(Port-au-Prince) Les écoles, les commerces et la circulation reprennent tranquillement à Port-au-Prince après un printemps marqué par les violences de groupes criminels armés. L’arrivée de 200 policiers kényans à la fin de juin, et de 200 autres la semaine dernière, suscite de minces espoirs d’un retour de la sécurité.
Peu de gens osaient s’aventurer au bas de l’avenue John Brown encore le mois dernier. Des piétons, quelques bus et des motos y sont de retour, a pu constater La Presse cette semaine. Ils zigzaguaient lundi entre les immondices empilées au milieu de la rue par des employés du ministère des Travaux publics dépêchés sur place.
Depuis deux semaines, des équipes de nettoyage sont à l’œuvre aux alentours du Champ-de-Mars, théâtre de la plupart des attaques armées en mars et avril derniers.
« Je ne peux pas dire qu’on est vraiment en sécurité », raconte Max Fleury, 44 ans, à côté d’une grosse pile à l’odeur nauséabonde. Pendant des semaines, cette artère centrale de la ville avait été à l’abandon, de mauvaises herbes poussant même au milieu.
Malgré un nouveau calme apparent, il y a toujours de nombreux endroits de la ville où on ne peut se rendre, selon M. Fleury, chef d’une des équipes de curage des égouts.
Il a encore dû traverser plusieurs quartiers contrôlés par des groupes armés pour se rendre au travail lundi. L’an dernier, il a même été kidnappé quelques heures avec un collègue par l’un de ces groupes en rentrant du boulot.
M. Fleury prévient d’ailleurs qu’il y a encore des membres de bandes criminelles armées dans certaines rues environnantes. Il y aurait aussi toujours près de 600 000 personnes déplacées en raison des attaques armées dans le pays, dont des dizaines de milliers dans des camps à Port-au-Prince.
Le gros du territoire de la banlieue nord et de la banlieue sud de la capitale a été abandonné par les autorités. La majeure partie du centre-ville, où se termine l’avenue John-Brown, est aussi sous l’emprise de groupes criminels. Très peu de gens osent encore s’aventurer dans ce lieu pillé et saccagé.
Je ne dis pas que les forces étrangères ne sont pas la solution, mais je crois dans ce que je vois. Il n’y a toujours rien de substantiel qui a été fait. Il faudrait que je puisse marcher dans la ville sans croiser des hommes armés.
Max Fleury, chef d’une équipe de curage des égouts à Port-au-Prince
La semaine dernière, près d’une dizaine de véhicules blindés de la force kényane ont effectué une première patrouille au centre-ville en collaboration avec la police haïtienne. Aucune opération d’envergure n’a par contre encore été signalée.
Au total, 1000 policiers kényans devraient être en Haïti d’ici la fin de l’année. Environ 330 agents de pays des Caraïbes, principalement de la Jamaïque, doivent aussi arriver d’ici quelques semaines.
Ceux-ci ont reçu une formation d’un mois de militaires canadiens en avril à la demande du gouvernement jamaïcain. L’arrivée de troupes du Bénin, du Tchad et du Bangladesh, entre autres, est aussi prévue pour cette force multinationale sanctionnée par le Conseil de sécurité de l’ONU.
« Le bon Dieu ne peut pas laisser ça continuer »
À quelques mètres de l’équipe de M. Fleury, Darline* observe l’opération de nettoyage en attendant sa fille. Cette dernière doit terminer d’ici quelques minutes son premier examen du ministère de l’Éducation pour la fin de son parcours primaire.
Les examens nationaux ont été retardés dans tout le pays en raison des attaques sur Port-au-Prince durant l’année scolaire. Le bâtiment de l’école de sa fille, au cœur du centre-ville, a aussi dû être abandonné et les cours déplacés durant l’année.
« Les choses vont changer avec l’arrivée des forces kényanes », croit-elle, assise sur les marches à l’entrée d’un commerce. « Le bon Dieu ne peut pas laisser ça continuer. »
Un coin de rue plus loin, dans le Champ-de-Mars, André* est plus pessimiste. Selon le policier haïtien en congé, les envoyés kényans sont venus faire de l’argent, profitant de bonus généreux.
Il croit que les policiers kényans sont allés faire un « show » au centre-ville la semaine dernière. « Le 25 juillet, ça [a fait] un mois qu’ils sont là, rappelle-t-il. Ils vont toucher leur argent bientôt. »
Dans la profession depuis une quinzaine d’années, il s’inquiète aussi de l’accointance de certains collègues haïtiens haut placés de la police avec des groupes armés, comme il explique en avoir été témoin dans le passé.
On ne sait plus à qui faire confiance. Quand tu veux te battre [contre les gangs], il y a toujours quelque chose qui te bloque.
André*, policier en Haïti
Selon lui, les policiers haïtiens sont aussi beaucoup moins bien équipés que ceux de la mission étrangère. Il rappelle par exemple que les véhicules des forces kényanes sont beaucoup plus imposants et à double blindage.
« Il y a une série de blindés de seconde main qui ont été donnés à la police [haïtienne], mais ils ne servent à rien. Certains calibres les percent tout de même. »
Encore dimanche dernier, un autre commissariat de police en banlieue nord de Port-au-Prince a d’ailleurs été attaqué par des hommes armés. La seule route vers le sud du pays est presque entièrement bloquée depuis la semaine dernière en raison d’une autre attaque.
À côté d’une bouche d’égout où est enfoncé l’un de ses collègues avec une pelle, M. Fleury espère lui aussi qu’un jour, les choses pourront revenir à la normale. « Mais tant qu’il n’y aura pas de véritable changement, je n’y croirai pas. »
* Prénoms fictifs
Avec la collaboration de Jean Elie Fortuné
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