« Au risque de me répéter, je dois dire que la situation est plus désastreuse à chacune de mes visites », a constaté William O’Neill, lors d’un point de presse à New York.
L’expert a procédé à la lecture de témoignages collectés sur place, dont celui d’une fille de 16 ans originaire de la capitale Port-au-Prince, qui se passe de tout commentaire.
« Sept bandits armés et masqués sont entrés chez moi, à Kenscoff, ils nous ont violées et battues, moi et ma belle-mère. Puis, ils ont tué mon père devant moi. La douleur est atroce. Parfois, je l’oublie. Puis, elle revient. La nuit, je crie », confie-t-elle.
Selon M. O’Neill, la jeune fille, qui est hébergée temporairement dans un centre d’accueil, pratique la danse pour se distraire et rêve de devenir psychologue afin de venir en aide aux Haïtiennes qui, comme elle, ont survécu aux gangs.
Ou encore, ce récit d’un adolescent de 12 ans recruté de force par les gangs et actuellement incarcéré dans un centre de rééducation pour mineurs à Port-au-Prince.
« Je veux seulement retourner dans la rue », explique-t-il. « Je ne veux plus de bandits dans mon pays. Plus tard, je serai pilote ».
La faim, les attaques de gangs, les exécutions, les enlèvements contre rançon, la violence contre les femmes, la corruption, ne sont que quelques-uns des défis auxquels Haïti est confronté.
Port-au-Prince sur le point de tomber
M. O’Neill a constaté l’insuffisance des ressources pour prendre en charge toutes les victimes des gangs, qui se partagent désormais 85 % du territoire haïtien, dont une grande partie de la capitale.
Cette dernière risque selon lui fortement de tomber sous le contrôle des gangs, malgré les efforts déployés par la police nationale et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), qui compte actuellement un millier de policiers.
M. O’Neill a estimé que les forces de l’ordre haïtienne étaient sous-équipées et en sous-effectifs.
Quant aux policiers de la MMAS déjà déployés en Haïti, ils ont selon lui besoin d’équipements supplémentaires, notamment d’hélicoptères et de véhicules mieux adaptés à la topographie haïtienne, aussi bien dans les villes densément peuplées et aux rues étroites, qu’en dehors de la capitale, dans les zones vallonnées et escarpés difficiles d’accès.

William O’Neill (à droite), l’expert des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Haïti, s’entretient avec un policier haïtien à Port-au-Prince.
Les gangs étendent leur emprise
C’est d’autant plus important que les gangs continuent d’étendre et d’asseoir leur emprise au-delà de Port-au-Prince.
« Ils tuent, violent, terrorisent, incendient les maisons, les orphelinats, les écoles, les hôpitaux, les lieux de cultes, recrutent des enfants et infiltrent toutes les sphères de la société », a rapporté M. O’Neill.
« Tout ceci, dans la plus grande impunité et parfois, comme le soulignent beaucoup de sources, avec la complicité d’acteurs puissants », a-t-il ajouté.
Les violences des gangs ont contraint plus d’un million d’Haïtiens à quitter leur foyer, dont plusieurs milliers ces dernières semaines.
Ces derniers n’ont nulle part où aller et se réfugient parfois dans les établissements scolaires. Au point que des étudiants ont récemment lapidé des personnes déplacées qui occupaient leur école afin de les déloger. Dans les camps de fortune, les violences sexuelles sont également monnaie courante.
« Les désespérés se retournent contre les plus désespérés », a déploré M. O’Neill.

Des vendeurs de rue à Port-au-Prince, en Haïti.
S’attaquer aux causes socio-économiques
Alors qu’au moins la moitié des membres de gangs sont des enfants, l’expert a appelé le gouvernement à faire davantage pour s’attaquer aux causes socio-économiques de la violence actuelle, y compris les inégalités, la pauvreté et le fait que de nombreux jeunes issues de quartiers pauvres n’ont que très peu d’options dans leur vie.
« Ils rejoignent donc le gang », a-t-il expliqué. « Ils reçoivent une arme, 10 dollars par semaine et un repas chaud ; c’est bien mieux que tout ce qu’on leur propose ».
Selon lui, l’unité et la solidarité doivent guider l’action politique à tous les niveaux, dans l’intérêt de la population, afin d’assurer la sécurité, la primauté de la justice et la survie de l’Etat.
Deux fléaux : l’impunité et la corruption
L’expert a indiqué que l’impunité et la corruption étaient des obstacles majeurs au démantèlement des gangs.
« Il faut donc que l’Etat haïtien fasse de la lutte contre ces deux fléaux une priorité absolue », a-t-il estimé.
Il a toutefois rappelé que la lutte contre les gangs devait s’inscrire dans le strict respect du droit international des droits de l’homme en particulier, notamment le droit à la vie.
Mais Haïti a besoin d’aide et sans attendre. M. O’Neill a appelé la communauté internationale à agir « sans délai et de manière totale et effective » pour mettre en œuvre les engagements pris concernant le régime de sanctions, l’embargo sur les armes et le renforcement substantiel du soutien sécuritaire multinational.
« Il n’y a pas un jour à perdre », a déclaré l’expert. « C’est la survie d’Haïti qui est en jeu ».
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