien d’une relation violemment asymétrique entre les deux nations ; elle a obéré le développement et les conséquences en sont visibles aujourd’hui. Pour payer cette indemnisation des esclavagistes, Haïti a été contraint de souscrire sur le marché financier un emprunt, dont les effets se sont fait sentir jusqu’en 1938, et de soumettre sa population à une rigueur, dont les conséquences se sont avérées durables.
2025, année du bicentenaire de la dette imposée par la France en 1825, doit être l’année de la réparation et de la construction. Pour faire du pire la possibilité d’un meilleur, la France doit assumer cet héritage et en faire un débat en France, permettant, enfin, de reconnaître et de réparer les injustices qui ont contribué à la situation actuelle. L’anniversaire de l’ordonnance doit être le point de départ d’une nouvelle ère de coopération ouverte par cette reconnaissance préalable.
Le gouvernement français doit s’engager dans un agenda correcteur de l’injustice historique :
– la reconnaissance publique de la faute commise par la France envers la République d’Haïti, les victimes de l’esclavage et leur descendance ;
– la participation au mouvement mondial, dans lequel d’autres parties prenantes anciennement esclavagistes ou colonisatrices se sont déjà engagées, en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas, pour l’histoire, la mémoire et la prévention de l’esclavage ;
– l’organisation de la réparation à l’égard du peuple haïtien, selon des dispositions à discuter en bilatéral entre les deux Etats et au niveau global de l’Organisation des Nations unies (Onu), singulièrement en cette période où des gouvernements autoritaires cherchent à imposer leur domination par la force ;
– l’incitation pressante faite aux institutions françaises, singulièrement bancaires, dont l’histoire est indissolublement liée à l’histoire d’Haïti, à s’associer elles aussi à cette démarche de reconnaissance, comme l’ont fait avant elles des institutions telles que les banques nationales d’Angleterre et des Pays-Bas ;
– l’utilisation de son rôle de puissance membre permanent du conseil de sécurité de l’Onu en travaillant à une réponse internationale rapide, à la mesure de l’ampleur de la crise que connaît Haïti pour une perspective politique pérenne, accompagnée des projets structurants d’ordres économique et social, à court, moyen et long termes, pour que cette réponse structurée ne se réduise pas à de nouvelles interventions de forces armées déconnectées des réalités, comme l’a trop vécu la population haïtienne ;
– l’aide respectueuse à la société civile haïtienne qui existe dans le pays et en diaspora, pour qu’une perspective politique souveraine émane du peuple haïtien lui-même ;
– dans l’immédiat, le gouvernement français doit adapter sa politique d’accueil des ressortissants haïtiens, notamment en suspendant toutes les obligations de quitter le territoire français vers Haïti, en particulier aux Antilles et en Guyane, au regard de l’extrême gravité de la situation dans le pays.
La LDH appelle le gouvernement à sortir d’une position en surplomb pour prendre les décisions que la gravité de la situation à Haïti impose. La LDH appelle les institutions concernées et les organisations de la société civile, à Haïti et en France, à agir en commun pour la reconnaissance de la faute originelle, la réparation des dégâts de l’esclavage et de la colonisation, la reconstruction d’un pays et d’une société qui passent de désastres en catastrophes.
Paris, le 4 mars 2025
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