Haïti à l’honneur au FIJM

Plongée dans une crise politique sévère, la Perle des Antilles est dans toutes nos pensées — et au coeur de la programmation du Festival international de jazz de Montréal (FIJM), qui braque cette année les projecteurs sur l’influence de la musique haïtienne dans l’évolution du jazz en invitant une poignée de musiciens aux racines créoles. Plusieurs d’entre eux seront réunis sur scène pour le concert La révolution haïtienne à travers la tradition du jazz, présenté le 1er juillet. Conversation sur les rythmes de l’île, l’ingéniosité de sa diaspora et la place de la spiritualité dans le jazz en compagnie de Jowee Omicil et de Theo Abellard.

« Ça fait 31 ans que je souffle dans le saxophone », raconte le compositeur et band leader Jowee Omicil, joint dans son « laboratoire » du 18e arrondissement de Paris, où il mène sa carrière depuis une décennie. « J’ai toujours eu de bons retours sur les albums que j’ai lancés, mais jamais autant que pour celui-ci », intitulé SpiriTuaL HeaLinG: Bwa KaYimaN FreeDoM SuiTe et paru au début de l’année, le plus audacieux, le plus libre, le plus inspiré, et surtout l’album le plus près de ses racines haïtiennes en carrière.

Une longue et exaltante fresque free jazz qui appelle l’esprit des ancêtres que l’on écoute à travers son instrument et ceux de ses accompagnateurs (basse, claviers, percussionnistes experts en rythmes vaudous) qui se sont exprimés dans un esprit d’écoute et de spontanéité. « Nous étions en studio dans une résidence de création qui devait durer trois jours », raconte Jowee, né à Montréal, boursier du célèbre Berklee College of Music de Boston. « Au début de la session, je voulais simplement écouter le son d’ensemble de l’orchestre ; on a fait notre rituel comme d’habitude, une prière en cercle, et j’ai dit aux gars : “O.K., on joue un peu, très free, et ensuite on retourne à la console pour écouter ce que ça donne.” »

À la toute fin de l’enregistrement, on peut entendre Jowee Omicil dire : « Take one. » Ce fut l’unique prise : « En réécoutant, on s’est dit : “Wow, qu’est-ce que c’est que ça ?” C’est exactement l’album que j’avais en tête et dont Ornette Coleman me parlait. […] J’ai toujours voulu jouer free comme ça, comme le faisait Ornette, mais je me disais toujours que le public ne comprendrait pas. Mais Ornette avait raison, et je pense que la raison pour laquelle ce projet a fonctionné, c’est qu’il était déjà béni avant de voir le jour. »

Quand Jowee Omicil parle de sa musique, la notion de spiritualité n’est jamais loin. « Mon père est pasteur, j’ai grandi à l’église. Lorsqu’il écoutait mes albums, il me disait toujours : “Tu n’as pas encore fait ton album inspiré.” Pour lui, la musique est spirituelle », concept qui habite aussi l’oeuvre, encore jeune, du compositeur et pianiste montréalais Theo Abellard, qui lancera son premier album l’automne prochain, non sans en dévoiler des pans le 2 juillet, avec son trio.

« Dans ma musique, j’explore les thèmes de la spiritualité et de la paix intérieure, explique-t-il. Elle est aussi pour moi une quête d’identité, pour mieux m’inscrire dans l’histoire de cette tradition musicale qu’on nomme le jazz. »

L’ADN créole du jazz

Avec l’ensemble Rara Soley et les collègues new-yorkais Melanie Charles (chant) et Jonathan Michel (contrebasse), Theo Abellard prendra part à l’événement La révolution haïtienne à travers la tradition du jazz, présenté le 1er juillet.

« C’est un concert très important pour moi, évidemment en raison de mes racines haïtiennes, mais aussi parce que la musique créole a clairement eu une influence sur le développement du jazz, explique Theo. C’est un fait peu connu, comme on sait peu que la musique d’Haïti a influencé la musique cubaine, qui, à son tour, a percolé dans le jazz. Tout est lié » depuis les origines du genre, un sujet exploré par la chercheuse montréalaise Caroline Vézina dans son ouvrage Jazz à la créole. French Creole Music & The Birth of Jazz (University Press of Mississippi, 2022), lauréat l’an dernier du Prix de la meilleure recherche historique sur la musique jazz enregistrée, décerné par l’Association for Recorded Sound Collections (ARSC) américaine.

Carrefour culturel et berceau du jazz, La Nouvelle-Orléans de la fin du XIXe et du début du XXe a favorisé la rencontre entre les musiques classique et populaire européennes, les marches militaires, les chants religieux et les polyrythmies d’Afrique que portaient en eux tous ces musiciens originaires (notamment) d’Haïti — en résumé, la musique créole est inscrite dans le code génétique du jazz.

Jowee Omicil, qui souligne la contribution haïtienne au jazz sur son dernier album, invitera à le rejoindre sur scène le 3 juillet son ami et confrère Harold Faustin, guitariste « très ancré dans la musique vaudoue, assure-t-il. J’ai aussi eu le privilège de performer avec Azor », élève du légendaire batteur Ti Roro, lequel a également enseigné à Max Roach, « qui allait passer ses étés en Haïti pour apprendre la musique là-bas. Ça, peu de gens le savent, ajoute Jowee. Je n’ai jamais étudié la musique de racines, mais j’ai passé beaucoup de temps à jouer avec des maîtres des rythmes rituels haïtiens », qui brillent de tous leurs feux sur son dernier album.

« La contribution musicale d’Haïti au développement jazz est impossible à quantifier, renchérit Omicil. Ce backbeat que j’appelle la pierre angulaire du jazz et pour lequel je suis prêt à gager mon empire en affirmant qu’il est originaire du royaume africain du Dahomey et qu’il a voyagé jusqu’en Haïti, là où le peuple [noir] s’est libéré en premier. Et avec quoi ? Avec les tambours. Avec la musique. »

Theo Abellard (qui, lui aussi, affirme avoir « grandi à l’église ») se réjouit de présenter ses compositions le 1er juillet « dans un contexte qui mettra en valeur la musique haïtienne, ce lien fort entre les Antilles et La Nouvelle-Orléans. Mélodiquement, mes inspirations viennent d’un peu partout, de la musique classique, du R&B, les sources sont multiples, mais sur le plan du rythme, on reconnaît mes racines. Suffit de les écouter — tu sais tout de suite d’où ça vient, ça vient de l’Île ! »

La révolution haïtienne à travers la tradition du jazz

La révolution haïtienne à travers la tradition du jazz, avec Melanie Charles, Theo Abellard, Jonathan Michel et Rara Soley, sera présenté le 1er juillet, à 18 h, au Studio TD. Rara Soley se produira les 1er (20 h 30), 2 (20 h 30) et 3 (18 h 50) juillet au coin des rues Sainte-Catherine et Jeanne-Mance. Le Théo Abellard Trio se produira le 2 juillet, à 18 h, au Studio TD. Jowee Omicil sera en concert au Gesù le 3 juillet, à 22 h 30.

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