Haïti-France : 1825-2025, le bicentenaire de la multi-rançon

Tribune

Par Jean Willy Belfleur*

Soumis à AlterPresse le 26 mars 2025

Bay kou bliye pote mak sonje  [1]  : 1825-2025, le bicentenaire de la multi-rançon pour la « reconnaissance » de l’indépendance de la première République noire indépendante du monde



A. DE LA MULTI-RANÇON D’HAÏTI PAYÉE À LA France

Le 17 avril 2025 marquera, jour pour jour, le bicentenaire de l’ordonnance du roi Charles X par laquelle la France avait contraint la jeune République haïtienne à payer cent cinquante (150) millions de francs-or en vue de dédommager les anciens colons esclavagistes de la colonie de Saint-Domingue. Par cette ordonnance, le monarque aurait voulu satisfaire les revendications de ces exploitants/spoliateurs, eux qui réclamaient réparation pour les dommages qu’ils avaient subis au cours de la guerre de l’indépendance haïtienne. En effet, nos ancêtres avaient entrepris une guerre meurtrière et de chambardement total du système esclavagiste après avoir connu pendant plus de 300 ans (1492-1803) les atrocités de ce système, le plus barbare institué par les Européens. Pourtant, un tel système était tellement juste et légitime aux yeux des puissances occidentales que la rébellion de nos ancêtres fut considérée comme quelque chose d’inacceptable, une anomalie. Il fallait donc tout faire pour soit corriger l’anomalie, soit étouffer la jeune nation. D’où ce cycle criminel d’endettement absurde qui, officiellement, a duré pas moins de cent vingt-sept ans (127) ans (entre le XIXème et le XXème siècle), dont la société haïtienne se ressent toujours cruellement. Ce dispositif d’étouffement et de paralysie a soumis notre jeune nation a une économie rachitique, moribonde et extraverti tout au long des deux premiers siècles de son existence.

Aujourd’hui, appauvrie et avilie par les puissances occidentales, notre Haïti peine à se relever de la situation chaotique dans laquelle elle est embourbée. Notre pays risque de ne pas survivre à son effondrement s’il ne se donne pas les moyens adéquats pour sa pérennisation. C’est dans cette perspective qu’a pris naissance cette organisation de la société civile dénommée HAITI-3R (Haïti : Restitution, Réparation et réhabilitation) qui, en cette année du bicentenaire de ladite ordonnance, je réclame de la France néocolonialiste réparation et restitution. Restitution de nos 115 milliards de dollars américains dus ; réparation pour cet exceptionnel racket historique.



B. DE LA DEUXIÈME RANÇON D’HAÏTI À LA FRANCE

Comment la France nous a forcé la main à accepter de payer une rançon multiple à travers l’ordonnance de Charles X ? L’extrait suivant donne une idée du braquage monstrueux que nous avons subi seulement 21 ans après la proclamation de notre indépendance. L’article 1er de cette dite ordonnance stipule : « les ports de la partie française de S.-Domingue seront ouverts aux commerce de toutes les nations. Les droits perçus dans ces ports, soit sur les navires, soit sur les marchandises tant à la rentrée qu’à la rentrée qu’à la sortie seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté pour les pavillons français, en faveur duquel ces droits seront réduits de moitié ». Sur la base de quoi la France s’autorisait le droit de payer seulement la moitié de ses taxes douanières au fisc ? N’y a-t-il pas là un autre manque à gagner pour Haïti ? Cette exonération 50% des tarifs douaniers impayés par la France à Haïti, ne constitue-t-elle pas une deuxième rançon d’Haïti versée dans l’économie de la France ? Ne s’agit-il pas littéralement d’un rapt classique du pays à travers cette « ordonnance » ? En lisant cet article, on conviendra qu’il y a lieu de parler, pour le moment d’une double rançon, parce que d’une part, on a imposé à la jeune République de payer une somme de 150 000 000 de franc-or, mais encore, il a fallu, parallèlement, exonérer la France de 50% des tarifs douaniers. Tout bien considéré, il est indéniablement qu’il s’agit d’un deuxième manque-à-gagner sur le plan économique et financier et par ricochet sur le plan du développement du Pays victorieux de la guerre.



