Le 17 avril 1825, le roi de France Charles X publie une ordonnance exigeant une « indemnisation » de la part de la jeune République haïtienne. En échange de la reconnaissance de l’indépendance conquise en 1804 par la première nation issue de la révolution d’esclaves noirs, il « ordonne » à Haïti de lui accorder un accès privilégié à son commerce et de « dédommager les anciens colons », en payant une indemnité de 150 millions de francs or. Selon le Ransom Project du New York Times, cette somme, si elle avait été investie dans l’économie haïtienne, aurait généré un revenu de plus de 20 milliards d’euros depuis deux siècles. La perte subie par l’économie haïtienne dépasse donc largement le montant initial de la dette remboursée.
Double dette
Dans l’incapacité de s’acquitter de ce lourd fardeau, Haïti sera obligée de recourir à des prêts auprès de banques françaises et à l’exportation de bois précieux, dès le premier versement. C’est la double dette. Elle contribuera à entraîner Haïti dans une spirale d’endettement qui l’affaiblira pendant plus d’un siècle, siphonnera une grande partie de ses revenus, impactera gravement son environnement, et grèvera sa capacité à se doter d’institutions et d’infrastructures essentielles à toute nation indépendante.
Selon les Nations unies, plus de 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays où les gouvernements consacrent plus d’argent au remboursement de la dette qu’aux services essentiels tels que la santé ou l’éducation.
D’autres pays seront ensuite pris dans le même engrenage et contraints de rembourser des dettes insupportables qui les ont empêchés, comme Haïti, d’investir dans la santé, l’éducation et le bien-être de leur population. Plus de 100 pays sont aujourd’hui confrontés à une crise de la dette, et 60 % de leurs dettes sont détenues par des créanciers privés, ce qui rend la résolution de la dette plus complexe. Résultat : selon les Nations unies, plus de 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays où les gouvernements consacrent plus d’argent au remboursement de la dette qu’aux services essentiels tels que la santé ou l’éducation.
Commémoration
La commémoration des 200 ans de l’ordonnance de Charles X, le 17 avril 2025, est l’occasion d’exiger la restitution et la réparation de toutes les dettes illégitimes, celles payées par Haïti et celle payée par de nombreux pays du Sud. En effet, cette « dette/rançon » qui fut exigée par la France à Haïti, est par essence la première à être imposée à un pays issu de la décolonisation et peut être aussi considérée comme la « mère de toutes les dettes illégitimes ». Elle fait aussi, malheureusement, le lien avec l’actualité de 2025 : car si, comme on l’a dit, la crise de la dette est une des plus graves jamais enregistrées, celle que connaît Haïti, confrontée depuis 2020 à la mainmise des gangs avec pour effet que près de la moitié de la population haïtienne, soit 5,5 millions de personnes, est confrontée à l’insécurité alimentaire et a un besoin urgent d’aide humanitaire.
Business vert en pays pauvres
Les ONG européennes réunies au sein de la Coordination Europe-Haïti (COEH) appellent la France à reconnaître enfin l’injustice de la dette haïtienne et à rembourser les sommes versées par Haïti en guise de symbole fort en ce bicentenaire. Elles appellent aussi l’Union européenne et ses États membres, dont la Belgique, à se montrer à la hauteur de leur responsabilité coloniale en renforçant le soutien à la population haïtienne dans un contexte de crise généralisée qui aggrave ses conditions de vie et en soutenant la souveraineté populaire en Haïti contre toute ingérence, américaine en premier lieu. Enfin, en cette année jubilaire à l’occasion de laquelle le pape François a souhaité mettre la remise des dettes des pays pauvres au centre des enjeux Nord-Sud, il est plus urgent que jamais de voir se dessiner une solution à la crise de la dette par l’entremise de l’établissement d’un cadre permanent, transparent, contraignant et intégral de la dette au sein des Nations unies.
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