C. DE LA TROISIÈME RANÇON QU’A PAYÉ HAÏTI

Comme si tout cela n’a pas suffi, il a fallu qu’Haïti – pour payer sa hardiesse d’avoir osé être libre par la guerre en brisant les chaines de l’esclavage et du colonialisme, impliquant l’exploitation de l’homme par l’homme – contracte des prêts onéreux, d’abord dans une banque française, la BIC et en suite dans d’autres banques en Amérique du Nord pour pouvoir verser cette rançon initiale à l’État français qui, après avoir versé la première tranche de 30 000 000 a été revue à la baisse en 90 000 000 de francs-or. Toutefois, il faut retenir que sur les trente millions empruntés à un taux d’intérêt de six pour cent (6 %) l’an (et remboursable sur 25 ans), 6 millions ont été retenus à la source en guise de « frais de service », soit 20 % du montant sollicité. Cela doit vous donner une compréhension plus claire. N’est-ce pas un coup de force mafieux perpétré contre Haïti par la « patrie des droits de l’homme » ? Ce forfait odieux a provoqué, deux cents ans après, des conséquences désastreuses tant sur le plan économique, écologique que social sur le développement du pays, qui méritent aujourd’hui d’être réparées. Tous les historiens tant haïtiens qu’étrangers sont quasiment unanimes à reconnaitre que ce « châtiment » du vaincu infligé au vainqueur, fait inédit dans l’histoire, a hypothéqué de manière irréversible le devenir de la glorieuse Première République Noire di Monde.



D. QUAND L’ESCLAVAGE ET LA TRAITRE NÉGRIÈRE SONT RECONNU PAR LA FRANCE COMME ÉTANT UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ

Le 21 mai 2001, sous l’instigation de la députée française d’origine Guyanaise Christiane TAUBIRA, l’Assemblée Nationale de France a adopté une loi reconnaissant l’esclavage, la traite (des noirs) en tant que crime contre l’Humanité. L’article 1er stipule : « La République française reconnait que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constitue un crime contre l’humanité ».

Eu égard à cette loi, ne conviendrait-il pas, à l’occasion du bicentenaire de cette ordonnance suicidaire pour Haïti, de sommer la France, PAYS DES DROITS DE L’HOMME, d’assumer ses responsabilités en restituant la somme extorquée à notre patrie ?

L’adoption de cette loi pouvait être une bonne chose, cependant, cette reconnaissance légale a des implications et des responsabilités pour lesquelles la France n’a marqué aucun pas. C’est à ce sujet qu’il convient de miser sur le bienfondé de ladite loi pour la sommer d’assumer ses responsabilités au regard des injustices causées à Haïti en l’occasion du bicentenaire de cette ordonnance macabre, considérée comme un supplice infligé à Haïti après avoir vivoté près de v siècles dans la traite négrière et l’esclavage. Il est clair que réparer tous les pays et les peuples qui ont été colonisés et esclavagisés par un processus de redistribution de richesses acquises injustement est un devoir de morale et de justice, mais encore restituer la somme volée à celui qui gagna sa liberté et son indépendance au prix du sang versé en est une nécessité d’ordre éthique minimaliste, voire un impératif catégorique suivant notre compréhension au niveau d’Haïti – 3R.

Il faut souligner qu’Haiti-3R n’est pas seule dans ce combat et appelle encore une fois de plus à la solidarité internationale. Plusieurs autres organisations sont déjà constituées pour mener cette lutte dont « le collectif contre rançon de 1825 » qui a déjà organisé plusieurs activités avec notre participation active. Il y a lieu aussi de mentionner la mise en place d’une structure étatique dénommée : Conseil National de Restitution et de Réparation (NHRR) avec laquelle nous avons pris contact.

À travers cet article, nous réitérons l’appel à la solidarité internationale déjà lancé le18 novembre 2024 lors de la commémoration martiniquaise de la bataille de vertières via notre camarade frère Théo MOHIGANY.

*Membre fondateur de Haïti : 3R

E-mail : haiti3rrrrançonindependance@gmail.com



[1] Le bourreau [qui offense] oublie toujours ses méfaits, mais la victime s’en souvient toujours.

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